Les infirmiers de l’association Asalée, spécialisés dans l’éducation thérapeutique, lancent un cri d’alerte. L’association, unique en France, qui répond à la crise des soins primaires, n’est plus conventionné par l’assurance maladie. Pourtant, ils sont plus de 2 000 soignants à assurer le relais des médecins généralistes. Rencontre avec Hélène, une de ces infirmières dans la Somme.
Hélène, infirmière dans la Somme, spécialisée dans l’éducation thérapeutique, a alerté la presse, comme tous ses collègues de France, salariés de l’association Asalée (Action de santé libérale en équipe).
Ils ont aussi pris contacts avec les députés de leurs départements et le ministère de la santé. Tous sont inquiets pour l’avenir de l’association. Depuis un an et demi, la structure, financée par la Caisse nationale d’assurance maladie (CNAM), n’a plus de convention. Elle fonctionne donc sans cadre juridique. Ce qui pose un problème dans la rémunération des infirmières et le développement du dispositif. Pourtant, depuis 20 ans, la structure a fait ses preuves.
Des consultations adaptées
Nous avons rencontré Hélène dans un des cabinets médicaux qu’elle occupe chaque semaine pour recevoir ses patients. Aujourd’hui, c’est à Villers-Bocage. Elle a rendez-vous avec Yves, un patient qu’elle suit depuis plusieurs mois pour un diabète.
Après avoir fait le point sur ses derniers résultats d’examens sanguins, ils abordent des sujets plus personnels. Ici, pas de piqûres, ni d’auscultation, mais une écoute active. Quand ce patient de 66 ans a appris qu’il était atteint de diabète, il s’est tourné vers Hélène pour obtenir des réponses et surtout calmer ses angoisses.
"J’étais très stressé. Avec Hélène, j’ai pu vider mon sac. Ça m’a beaucoup aidé de pouvoir discuter avec elle. Et surtout, elle m’a donné beaucoup de conseils pour l’hygiène de vie. Elle m’a aidé à retrouver un équilibre dans mon alimentation. J’ai perdu 15 kilos en quelques mois et j’ai arrêté de fumer grâce aux patchs qu’elle a pu adapter à ma consommation de tabac. Elle est toujours à l’écoute", assure Yves.
On s’adapte en gardant le rythme du patient pour l’aider à mieux appréhender sa pathologie et à devenir autonome.
Hélène De Oliveira, infirmière Asalée dans la Somme
À chaque consultation, l’infirmière écoute, conseille et oriente ses patients vers des spécialistes, en fonction de leur pathologie. Formée à l’éducation thérapeutique, elle est un relai des médecins généralistes, souvent débordés.
"Nous prenons en compte la vie sociale, familiale, professionnelle du patient, son passé, ses besoins, ses projets… Et on s’adapte en gardant le rythme du patient pour l’aider à mieux appréhender sa pathologie et à devenir autonome. Ça prend du temps. Et c’est du temps que les médecins n’ont pas", explique Hélène De Oliveira.
L’infirmière prend en charge des malades chroniques. Ce sont le plus souvent des malades du diabète, des personnes à risque cardio-vasculaire, atteints de maladies pulmonaires ou des personnes souhaitant arrêter de fumer. Elle effectue également des dépistages pour le surpoids des enfants et les troubles cognitifs. Les missions sont variées et toutes réalisées en collaboration avec un médecin référent, lui aussi, adhérent de l’association.
Une association au chevet des médecins
En France, ils sont 2080 infirmiers et infirmières et 9155 médecins, affiliés à Asalée, répartis sur tout le territoire, y compris dans l’Outre-mer. Dans les Hauts-de-France, 74 infirmiers spécialisés officient dans les cabinets médicaux, aux côtés des médecins généralistes. Un dispositif unique en France, créé en 2004 par deux médecins généralistes. Au départ, il s’agit d’une expérimentation menée en Poitou-Charente pour améliorer la qualité des soins.
"C’était avant le problème de la désertification médicale. On s’est rendu compte, en tant que médecins généralistes, qu’on n’avait plus le temps d’expliquer la maladie à nos patients et de les accompagner dans un suivi. Après cette expérience de collaboration avec les infirmières spécialisées, on a constaté une meilleure prise en charge de nos patients et une diminution de la prescription de médicaments", se rappelle le docteur Isabelle Rambault Amoros, co-fondatrice et présidente de l’association Asalée.
Dans l’association, on a une organisation horizontale. C’est-à-dire qu’il n’y a pas de hiérarchie. Chacun est responsable de ses actes et de ses consultations.
Hélène De Oliveira, infirmière Asalée
Hélène, infirmière Asalée depuis juillet 2023, navigue entre Villers-Bocage, Querrieu et Poulainville, dans la Somme. Elle se déplace aussi à domicile. Cette trentenaire a découvert l’association lors de son parcours de reconversion. Après avoir travaillé 12 ans à l’hôpital, elle a fait un burn-out.
"Je ne pouvais pas retourner dans le système hospitalier. On est débordés, on n’a pas le temps de s’occuper des patients. Avec Asalée, j’ai découvert la bienveillance, l’écoute du patient. Et dans l’association, on a une organisation horizontale. C’est-à-dire qu’il n’y a pas de hiérarchie. Chacun est responsable de ses actes et de ses consultations. Avec les médecins, on échange beaucoup sur nos patients", décrit Hélène.
Chaque semaine, elle prévoit des rencontres avec les médecins. Un de ses "binômes", le docteur Eric Gombart, dont le cabinet est situé à la Maison médicale de l’Hallue, à Querrieu, est très attaché, lui aussi, à cette collaboration.
Il a découvert l’association il y a quelques mois et a observé une amélioration dans la prise en charge de ses patients depuis qu’il travaille avec Hélène. "C’est une aide formidable. Cette infirmière fait un autre métier que les autres soignants, celui de l’éducation. Elle nous aide pour accompagner nos patients. Ça nous fait gagner du temps. Mes patients sont mieux pris en charge. Le médecin généraliste est submergé de travail, il manque cruellement de temps. Je ne peux pas passer plus de quinze minutes avec eux alors qu’ils ont besoin d’un suivi. J’ai goûté à cette coopération et je ne veux plus m’en passer", affirme le médecin.
L'association de soins primaires en danger
Comme lui, de nombreux médecins sont volontaires pour entrer dans le dispositif, mais faute de convention avec son organisme financeur, l’assurance maladie, l’association a dû stopper tout développement. La dernière convention a pris fin le 21 décembre 2022.
Depuis, l’association et son financeur ne trouvent pas d’accord. "En juillet, la CNAM nous proposait une revalorisation salariale des infirmières, mais en contrepartie, nous devions accepter d’inscrire la surveillance par la CNAM de l’activité des médecins et le contrôle des missions et du temps de travail des infirmières. Ce qui est déjà fait par l’association. L’assurance maladie voulait aussi installer les infirmières Asalée dans les zones de désertification médicale. Mais leurs zones ne sont pas à jour. Or, nous le faisons déjà et c’est ce qui fait le succès d’Asalée : nous nous adaptons très vite aux besoins du terrain. Nous avons dû refuser cette proposition. Et, depuis, plus de nouvelle", explique le docteur Isabelle Rambault Amoros, co-fondatrice et présidente de l’association.
L’assurance maladie continue de verser 80 millions d’euros par an à l’association, mais lui a supprimé l’enveloppe des fonds propres, qui permet à la structure verser les salaires aux infirmières en temps et en heure. Une sorte de réserve, car d’après l’association, le versement des fonds de fonctionnement arrive, chaque mois, avec retard. Pour la présidente, l’urgence est de trouver un accord. "Le risque, c'est la cessation de paiement. Ce qui voudrait dire la fin de l’association. Ce serait dramatique pour les patients."
Plusieurs études ont évalué une économie financière de 10 % sur les dépenses de santé.
Isabelle Rambault Amoros, médecin et cofondatrice d'Asalée
Pourtant, depuis 20 ans, l’association a fait ses preuves. "De nombreuses thèses médicales ont démontré que le dispositif améliorait grandement la prise en charge des malades chroniques", affirme Isabelle Rambault Amoros. "Plusieurs études, dont celle de l’Institut de recherche et documentation en économie de la santé, ont évalué une économie financière de 10 % sur les dépenses de santé. L'Observatoire national de la démographie des professions de santé a estimé qu’il faudrait 6 000 infirmières et 30 000 médecins dans le dispositif. Mais, depuis, septembre, on a dû arrêter tous les recrutements. Notre situation est trop fragile. Pourtant, on a les candidatures. En trois mois, nous pourrions doubler nos effectifs"
De son côté, la Caisse nationale d’assurance maladie, indique qu’elle "soutient et continuera à soutenir pleinement le dispositif Asalée…. L’impact d’Asalée en matière de santé publique a été scientifiquement prouvé." La directrice de la CPAM de la Somme, que nous avons pu rencontrer, ajoute que "ce dispositif, financé à plus de 80 millions d’euros par an, apporte sa contribution auprès des médecins en faveur des patients. On sait que ce dispositif est efficace. Des discussions sont en cours pour clarifier ce sur quoi porte notre financement. Mais nous n’avons rien modifié de notre financement. Nous payons à la bonne date ce que l’on doit à l’association."
La Caisse nationale assure qu’elle n’a "ni suspendu, ni retardé, ni diminué ses versements mensuels. Ceux-ci sont réalisés chaque mois, dans les mêmes délais, pour les 1 200 infirmières Asalée." Mais les effectifs ont augmenté depuis la dernière convention. Les infirmières Asalée sont actuellement 2 080 en France et l’association doit fonctionner avec la même enveloppe. "Nous avons dû réorganiser le budget et faire sauter des dépenses. Par exemple, les médecins qui, normalement, sont rémunérés sur leurs temps d’échange régulier avec les infirmières, ne le sont plus depuis 14 mois", alerte la présidente d’Asalée.
Dans l’urgence, l’association a lancé une pétition en ligne : "Le cri d’infirmier(e)s et médecins Asalée : stop au démantèlement des soins primaires", pour défendre la structure. Les membres ont aussi alerté le ministère de la Santé et le Premier ministre.