Les Restos du Cœur alertent depuis plus d’un an. Le chiffre des bénéficiaires ne cesse d’augmenter et les dons se réduisent. D’après Patrice Douret, président bénévole de l’association, d’ici trois ans, les Restos pourraient mettre la clé sous la porte. Malgré les enveloppes débloquées par l’État et les patrons du privé, les bénévoles sont inquiets. Nous avons passé une journée dans un centre d’Amiens pour comprendre leurs besoins.
Jeudi 14 septembre, c’est le jour des inscriptions dans le centre Voltaire des Restos du Cœur d’Amiens. Depuis 9 heures, des familles et des personnes seules font la queue à la porte et dans la salle d’attente. Trois bureaux ont été installés, temporairement et à la hâte, dans les coins de la pièce principale par les bénévoles. Ce matin-là, les demandeurs sont nombreux, comme c’est cas depuis plusieurs mois.
Des besoins alimentaires urgents
Zinaida est une des premières personnes reçues par Marie-Michèle, une bénévole du centre. Dès les premières minutes, l’échange se complique. Zinaida est ukrainienne et son français se limite à quelques mots. Difficile de mener un entretien. Heureusement, une solution est vite trouvée avec l’appui d’un traducteur en ligne. Zinaida est arrivée en France en avril 2022, avec l’aide d’une association de la Somme qui l’a transportée d’un camp de réfugié en Pologne jusqu’ici. Avec son jeune fils, elle est hébergée dans un appartement, prêté par la mairie d’une petite commune du département. Elle n’a pas encore le droit de travailler en France et elle doit se débrouiller pour se nourrir.
Elle n’en est pas à sa première inscription aux Restos du Cœur. Après sa ré-inscription, une bénévole l’oriente vers la distribution alimentaire, dans une salle située dans le même bâtiment. Zinaida peut alors choisir des entrées, des plats et des desserts dans le stock de l’association. De quoi préparer neuf repas pour elle et son fils. Elle pourra revenir se réapprovisionner la semaine prochaine.
Si les gens y entrent, on peut les aider
Marie-Michèle Portelli, bénévole aux Restos du coeur
Les entretiens s’enchaînent et ne se ressemblent pas. Nadia*, elle aussi, souhaite s’inscrire sur les listes de l’association pour sa famille. Comme pour chaque demandeur, Marie-Michèle étudie son dossier. "Je calcule les revenus du foyer, les salaires, les allocations familiales, les éventuelles pensions alimentaires, puis les charges et les factures régulières. Et ensuite je fais une soustraction des deux et cela me donne le reste à vivre. Aux Restos du Cœur, nous avons un barème fourni par le national. Si les gens y entrent, on peut les aider." Les revenus de Nadia et sa famille dépassent le barème fixé de plus de 100 euros. Elle ne pourra pas bénéficier de l’aide alimentaire. Mais la bénévole la rassure. Cette mère de famille nombreuse peut toujours demander de l’aide aux Restos Bébés du Cœur pour sa petite fille. Cette année, comme, Nadia, de nombreuses personnes seront exclues de l’aide alimentaire des Restos.
Une explosion des demandes
Depuis un an, l’association alerte sur l’augmentation des bénéficiaires. Le nombre de repas distribués dans tous les centres de France a augmenté de 35 %, soit 170 millions de repas servis en 2023. Dans la Somme, le nombre de repas offert a presque doublé en un an et la hausse continue. "Les personnes qui viennent nous voir sont toujours plus nombreuses et nous n’avons pas les moyens de recevoir tout le monde. Les dons européens ont été réduits et on le voit dans nos stocks. Nos étagères sont de plus en plus vides. Nous ressentons l’impact de l’inflation, le prix du gasoil, de l’électricité et du gaz. Et pour les personnes qui ont un petit revenu, l’impact est encore plus fort", explique Joël Vast, trésorier des Restos du Cœur de la Somme.
Si les gens veulent nous donner, c’est bien, mais ça reste ponctuel. Sur le court terme, nous n’avons pas de solutions.
Joël Vast, trésorier aux Restos du Cœur de la Somme
Début septembre, l’État a annoncé une enveloppe de 15 millions d’euros pour l’association et des entreprises privées devraient également participer, mais d’après les responsables des Restos, ces aides arrivent trop tard. "On accepte ces aides. Elles sont bienvenues parce que nous ne vivons que des dons. Si les gens veulent nous donner, c’est bien, mais ça reste ponctuel. Sur le court terme, nous n’avons pas de solutions. L’association achète les produits alimentaires par tonnes. Nous les commandons plusieurs mois à l'avance à nos fournisseurs. Les délais sont très longs. Et pour les mois qui viennent, nous n’avons pas de solution", ajoute Joël Vast. Déjà, les stocks se réduisent de jour en jour.
C’est explosif depuis cet été et on se demande comment on va faire pour la campagne d’hiver
Sylvie Sonet, bénévole aux Restos du Cœur de la Somme
Dans ce centre, les rations distribuées n’ont pas été réduites, mais les étagères se vident à vue d’œil. Une cinquantaine de personnes seront servies ce jour-là et déjà en début d’après-midi, certains étals sont vides.
Les bénévoles se pressent pour faire le réassort et permettre aux bénéficiaires de repartir avec un cabas rempli. "Nous avons de plus en plus de monde. C’est explosif depuis cet été et on se demande comment on va faire pour la campagne d’hiver. Nous avons besoin de tout, en particulier du lait dont nous avons dû réduire la distribution et des produits d’hygiène", explique Sylvie Sonet, la bénévole.
Des demandeurs de tout âge
Les 110 centres départementaux de l’association vont devoir se serrer la ceinture et restreindre les aides. Et pourtant, les demandeurs se bousculent à la porte des Restos. "Il y a un avant et un après Covid. On a vu arriver beaucoup d’étudiants, de retraités et de travailleurs pauvres et le gros des troupes, ce sont les personnes seules avec enfants. La situation est très compliquée. On ne peut pas inscrire tout le monde. C’est la chose la plus difficile pour nous, les bénévoles. On n’est pas là pour ça. On vient avec notre cœur pour aider. Mais on essaie d’être le plus ouvert possible. On ne ferme jamais la porte", insiste Marie-Michèle Portelli, bénévole depuis 23 ans.
Une fois les factures payées et les courses faites, il ne reste rien et même pas assez pour manger jusqu’à la fin du mois.
Emilie, bénéficiaire des Restos du cœur
Et justement, l’étude de la situation d’Emilie, qui se présente pour la première fois à l’association, pose un dilemme aux bénévoles. Cette mère célibataire, deux enfants, ne peut plus subvenir seule aux besoins de sa famille. Elle travaille à mi-temps comme agent d’entretien, mais depuis le confinement, en 2020, elle a perdu plusieurs de ses employeurs. "J’étais au chômage et j’avais à peu près 700 euros par mois pour vivre. Et tout s’est enchaîné : l’inflation, les factures en hausse… Avant, pour 300 euros, je faisais mon plein de courses pour le mois et maintenant, on arrive à 500 euros de courses pour nous trois. Une fois les factures payées et les courses faites, il ne reste rien et même pas assez pour manger jusqu’à la fin du mois", détaille Emilie. Après le calcul de son reste à vivre, la sanction tombe. Emilie dépasse de quelques euros le barème de l’association. La déception se lit aussi sur le visage des bénévoles, qui décident de faire une exception. "Nous étudions la situation de chacun et lorsque le reste à vivre dépasse de si peu le barème, on se concerte avec l’équipe. Là, nous avons décidé d’inscrire cette dame avec une dotation plus basse. Cela arrive, mais reste exceptionnel", explique Marie-Michèle.
Des aides sociales et budgétaires
Emilie pourra également bénéficier d’une aide sociale. Les Restos du Cœur, proposent aussi un accompagnement au budget. Une offre ouverte à tous, sans condition de ressources. La mère de famille, elle, a besoin de passer son permis pour trouver du travail. Elle est immédiatement orientée vers "le service micro-crédit", proposé dans les centres de la Somme. C’est Michel, un autre bénévole, ancien comptable à la retraite, qui la reçoit. Après un entretien et une étude budgétaire, un micro-crédit peut être mis en place. Il permet aux personnes exclues du système bancaire de s’en sortir. "Nous avons des conventions avec des banques et cela permet d’acheter du mobilier, de l’électroménager, un vélo, une voiture et de redonner un peu de confort malgré les faibles ressources. Ainsi, on peut aider à sortir de la précarité", explique Michel Pouchain, bénévole référent micro-crédit. Ces entretiens sont aussi l’occasion pour Michel de prodiguer des conseils. "La première chose que je fais lors des entretiens, c’est de comprendre le budget de la personne. Si on peut dégager certaines dépenses, on peut élaborer des projets en fonction des besoins. On conseille aussi lors d’un surendettement."
Si la mission première des Restos du cœur est l’aide alimentaire, l’association a bien évoluée depuis sa création par Coluche en 1985. Elle propose désormais des ateliers de français, un suivi scolaire et une inclusion numérique, des accès aux droits sociaux, judiciaires et médicaux. Mais l’aide alimentaire reste une priorité pour l’association et représente aussi un point de contact privilégié pour permettre un accompagnement social et médical.
J’en ai marre de voir les pauvres crever de faim dans le pays de la bouffe.
Coluche
Aujourd’hui, les carences alimentaires les plus graves ont disparu, mais les besoins sont plus importants qu’il y a 38 ans. Le discours de Coluche, prononce à la création des Restos est toujours d’actualité. "J’en ai marre de voir les pauvres crever de faim dans le pays de la bouffe."
*le prénom a été modifié