Entre les récentes élections européennes et les législatives anticipées à venir, la politique est omniprésente dans les conversations. À Rainneville et Villers-Bocage, dans la Somme, les habitants rencontrés se confient facilement sur leurs préoccupations, diverses et illustrant les clivages actuels.
14h30, jeudi après-midi, le boulodrome de Rainneville voit arriver ses habitués. Entre deux parties de pétanque, la politique reste un sujet de conversation.
Jean-Marie, ancien ouvrier, exprime sa frustration : "On ne parle que d’immigration, de Front national, mais est-ce qu’on parle des ouvriers comme moi qui ont travaillé toute leur vie et qui vivent maintenant avec une retraite de 1 100 € ? On n’aborde pas ces sujets-là, ni les augmentations de nos factures d’électricité, etc."
Cet électeur assidu partage son désenchantement : "Moi j’ai toujours voté à gauche, mais vous savez aujourd’hui gauche, droite, c'est la même chose, on est un peu écœuré". Malgré le dépit, il continuera de voter, quitte à voter blanc.
"Je ne tiendrai pas jusqu’à la retraite"
Pour d'autres, comme Bruno, 59 ans, ouvrier dans le bâtiment, la question de l'âge de la retraite est cruciale : "Macron avait dit qu’il allait faire quelque chose pour les ouvriers qui ont un métier difficile, ils croient qu’on va travailler jusqu’à 70 ans dans le bâtiment ? Ils sont malades ! Moi j’ai 59 ans, et je suis déjà broyé, je me fais opérer la semaine prochaine, je ne tiendrai pas jusqu’à ma retraite à 62 ans". Lui, n’a jamais voté : "ça ne change rien, ils font ce qu’ils veulent, à quoi ça sert de voter ?".
Dans cette commune de 1 000 habitants, la liste Rassemblement national menée par Jordan Bardella est arrivée en tête avec 41,2 % des voix. Une question qui divise dans ce boulodrome. "Pourquoi pas changer, mettre quelqu’un d’autre au pouvoir ?" lance Bruno. "Mais le Front national, ils ne vont rien faire pour les ouvriers, c’est un parti de riches, tout ce qui les intéresse, c'est d’être bien placés", lui rétorque Jean-Marie.
"On est trop oubliés"
Devant la boulangerie du village, Lysiane raconte son désenchantement : "La politique et moi ça fait deux, je ne vous cache pas que depuis quelque temps, je ne vais plus voter. J’ai voté jusqu’aux dernières élections présidentielles, mais là, c'est fini. Je trouve qu’on est trop oubliés. Je vais avoir 76 ans, que fait-on pour les vieux ? Je me retrouve toute seule, sans mari, avec ma fille adulte handicapée physique à charge. C’est moi qui me débrouille toute seule et je ne m’en sors pas, alors que j’ai travaillé depuis l’âge de 14 ans". Dans ses mains, quelques viennoiseries, l’un des rares petits plaisirs qu’elle s’accorde.
Son autre préoccupation : les jeunes. "Vous voyez les gamins comment ils deviennent à cause d’internet, ajoute Lysiane. Il faudrait mettre des sécurités, vous allumez la télévision, ce n'est que de la violence. C’est pour ça que les jeunes deviennent comme ça".
À Villers-Bocage, au nord d’Amiens, Luc évoque son inquiétude sur les questions internationales : "c’est en train de péter de partout, et Macron joue avec Poutine, ça va se finir en guerre mondiale. Qu’il s’occupe déjà des problèmes de chez nous. Il n’y a déjà pas d’argent en France, on va donner des milliards à l’étranger, à l’Ukraine".
"Un climat raciste et islamophobe"
Nawel, infirmière d’origine marocaine, arrivée en France il y a 35 ans, n’a plus le moral depuis quelques semaines : "je me lève tous les matins à 5h pour aller travailler à l’hôpital. Je suis utile à la société et là, quand je vois le score du Front national, ça me fait mal au cœur. Et maintenant les gens n’ont plus honte de dire qu’ils votent Le Pen ou Bardella, mais ils sont bien contents que les immigrés soient là pour les soigner. C’est difficile à vivre ce climat raciste et islamophobe".
"Il est urgent qu’on agisse pour le climat"
Mariella et Julie, toutes deux âgées de 19 ans, ont des opinions contrastées sur la politique. Mariella n’a pas voté aux élections européennes : "j'avoue que pour moi l’Union européenne, c'est pas très concret, je ne me sentais pas concernée, je ne sais même pas si je suis inscrite sur les listes"
Julie, en revanche, reste optimiste : "j’y vais parce que je pense que la politique peut changer les choses, notamment sur les questions environnementales. Je pense que c’est urgent que l’on agisse pour le climat. Et si nous, les jeunes, on ne le fait pas, rien ne changera, car ça n’intéresse pas les personnes plus âgées. À l’heure actuelle, je ne sais même pas si j’ai envie d’avoir des enfants, parce que si c’est pour qu’ils grandissent dans un monde invivable, ça ne sert à rien".