Nénesse, c’est son nom d’artiste. Musicien, comédien, humoriste patoisant, le calaisien François Dubout assure aussi le spectacle sur la scène politique régionale depuis 30 ans. Inclassable. Insaisissable. Homme de droite, ancien élu FN, il est tête de liste de "Debout les Ch’ti".
Difficile de ne pas sympathiser avec François Dubout. Il fait partie de ces personnes qui, dès la première rencontre, vous donnent au bout de cinq minutes l’impression d’être en face d’une vieille connaissance. C’est indéniable : il a le sens du contact. Courtois. Chaleureux. De l’entregent. Conteur hors-pair. L’homme politique n’est jamais loin de l’homme des one-man-shows. Il "sent" son interlocuteur comme il sent une salle de spectacle. Nénesse est drôle ; François Dubout est un drôle de personnage.
Il est tout et son contraire. Il se dit fidèle à ses convictions, celles d’un gaulliste souverainiste, droite dure, disciplinée, férocement anti-communiste. Et pourtant, il n’a fait que passer d’un parti à l’autre, de près ou de loin : le Parti Radical Valoisien, les centristes de l’UDF, le Rassemblement du Peuple Français de Charles Pasqua, le Front National, le Parti de la France de Carl Lang, le Centre National des Indépendants et Paysans, Debout La France de Nicolas Dupont-Aignan.
Il a dérivé du centre vers l’extrême-droite, lui le fils d’un résistant arrêté, torturé, déporté. Il a défendu les couleurs de formations franchement réactionnaires et sectaires, lui qui est marié à une étrangère et se montre plutôt tolérant sur les questions sociétales. Il passe au lance-flamme le bilan du maire socialiste de Coulogne puis se désiste en sa faveur. Il défend sa région et sa langue avec acharnement mais tente de se faire élire dans l’Ain. Sur scène, il y a celui qui raconte des histoires grivoises et franchouillardes ; et l’autre qui joue du basson dans un grand orchestre symphonique. François Dubout est un couteau suisse. Un multicarte. Un touche-à-tout. Curieux de tout. Quitte à se perdre parfois en route.
Votez pour mi
Cette fois, François Dubout mène dans les Hauts-de-France une liste intitulée "Debout les Ch’ti, les picards et les flamands !" Son slogan : "Voter pour mi, ch’est voter pour ti. Cha ne mange pas d’pain et cha fait du bien !"
Il connaît la musique. Les élections, François Dubout en a quelques-unes à son actif. Législatives à Boulogne (1997) et à Saint-Pol-sur-Ternoise (2000). Municipales à Saint-Omer (2001) et Calais (2008 et 2014), Coulogne (mars 2020) et Pont d’Ain (octobre 2020). Régionales dans le Nord-Pas de Calais (2004, 2010, 2015). Cette fois, il est persuadé que sa notoriété va enfin payer. "J’ai vendu deux millions de disques, affirme-t-il. Mon premier 45tours, "La drague à Nénesse", s’est vendu à 875 000 exemplaires. J’ai fait jusqu’à 150 galas par an, durant des décennies. Pour ces élections régionales, ce n’est pas François Dubout qui se présente, c’est Nénesse. Nénesse, tout le monde connaît. Si j’avais fait comme ça en 2010, j’aurai été élu."
Nénesse marche à l’affectif. Il a le tutoiement facile. On devient vite son "ami" et ce n’est pas qu’un vain mot. Il fait confiance. Dans les interviews, il se met à nu avec une sincérité qui frôle l’imprudence. Il aime. Il admire. À la sauce Nénesse : en vrac. Citons quelques noms sortis de la liste. De Gaulle, Clémenceau et Pasqua sont des modèles. Nicolas Dupont-Aignan est un ami de trente ans. Borloo et Bayrou sont des proches pour qui il a beaucoup d’estime. L’épouse du président estonien est la marraine de son fils. Delebarre et Percheron ont été de grands présidents de région. Le président socialiste du conseil départemental du Pas de Calais est un intime. Montebourg dit des choses intéressantes. Philippe de Villiers a réussi un formidable maillage de son territoire. Il aime beaucoup le p’tit Darmanin. Sébastien Chenu est un bon copain. Même le maire socialiste de Coulogne, Alain Fauquet, contre qui il s’est présenté aux élections municipales avant d’appeler à voter pour lui, est lui aussi un bon copain. "J’ai dézingué le maire mais pas l’individu, dit-il. Je n’ai pas soutenu le maire mais j’ai soutenu l’ami." Etc…
Marqué au fer rouge
En fait, François Dubout est seul. Les plus indulgents évoquent un doux rêveur qui tente de faire souffler un peu d’air frais sur la politique. Les plus sévères dénoncent un clown mythomane qui ne fait plus rire grand monde. Surtout, Nénesse n’en finit pas de payer son passage - entre 2003 et 2008 - au Front National. Comme marqué au fer rouge, il reste celui qui a porté les couleurs du parti lepéniste ; et au RN, il restera à jamais le candidat lepéniste qui s’est désisté en faveur de Natacha Bouchard à Calais en 2008, malgré un score au premier tour qui lui permettait de se maintenir. "Ma plus grande erreur politique", concède-t-il. Le FN l’a exclu. Il est depuis banni. Un facho pour les uns, un traître pour les autres.
Moi qui fus pendant vingt ans le porte-parole des filles et fils de déportés du Pas-de-Calais, j’ai été traité de nazi. On m’a caricaturé en officier de la Gestapo.
"Avoir été au Front National m’a bloqué professionnellement, reconnaît François Dubout. J’avais réussi un concours du ministère des Affaires étrangères mais je n’ai jamais eu de poste. Dans ma carrière d’artiste, ça été un coup d’arrêt. Dans mes activités politiques, ça été terrifiant. Moi qui fus pendant vingt ans le porte-parole des filles et fils de déportés du Pas-de-Calais, j’ai été traité de nazi. On m’a caricaturé en officier de la Gestapo. Une blessure."
François Dubout, lui aussi, ne prend pas toujours des pincettes pour dire ce qu’il pense. L’an passé, durant la campagne des élections municipales à Coulogne, un élu sortant n’avait pas apprécié l’humour de Nénesse. S’estimant diffamé et injurié, il avait porté l’affaire en justice. Le tribunal de Boulogne-sur-Mer rendra son délibéré le 6 juillet prochain.
Aux élections régionales de 2010, François Dubout avait créé la surprise avec sa liste "Ch’ti" en obtenant au premier tour un peu plus de 3% des suffrages, juste derrière le Modem. Va-t-il vraiment remettre ça dix ans plus tard ? À un journaliste, il affirme qu’il ira jusqu’au bout. À un autre, il dit qu’il n’a pas pris de décision définitive et qu’il réfléchit. Nénesse, jeune retraité de la fonction publique, aura 62 ans le 27 juin, date du second tour des élections régionales 2021. Mais il ne faut y voir aucun signe : la politique ne lui a jamais fait de cadeaux.