Samedi 24 février, Stève Stievenart, surnommé le Phoque, a réalisé l'exploit de nager un kilomètre dans les eaux glacées de l'Antarctique, sans combinaison, en 19 minutes. Habitué de la nage en eau libre, il n'en est pas à son premier défi extrême. Nous l'avions rencontré trois semaines plus tôt, il nous raconte sa préparation et nous livre les secrets de son régime alimentaire.
C'est l'histoire d'un enfant d'Abbeville, dans la Somme, un touche-à-tout qui arrête l'école à 13 ans, passionné par le sport. Il devient champion du monde de jet-ski en 2005, court deux marathons et un Ironman avant de tout perdre et d'être sauvé par la mer. Aujourd'hui âgé de 46 ans, il a fait des océans et des mers du monde entier son terrain de jeu. Rencontre avec Stève Stievenart, surnommé le Phoque, un homme d'une gentillesse incroyable, devenu une force de la nature.
Durant son enfance, Stève a grandi avec ses grands-parents très sportifs, notamment son grand-père qui était cycliste professionnel. "Mon grand-père m'emmenait voir les départs de la traversée de la Manche quand j'avais 5 ans, au cap Gris-Nez, et ça m'a toujours fait rêver. J'ai toujours été en admiration devant ces nageurs de l'extrême et puis toute ma vie, je me suis interdit de penser un jour faire la traversée de la Manche, ça a toujours été un rêve, mais je me suis toujours mis des barrières en me disant 'c'est pas pour toi, t'es pas nageur'."
À l'âge de 40 ans, sa vie bascule à la suite d'une séparation amoureuse. "Ça a été une période assez compliquée de ma vie au niveau sentimental, mais aussi financier, professionnel. Jusqu'au jour où ne plus rien avoir et dormir un an dans un hangar. Suite à ça, je me dis 'il faut que tu sortes de cette situation' et je me suis accroché à mon rêve d'enfant finalement." Un rêve qu'il réalise en partant en Angleterre pour apprendre la discipline, faute de structures en France.
Aujourd'hui Stève Stievenart collectionne les records du monde. En 2020, il devient le premier Français à traverser la Manche à la nage, sans combinaison, 105 km en aller-retour, en 34 heures et 45 minutes, dans une eau entre 15°C et 18°C.
Il réalise ensuite le tour de l'île de Manhattan aux États-Unis en 2019 et le double tour en 2021. La même année, il effectue le relais du lac Baïkal en Russie et devient également le premier Français à traverser le Loch Ness en Écosse.
120 km en 51 heures non-stop
À l'heure de notre interview, son exploit le plus difficile remonte au 29 juin 2023 : "51 heures de nage non-stop en Californie. C'est une traversée entre l'île de Santa Catalina et Los Angeles aller-retour-aller, c'est 51h18 exactement non-stop." Premier nageur au monde à relever ce défi, il avale les 120 km sans jamais sortir de l'eau.
"Ça a été très très difficile parce que dans la première heure, j'ai pris un kayak sur la tête, qui m'accompagnait en fait. Et puis j'ai eu des conditions très compliquées aussi avec la météo, le vent qui s'est levé en fin de traversée. Et 51 heures, c'est long. Je suis parti le mardi à 20h30, j'ai fini le vendredi à 00h04."
"Avant de parler d'efforts, on parle de résistance au froid"
Mais comment tenir autant de temps dans l'eau ? "C'est très dur parce qu'on passe par l'ascenseur émotionnel. Des moments ça va très bien, des moments où ça va aller au plus bas du plus bas, donc il faut s'accrocher. Moi, je travaille sur mes projets, alors j'ai une bibliothèque dans ma tête. Donc je cherche un dossier, je travaille une heure dessus, entre deux, je vais me ravitailler et je gagne du temps comme ça en fait. Tout ça, ce sont des quarts d'heure, des demi-heures de gagnés et par contre, c'est très long parce qu'on est exposé aux éléments comme le sel qui est très compliqué qui est qui agressif."
Si nager pendant 50 heures dans l'eau froide peut paraître inconcevable, la préparation mentale et le quotidien sont tout autant extraordinaires : "C'est très difficile, bien sûr qu'on a des moments où on a des doutes. Il faut reprendre le leadership dessus et ça passe, par la préparation mentale, mais aussi au quotidien."
Bien au chaud sous plusieurs couches de vêtements lors de notre rencontre, Stève vit pourtant en short et t-shirt toute l'année. Mais encore : "La douche est dans le jardin, l'eau sort à 5°C l'hiver, il fait 8°C dans la chambre. C'est un combat permanent contre le froid et un entraînement quotidien vers la résistance au froid. Avant de parler d'efforts, on parle de résistance au froid, confie l'athlète, j'ai quand même pris 47 kg en quatre ans, ce n'est pas anodin, parce que sur une traversée je peux perdre 7 kg et ce n'est pas de l'eau, c'est du gras."
Je dis toujours que je n'ai rien inventé, j'ai fait ce que la nature fait, un loup de mer ou un phoque avant sa migration mange énormément de poissons gras.
Stève Stievenart
Car c'est de là que vient son surnom : "C'est mon entraîneur qui me l'a donné parce qu'à force de me donner à manger du poisson fumé et du poisson gras au ravitaillement, il me dit 'mais tu manges comme un phoque'."
"C'est du poisson gras selon la saison bien évidemment, mais la base, c'est le kipper, du hareng fumé. Du haddock aussi, maquereau, sardine, beaucoup de sardines, de l'anchois, un peu de poisson un peu plus maigre selon la saison et encore du cabillaud ou du bar, mais je ne mange pas de viande, en fait. Je suis pescovégétarien, je ne mange que des produits de la mer."
"C'est hyper angoissant la nuit parce que je redeviens une proie"
Mais la préparation du sportif ne s'arrête pas là, car les journées de Stève Stievenart sont organisées en fonction des marées. "C'est la nature qui fait mon agenda. Donc je m'adapte, j'adapte mes rendez-vous. La priorité, c'est mes deux entraînements quotidiens de jour comme de nuit. La nuit, c'est hyper important aussi parce que quand je fais un 51 heures, il y a quasi deux nuits complètes, plus la moitié d'une, donc la perception est différente. C'est hyper important de s'entraîner la nuit pour s'habituer régulièrement parce qu'on n'a pas vraiment les mêmes repères, c'est hyper angoissant parce que je redeviens une proie, j'ai rien à faire là en pleine nuit."
Ces deux entraînements quotidiens sont complétés par du renforcement musculaire, des séances de kinésithérapie et d'ostéopathie toutes les semaines et 10 km de marche rapide tous les jours.
"Le plus difficile, c'est de s'entraîner l'hiver. Le réveil sonne, il est 2h du matin, il fait 0°C, vous grattez le pare-brise pour aller vous entraîner une heure dans le froid. Vous ressortez de là, il est 3h du matin. On mange, on se réchauffe, je dors. Je suis complètement décalé parce que pour être actif 51 heures, je me suis habitué à ne pas dormir. Donc c'est un peu comme les marins, je fais des quarts, je récupère sur une demi-heure, je fais des micro-siestes. J'ai tout optimisé pour réussir mes projets en fait."
Un mode de vie équilibré avec la vie de famille
"Pour supporter les lunettes pendant 51 heures de nage, il a fallu mettre au point un entraînement spécifique. J'ai dormi six mois avec mes lunettes de nage pour que le globe oculaire s'habitue à la pression qu'elles exercent. Alors il faut quelqu'un qui comprenne aussi quand vous allez dormir 'bonsoir chérie, je vais dormir avec quelqu'un qui dort avec ses lunettes de neige', il faut une personne aussi qui comprennent votre mode de vie", sourit le nageur.
Quand on lui demande si sa famille comprend son mode de vie, la réponse est sans appel : "Ma compagne oui, parce qu'elle est à 200 % avec moi dans tous ces projets. On a commencé l'aventure ensemble et c'est un pilier pour moi Frédérique. On mange natation, on dort natation, on parle constamment, on est toujours à fond tous les deux dans le même projet. C'est hyper important d'avoir un équilibre, sinon ça ne peut pas fonctionner en fait. Au regard de ma famille, ils sont super fiers aujourd'hui que je sois sorti de la situation dans laquelle j'étais, parce que ce n'est pas simple, nous livre Stève. Aujourd'hui, quand vous perdez tout comme ça, c'est compliqué, le regard des gens, vous ne voulez pas en parler à votre famille, enfin, c'est dur."
Des performances au service de la science
Et on peut dire que Stève Stievenart est un cas d'école à plusieurs titres : "Le fait de boire de l'eau de mer, parce que je bois la tasse quand je fais mes défis, comme je nage aux quatre coins de la planète. Il faut savoir que dans la mer, il y a des phages, des micro-organismes, des virus naturels, qui s'isolent sur ma paroi intestinale. Et aujourd'hui, on prélève ces phages, ces bactéries pour en faire les levures de demain ou autres."
Ainsi, aider la science est aussi un moyen un autre rêve : "J'ai arrêté l'école à 13 ans, mais au fond de moi, j'aurais vraiment voulu être biologiste marin et ce qui est génial, c'est qu'aujourd'hui je travaille avec ces gens-là et eux qui ont un regard très académique et moi qui ai un regard de terrain et d'expérience, quand on croise nos ressentis, c'est super parce que ça fait avancer des choses."
Et de conclure à la question du bonheur : "Oh bah oui, je suis très heureux. Je me lève le matin. Je vais marcher. Je suis avec mes chiens. Je fais de la méditation. Je m'entraîne deux fois par jour. Je suis avec les gens que j'aime. C'est une vie d'abord en toute simplicité, c'est d'avoir du temps à soi et de faire ce qu'on a envie sans rien devoir à personne, c'est surtout ça pour moi que je retiens."