Témoignage. "Nous sommes dans une démarche de bienveillance" : le long combat des harkis de la Somme pour la reconnaissance de la citoyenneté française

Publié le Écrit par Anas Daif

De nombreux harkis et descendants de harkis de la Somme demandent depuis plusieurs décennies la reconnaissance pleine et entière de la citoyenneté française. Les quelques victoires n'ont pas encore pleinement répondu à leurs attentes et revendications.

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"Ici, on se trouve à la citadelle de Doullens, c'est ici que nous avons posé la première fois les pieds", lance Abdélali Sadaoui. Ce représentant des harkis de la Somme rappelle que 520 familles avaient été enfermées dans ce camp à partir de 1962, une ancienne prison désaffectée depuis 1958.

Lui et de nombreux harkis de la Somme revendiquent l'accès à une citoyenneté pleine et entière qui ne leur a pas encore été accordée. En effet, même en étant ressortissants français, les harkis et leurs descendants ont souffert d'une exclusion sociale et symbolique (considérés notamment comme des citoyens de seconde zone).

Le camp de Zeralda, Marseille, Risevaltes puis Doullens

En arrivant en France, Abdélali Sadaoui et de nombreux descendants de Harkis avaient l'impression de ne pas avoir leur place, en plus de cultiver un sentiment de perte d'identité. "On avait perdu notre terre, nous sommes des enfants de la guerre", et même après l'indépendance, "il y a eu des massacres de harkis qui étaient considérés comme des traîtres alors qu'ils avaient embrassé la cause française à ce moment-là et nous n'étions pas souhaités dans la métropole".

C'est d'ailleurs grâce à la désobéissance et à la compassion de colonels que beaucoup d'entre eux ont réussi à venir en France. "On a quitté l'Algérie pour sauver notre vie parce que mon père a été assassiné après les accords d'Evian en 1962. Ma mère était seule, a pris ses enfants sous le bras et s'est réfugiée dans une caserne militaire au sud d'Alger qui s'appelait le camp Zeralda". Lui, sa mère et ses frères et sœurs ont ensuite traversé la Méditerranée dans l'écale d'un bateau et ont atterri à Marseille avant d'être enfermés à Rivesaltes pendant près d'un an.

Ils ont ensuite rejoint le nord de la France à leur "insu" en 1962 puisqu'ils n'ont "rien choisi" et ont "suivi le convoi". "On est arrivé à la gare d'Amiens et le Préfet n'avait pas d'autre choix puisque notre arrivée n'était pas programmée, on n'était pas souhaité à la métropole, pour rester poli". C'est pourquoi le Préfet n'avait d'autre solution que de réquisitionner un lieu où les loger temporairement. Une période qui va durer plusieurs années.

"On ne nous a pas expliqué pourquoi on était là"

La première chose dont se souvient Abdélali Sadaoui, c'est le froid. "Nous étions pétris de froid, l'hiver 1962-1963 était très rude, nous arrivions d'un pays chaud et nous étions démunis au niveau vestimentaire, alimentaire, etc.". Heureusement, ils ont pu compter sur l'aide de l'association Lions Club, qui existe toujours aujourd'hui. Grâce à eux, ils ont reçu des couvertures, des lits de camp ou encore du lait pour enfant.

J'ai un souvenir de précarité, d’isolement et surtout d’incompréhension parce qu'on ne nous a pas expliqué pourquoi on était là et pourquoi on nous a enfermé derrière une grande porte.

Abdélali Sadaoui, représentant des Harkis de la Somme

Il leur faudra attendre 1965 avant de se retrouver dans la cité Sonacotra, où 44 familles sont logées. "Il y avait un administrateur qui nous surveillait et nous vivions à 40 minutes du centre-ville et de l'école primaire". Abdélali Sadaoui et les autres habitants étaient confinés dans un lieu "complètement" isolé. "On nous a volontairement isolés pour ne pas nous mélanger à la population locale, il n'y avait aucune habitation, on était en pleine forêt, il n'y avait pas de magasins", ni de bus ou de taxi.

À cette époque, le premier sentiment qui le traverse est l'angoisse. "L'angoisse perdue depuis cette période-là puisque nous avons l'impression d'être en dette, de devoir affirmer notre citoyenneté française. On a l'impression que les gouvernements successifs détournent le regard dès qu'on parle de ce sujet-là". Il précise que sa démarche est faite "dans la bienveillance" puisque lui, comme d'autres harkis de la Somme, souhaite "simplement vivre comme les autres et bénéficier des mêmes droits que tous les citoyens français".

Pas de base juridique pour les descendants de harkis

Si les descendants de harkis ont réobtenu la nationalité française, c'est au niveau juridique que leur situation est compliquée. "Quand on fait appel à une juridiction, que ce soit un tribunal ou une administration, et que nous sommes enfants de harkis, il n'y a pas de base juridique légale et c'est ce point précis que nous voudrions corriger", explique Abdélali Sadaoui en ajoutant : "le moment est venu de nous reconnaître la citoyenneté française".

Mais si depuis 2022, une loi reconnaît les harkis et répare les préjudices subis, de nombreux collectifs réclament un texte plus fort, notamment sur la reconnaissance de cette citoyenneté française. Le but étant de ne plus les ramener à leur passé d'indigènes, de supplétifs ou de les réduire à des Français musulmans.

Zahia Hamdane, députée LFI-NFP de la 2eme circonscription de la Somme, rappelle qu'en arrivant en France, les harkis étaient déchus de leur nationalité et ont dû la redemander, "moyennant 5 francs". À l’époque, l'Algérie était encore française, "donc c'était un non-sens pour ces personnes-là de devoir aller au tribunal administratif la redemander parce qu'ils pensaient l'être tout autant".

La loi de 2022, "la loi Macron est venue avancer plusieurs choses et certains points autour de la question du pardon et de l'indemnisation, éventuellement, souligne Zahia Hamdane. Mais l'indemnisation symbolique est beaucoup plus importante, c'est un grand pas qui permettra de panser les blessures" de la guerre d'Algérie et d'un parcours migratoire semé d'embûches. 

Avec Enora Quellec / FTV

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