Témoignages. Olena, Alex, Yuliia... Comment ces réfugiés ukrainiens tentent de tout reconstruire en France : "je crains que l’Ukraine n’existe plus"

Publié le Écrit par Elise Ramirez

Deux ans après le début de la guerre en Ukraine, les familles réfugiées en France gardent le traumatisme de l’invasion russe dans leur ville. Deux d’entre elles, qui viennent de Marioupol, ville martyre du sud du pays, ont accepté de nous confier leurs craintes et leurs espoirs. Olena, Alex, Yuliia, Sasha et Dima ont dû fuir leur pays et tentent de tout reconstruire à Amiens.

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Au premier jour du déclenchement de la guerre en Ukraine, le 24 février 2022, Marioupol est une des premières cibles pour les Russes. La position de la ville est stratégique. C’est une grande ville portuaire industrielle, au bord de la mer d'Azov, au sud de l’Ukraine. Un important centre métallurgique dont certaines aciéries comptent parmi les plus grandes d'Ukraine. Dès les premières semaines de la bataille de la ville, les conditions de vie sont dramatiques pour les centaines de milliers d'habitants de Marioupol assiégée, qui souffrent du froid et manquent de nourriture, d'eau, de médicaments et d'hygiène.

Environ 350 000 personnes vivent terrées dans les caves et souterrains, De nombreux bâtiments sont détruits. Le 20 mai 2022, les derniers soldats de l'armée ukrainienne, retranchés dans l'aciérie d'Azovstal, se rendent aux forces russes, leur donnant un contrôle total sur la ville. Certains habitants ont réussi à fuir, dès le début de l’invasion, pour se diriger vers l’ouest du pays. C’est le cas d’Olena, son mari Alex et leurs familles qui ont pu rejoindre Lviv.

D’autres, dès la mi-mars, profitent d’une évacuation humanitaire, organisée par les autorités ukrainiennes. Yuliia, Sasha et leur fils Dima réussissent alors à quitter la ville. Après plusieurs escales en Ukraine, puis en Pologne, ils ont pu rejoindre Paris en bus, puis Amiens, où ils ont été pris en charge avec d’autres compatriotes ukrainiens par des associations en France. Plus de la moitié de la ville a été vidée de ses habitants.

24 février 2022 : le choc des premiers bombardements

Nous retrouvons Olena et Alex dans leur appartement, situé au sud d’Amiens, où ils ont emménagé il y a quelques semaines. Ils sont installés depuis plus d’un an. D’abord hébergés dans un hôtel avec d’autres réfugiés ukrainiens, ils trouvent ce logement, de bouche à oreille. Ils vivent, entourés de leurs chats qu’ils ont transportés avec eux dans leur fuite. "Lisa, notre chatte British vient d’avoir trois petits chatons. Elle est née deux jours avant la guerre. Le 23 février 2022, nous avions des projets de vie. Ils ont été détruits brutalement dès le lendemain", confie Olena en Ukrainien, cette langue slave empreinte de poésie et de mélancolie.

On ne savait pas ce qu'il fallait faire, où il fallait courir

Olena, réfugiée ukrainienne

Ce 24 février 2022, c’est le choc. Le couple est réveillé par les bombardements. "C'était insupportable, effrayant. Nous ne savions pas s’il fallait sortir de la maison. C'était effrayant de sortir. On ne savait pas ce qu'il fallait faire, où il fallait courir", explique Olena, débordée par l’émotion. Alex, son mari poursuit : "Nous avions déjà supposé un tel scénario. Notre ville est située à la frontière. C’est une ville de première ligne. Nous avions donc essayé, à l'avance, de préparer tout le nécessaire pour les sacs à dos et les valises d'urgence. Nous avions une réserve de nourriture, une batterie externe, du combustible sec et des bougies. Tout le nécessaire pour survivre à de tels événements."

Dès les premières heures, la solidarité s’organise. "Nous n'avions pas de sous-sol alors nous avons emménagé dans celui de nos amis. C'était une aide précieuse. Nous avons scellé les fenêtres avec du ruban adhésif pour éviter les explosions d'obus. Trois jours plus tard, nous sommes partis et nous avons aidé une famille nombreuse avec un enfant malade et handicapé à évacuer. Nous devions tous évacuer par le train, mais la voie était endommagée, par les combats et le train n'a pas pu partir. Nous avons été transférés dans un bus jusqu’à Zapoijjia."

Nous avons tout laissé à Marioupol. Tous nos souvenirs sont restés dans le territoire occupé, où nous n'avons pas accès.

Olena, réfugiée ukrainienne

Le couple se retrouve à Lviv, à l’ouest du pays. Mais aucune ville d’Ukraine n'est alors épargnée. En novembre 2022, Olena et Alex quitte le pays en bus. "Le matin du 24 février est le jour auquel je pense chaque jour. Ce jour-là, ma vision a tourné à 180 degrés. La peur et la douleur, la confusion nous poursuivent. Nous étions heureux à Marioupol parce que c'est la ville dans laquelle nous avons grandi, où nous avons célébré notre mariage. Nos parents ont grandi dans cette ville", ajoute Olena. Les photos de son mariage trônent sur une étagère du salon, derniers vestiges de sa vie passée. Dans sa fuite, le couple n’a pu emporter que quelques photos, quelques souvenirs et leurs chats. "Nous avons tout laissé à Marioupol. Tous nos souvenirs sont restés dans le territoire occupé, où nous n'avons pas accès. C'est très douloureux pour nous", se confie Olena.

Le couple se concentre désormais sur leur avenir. Tous les deux tentent de reconstruire une vie en France. Alex, qui était ingénieur métallurgiste, a déjà trouvé un emploi dans une entreprise du bâtiment qui isole les façades des logements sociaux. Dès leur arrivée en France, les réfugiés ukrainiens ont bénéficié d’une protection temporaire de la France, accompagnée d’un titre provisoire de séjour, avec autorisation de travail.

C’est un grand avantage que l'État français offre aux réfugiés d'Ukraine, de trouver officiellement un emploi.

Alex, réfugié ukrainien

Alex, qui ne parle pas français, a très vite saisi cette opportunité d’intégration, même si la communication est difficile. "C’est un grand avantage que l'État français offre aux réfugiés d'Ukraine, de trouver officiellement un emploi. Dans mon entreprise, mes collègues parlent portugais, français et ukrainien. C’est une belle coopération internationale. Il était important pour moi de m'adapter à la culture française. C’est pourquoi nous avons d'abord suivi des cours en anglais et en français. Même si j'ai des difficultés à communiquer en français, je le comprends assez bien. Et j'ai pour objectif de continuer à étudier le français pour mieux communiquer", déclare Alex. Olena projette, un jour, de reprendre son activité d’éleveuse de chats. Mais avant tout, ils doivent déposer leur demande d’asile en France.

Un quotidien sous les bombes

À Amiens, comme dans de nombreuses villes d’accueil, la communauté ukrainienne se rassemble, organise des rencontres pour s’entraider et se soutenir dans l’épreuve. Olena et Alex y ont retrouvé une autre famille ukrainienne, leurs voisins à Marioupol. Yuliia, Sasha et leur fils, Dima, ont fui leur ville natale le 19 mars 2022, soit trois semaines après le début de l’invasion russe. Pendant ces jours de siège de leur ville, ils ont dormi dans la cave de leur immeuble, dans l’entrepôt du magasin de meubles situé au rez-de-chaussée du bâtiment. C’est ainsi qu’ils ont pu récupérer les lits et les matelas où ils ont dormi avec leur famille.

Ils préparaient leur repas sur un brasero improvisé, au pied de leur immeuble. Le beau-père de Yuliia a d’ailleurs été blessé par un tir alors qu’il cuisinait.

Lorsque l’ordre de mobilisation pour tous les hommes a été décrété, la famille a décidé de partir. Mais ils ont dû attendre que la ville organise l’évacuation des habitants. "Jusque-là, la ville était fermée. Les soldats tiraient sur les voitures et les militaires n’étaient pas toujours les seules victimes. Lorsque nous avons quitté Marioupol, la ville n'était pas encore complètement prise pas les Russes. Mais, après la prise totale, il n’a plus été possible de partir sans un processus de filtrage, organisé par les nouvelles autorités russes. Nous avons réussi à quitter la ville avant mais ma mère a dû rester plus longtemps", se désole Yuliia, qui insiste sur les nouvelles règles imposées par les Russes.

"Pendant ces contrôles de la population, il était interdit de posséder des photos de la destruction de la ville ou d’autres photos illustrant l’ampleur de ce qu’il se passait. Par exemple, des photos de personnes mortes enterrées dans les cours d’immeubles résidentiels." Et pourtant, ces réfugiés peuvent témoigner de ces nombreux enterrements faits à la va-vite, au pieds de leurs propres immeubles, entre les bombardements. Yuliia et sa famille ont voulu immortaliser ces scènes de vie et de désolation.

Un départ forcé et la reconstruction

Après 48 heures de voyage en bus, Yuliia, Sasha et Dima sont arrivés en France, sains et saufs. Mais ils ont laissé derrière eux leurs parents, trop âgés pour faire la route. En France, à Amiens, ils ont retrouvé d’autres Ukrainiens de Marioupol. Ils organisent des sorties ensemble, comme aujourd’hui, au parc Saint-Pierre, avec Olena, pour parler leur langue natale et garder la mémoire vive de leur pays.

À Marioupol, mon quotidien était sombre. Aujourd’hui, je suis plus heureux. Je me sens bien ici.

Dima, réfugié ukrainien

Yuliia comprend et parle le français couramment après seulement un an et demi dans le pays. "Quand nous sommes arrivés, nous étions perdus. Tout était nouveau pour nous : nouvelle langue, nouvelle culture, un nouvel endroit. Mais beaucoup de gens nous ont aidés pour nous loger, faire nos démarches. Je me suis fait de nouveaux amis, des Ukrainiens qui sont en France depuis longtemps et qui m’aident à trouver un travail. Pour moi, c’est plus facile maintenant parce que je suis autonome."

Yuliia a déjà passé un entretien pour travailler comme couturière. Son mari, Sasha, commence une formation de programmeur dès le mois de mai. Ils ont obtenu le statut de réfugiés en novembre dernier. Pour leur fils, Dima,14 ans, scolarisé au collège César Franck, à Amiens, l’avenir s’éclaircit. Lui aussi parle couramment français. "À Marioupol, mon quotidien était sombre. Aujourd’hui, je suis plus heureux. Je me sens bien ici. J’aime la langue française et les paysages. En cours, quand tu fais une faute de français, on te corrige et les contrôles sont adaptés à ton niveau", explique Dima. Cette année, en 3e, il doit passer le brevet des collèges. Il sait déjà qu’il veut apprendre à conduire des camions et étudier la logistique au lycée.

Je crains que l’Ukraine n’existe plus comme pays, malheureusement. Et c’est une souffrance pour nous.

Yuliia, réfugiée ukrainienne

Comme beaucoup de ces réfugiés du Dombass, région disputée par la Russie, pour sa position stratégique, au bord de la mer Azov, Yuliia, Sasha, Dima, Olena et Alex ne peuvent plus repartir chez eux. Ils savent qu’ils doivent tout reconstruire ici, en France, leur nouveau pays d’adoption. "Mon pays me manque, la neige, la mer mais on ne peut pas voir l’avenir en Ukraine comme avant. Nous ne pouvons plus espérer réunir notre région avec l’Ukraine. C’est une réalité. Je crains que l’Ukraine n’existe plus comme pays, malheureusement. Et c’est une souffrance pour nous", confie Yuliia.

Le président ukrainien, Volodymyr Zelensky, a pour la première fois donné un bilan officiel des pertes militaires de l’Ukraine et déclaré que 31 000 de ses soldats avaient été tués dans la guerre avec la Russie. Il a ajouté que des dizaines de milliers de civils avaient été tués dans les territoires occupés. Beaucoup d’Ukrainiens ont réussi à fuir les combats. Ils seraient entre 95 000 et 105 000 Ukrainiens accueillis en France. Mais certains sont depuis rentrés en Ukraine ou ont rejoint d’autres pays de l’Union européenne.

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