Récompensé par la Mention spéciale du jury dans la section "Un certain regard" du dernier Festival de Cannes, le film "Jeanne" de Bruno Dumont a remporté ce lundi 9 décembre, le prestigieux prix Louis-Delluc qui distingue le "meilleur film français de l'année".
"Jeanne", adaptation de la pièce de théâtre "Jeanne d'Arc" de Charles Péguy, a su convaincre le jury du prix Louis-Delluc. Le travail du réalisateur originaire de Bailleul (Nord) a particulièrement été souligné par le président, Gilles Jacob : "Bruno Dumont a su mettre en images un magnifique texte de [Charles] Péguy. Il était déjà un grand cinéaste. Il entre cette fois-ci dans la famille du Delluc".
Absent à la remise du prix pour cause de tournage en Allemagne, le réalisateur, joint par téléphone par les organisateurs, s'est déclaré "très touché" par cette récompense, considérée comme le prix Goncourt du cinéma. "De me voir associé à Louis Delluc est un honneur. Je suis un enfant du cinéma français et de ce cinéma-là, celui de mes maîtres", a ajouté le réalisateur de "Ma Loute", "P'tit Quinquin" et "La vie de Jésus".
Après "Jeannette" (2017), une comédie musicale (sur une bande-son métal) qui parlait de l'enfance de Jeanne d'Arc, Bruno Dumont, 61 ans, s'est attaché dans "Jeanne" au procès de La Pucelle. Le film s'inspire directement du triptyque de 1897 de Charles Péguy (alors âgé de 24 ans et socialiste).
Film tranchant et épuré, "Jeanne" oppose la détermination et le parler vrai d'une petite fille à la duplicité des clercs. Alors que Jeanne était âgée supposément de 19 ans lors de son procès, Bruno Dumont a choisi de confier le rôle à une enfant de 10 ans, Lise Leplat-Prudhomme. "Cela met en lumière la puissance de l'innocence, de l'enfance, la détermination", se justifiait le réalisateur.
"Ne pas tout expliquer"
Le film, d'une grande lenteur, n'aspire pas à la véracité historique. "Il fallait empêcher que ce film soit historique. Les anachronismes ne me dérangent absolument pas. L'anachronisme empêche l'exactitude historique et emmène le film dans une dimension intemporelle donc moderne", soulignait le cinéaste à l'AFP. "Comme en peinture, je veux mettre un espace de mystère et non tout expliquer", insistait-il.
"La nouveauté c'est que Jeanne d'Arc a dix ans. Elle n'a jamais eu l'âge véritable parce que Jeanne d'arc est brûlée à 19 ans. [...] ce qui se joue, ce n'est pas du tout l'histoire, c'est quelque chose de beaucoup plus profond", explique-t-il sur le plateau de France 3 Nord Pas-de-Calais.
Pour le procès de Rouen (tourné dans la cathédrale d'Amiens), le réalisateur a choisi comme juges des professeurs d'université.
Le regard noir de Jeanne fixe ses accusateurs. Elle est inflexible dans sa volonté de libérer Paris et la France. Une vision de Jeanne mystique mais sobre, seule et pas exaltée. Interrogée sur ses voix, elle va répétant sa phrase célèbre "cela ne vous regarde pas" qui dit "sa volonté de ne pas partager avec l'Église sa religion intime avec Dieu". "Tout ce qu'elle dit dans le film est exact, les personnages sont exacts", faisait remarquer le cinéaste à l'AFP.
La plupart des acteurs ne sont pas des professionnels. A côté d'eux, Fabrice Luchini joue le rôle du roi Charles VII, le chanteur Christophe (qui interprète un dominicain) a composé quatre chansons du films.
"Jeanne" était en lice face à sept autres films dont "Grâce à Dieu" de François Ozon, récompensé par le Grand prix du jury à la Berlinale, et "Roubaix une lumière" d'Arnaud Desplechin, en compétition officielle lors du dernier Festival de Cannes.
Le prix Louis-Delluc : le "Goncourt du cinéma"
Décerné depuis 1937, le prix Louis-Delluc est une récompense cinématographique française. Il tient son nom du réalisateur, scénariste, premier critique de cinéma français et fondateur des ciné-clubs, Louis Delluc, mort en 1924.Tous les ans, il récompense, en décembre, une oeuvre cinématographique jugée comme étant le "meilleur film français sorti dans l'année". Son jury rassemble une vingtaine de critiques et de personnalités du cinéma.
Les films récompensés doivent allier exigence artistique, singularité du style, vision d'auteur et reconnaissance publique. Quelques cinéastes ont reçu le prix à plusieurs reprises : Alain Resnais l'a obtenu trois fois, Michelle Deville deux fois tout comme Louis maille, Claude Sautet, et Abdellatif Kechiche.
L'an dernier, le prix Louis-Delluc avait été attribué à "Plaire, aimer et courir vite" de Christophe Honoré, l'histoire d'amour entre deux hommes sur fond d'épidémie du sida.