Témoignages. Les enseignants peu convaincus par le plan de revalorisation des salaires : "90 euros, ce n'est pas les 10% demandés"

Publié le Écrit par Anas Daif
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Face aux mesures gouvernementales pour revaloriser la profession d'enseignant, de nombreux professeurs élèvent la voix pour pointer du doigt plusieurs problèmes : absence de prise en compte de l'augmentation des salaires dans les cotisations retraites, conditions de travail compliquées, heures à rallonge... Deux d'entre eux témoignent.

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Les enseignants ne sont pas convaincus par les récentes annonces sur la revalorisation de leurs salaires, et ils le font entendre. 

Le gouvernement a annoncé plusieurs mesures : un salaire minimal de 2 000 euros pour tous les enseignants, des indemnités promises de 100 à 230 euros nets par mois, mais aussi des heures supplémentaires de soutien scolaire sur la base du volontariat, payées de 1 250 à 3 750 euros brut par an. 

Mais pour Haydée Leblanc, secrétaire départementale FSU-SNUipp 80, même si "le grand public a entendu que les enseignants allaient être augmentés de 10% chaque mois, et bien, c'est un mensonge". 

"Depuis 2010, on a perdu l'équivalent d'un mois de salaire chaque année"

Certes, ils vont recevoir des indemnités, mais celles-ci "ne vont pas être prises en compte dans le calcul de la retraite" et ne vont pas "entrer dans la caisse des retraites". Une décision qu'elle ne juge "pas admissible en ce moment". 

L'annonce des 10%, faite en août 2022, devait s'appliquer en janvier 2023. Elle ne sera finalement mise en œuvre qu'au mois de septembre mais "personne n'aura 10% d'augmentation salariale". Au mieux, il s'agira d'indemnités "certes substantielles en début de carrière, mais largement méritées". 

On va avoir 90 euros net par mois, qui est une indemnité qui n’est pas du point d’indice, qui ne compte pas pour les retraites. Est-ce que 90 euros c’est 10% d’augmentation pour tous les enseignants comme ça a été annoncé ? Bien sûr que non.

Haydée Leblanc, secrétaire départementale FSU-SNUipp 80

De leur côté, les syndicats réclament 300 euros net "parce que depuis 2010" ils ont perdu "l'équivalent d'un mois de salaire chaque année". Il y a eu certes l'augmentation générale du SMIC chaque année, les négociations annuelles obligatoires dans les entreprises et les salaires qui augmentent, "c'est légitime", reconnaît Haydée Leblanc. Mais du côté de l'Éducation nationale, elle regrette qu'il n'y ait que "deux fois 0,6% d'augmentation depuis 2010. Sinon, chaque année, c'est 0%, 0% et 0% pour tous les fonctionnaires. Il faut que ça s'arrête". 

"Travailler plus pour gagner plus : on connaît ce refrain"

Pour la secrétaire départementale, il n'est pas concevable de travailler plus pour gagner plus. "On connait ce refrain, il a déjà été chanté par Nicolas Sarkozy", souligne-t-elle en ajoutant que les enseignants français font partie de ceux qui travaillent le plus dans les pays de l'OCDE et de l'Europe. Toutefois, le salaire ne suit pas, selon un rapport publié en 2022

"On travaille en moyenne 43 heures par semaine et ce ne sont pas les organisations syndicales qui le disent. On travaille beaucoup plus si on est en début de carrière, beaucoup plus si on est directrice ou directeur d'école". Faire des heures supplémentaires reviendrait aussi à creuser "encore les inégalités femme-homme qui sont déjà une des causes du manque de financement de la caisse de retraite". 

Ces heures supplémentaires "sont davantage effectuées par les hommes que par les femmes parce que ce sont toujours les femmes essentiellement qui assurent la charge familiale : aller chercher les enfants à la sortie de l'école, les conduire aux activités, les emmener chez le médecin, préparer le repas, le bain, etc". Toute cette charge mentale, qui se poursuit aussi pendant les vacances, augmenterait le déclassement salarial entre les femmes et les hommes. 

On veut pas travailler plus, on veut que le travail qu'on effectue déjà, qui est déjà du travail supplémentaire, soit rémunéré à la hauteur de ce qu’il est.

Haydée Leblanc, secrétaire départementale FSU-SNUipp 80

Selon la dernière étude de la Direction évaluation prospective des performances (DEPP) du mois de novembre 2022, les enseignants travaillent 43 heures par semaine. "Il faudrait rajouter deux heures par semaine proposées par le ministre de l'Éducation nationale", parmi les mesures avancées, "deux heures qui sont deux heures d'enseignement, deux heures qu'il faut préparer et qu'il faut corriger, donc on arrive à presque 50 heures par semaines", détaille-t-elle. 

"On se rapproche de plus en plus de la pauvreté"

De son côté, Romain Mareen, professeur d'histoire, précise néanmoins que les professeurs ne peuvent pas se considérer comme "une catégorie pauvre" car ils sont au-dessus du SMIC. "Quand on voit comment des gens ont du mal aujourd'hui, surtout avec l'inflation, on n'est pas encore dans ce type de pauvreté", admet-il. Toutefois, il reconnaît qu'il ne peut se dire "riche" et que lui et ses collègues ont "ce sentiment qu'on se rapproche de plus en plus au final de la pauvreté."

Aujourd'hui, même en tant que professeur, il se sent obligé de regarder davantage les prix. "Je n'ai pas beaucoup d'expériences, mais pourtant, je sens bien qu'avec l'inflation actuelle, avec les coûts, notamment de l'essence qui sont de plus en plus gros, il faut regarder des fois les prix, regarder ses activités, regarder son budget vacances sur lequel on grignote de plus en plus."

Auparavant, il note que les professeurs pouvaient partir de "trois à quatre fois en vacances chaque année sans aucun souci" mais désormais, ils sont obligés d'en retirer au moins une. Haydée Leblanc note même un "vrai déclassement salarial" et observe que de plus en plus de ses collègues disent faire leurs courses dans des enseignes de sous-distribution. Certains ne vont même "plus en vacances" et "n'emmènent plus leurs enfants en vacances alors qu'avant, c'était des choses faciles". 

Alors, on ne partait pas à l’autre bout du monde mais on pouvait aller en vacances l’été, peut-être aussi avoir la chance d’aller à la montagne l’hiver. Est-ce que ça, c’est vivre dans le luxe ? Pas vraiment, quand même.

Haydée Leblanc, secrétaire départementale FSU-SNUipp 80

Romain Mareen, quant à lui, a "de la chance entre guillemets" de ne pas avoir d'enfant avec sa compagne, ce qui représente une charge en moins dans le budget. "Par contre, c'est vrai qu'on commence déjà à regarder, si on a des enfants, il va falloir se restreindre davantage pour mener un train de vie". Il a du mal à concevoir que pour une profession accessible à Bac +5, il se sente forcé de "regarder son salaire, de faire des comptes d'apothicaires tous les mois" pour savoir s'il va pouvoir "faire tout ce que j'ai envie cette année", investir ou mettre de l'argent de côté. 

"Une crise de l'attractivité profonde"

Une chose est sûre, le professeur d'histoire ne se voit pas finir sa vie dans l'Éducation nationale. "Le salaire va stagner, la reconnaissance n'est pas là, on a l'impression de se faire maltraiter par l'institution, par les ministres, par tous les gouvernements qui se succèdent". Et même s'il affirme adorer ce qu'il fait, il compte aller "voir ailleurs puisque ce n'est plus possible de continuer comme ça."

Le manque d'attractivité de la profession est tel que l'Éducation nationale doit faire "appel à des personnels contractuels qui sont des gens qui, certes, ont envie d'exercer le métier, mais qui ne sont pas formés, qui débarquent et qui voient le quotidien très difficile du métier", constate Haydée Leblanc qui estime qu'on ne peut pas soigner "un bateau qui coule avec des pansements sur la coque". 

On nous fait miroiter plein de choses, on nous fait de grandes promesses pour qu’on se taise et qu’on laisse couler, pour laisser les examens bien se faire. Là, cette annonce d’augmentation arrive aussi au moment des corrections du bac. Ce n'est pas pour rien.

Romain Mareen, professeur d'histoire

Romain Mareen irait même jusqu'à dire de fuire la profession à un ami qui voudrait devenir enseignant. Même si les vacances peuvent être un atout, que les salaires restent décents en faisant des heures supplémentaires, la "reconnaissance par l'institution et la société ne sera pas là".

"Tant que ça reste comme ça, l'Éducation nationale n'a pas d'avenir" 

Il insiste sur le fait que c'est "un travail qui va être beaucoup plus dur qu'ils ne le pensent" et qui va demander "énormément d'énergie, avec des classes de plus en plus nombreuses, de plus en plus difficiles puisque l'évolution de la société fait qu'on a plus de difficultés à se concentrer, à être attentifs en classe". C'est un constat qu'il pose également sur sa propre personne. 

Ce sont des promesses qui sont rarement tenues et quand elles sont tenues, elles ne le sont qu’à moitié avec des augmentations qui ne sont pas à la hauteur de ce qu’on attend. Donc on ne va pas dire non à une augmentation, mais celle-là n’est pas suffisante.

Romain Mareen, professeur d'histoire

Par exemple, il y a des cours où "vous allez apprendre aux élèves pendant 15 minutes et les 40 autres minutes, vous allez parler de tout, vous allez essayer de faire de la gestion de classe, vous allez aider des élèves". Mais on s'apercevra rapidement que "ces élèves pour qui vous êtes engagés, que vous avez envie d'aider" ne vont pas forcément tous réussir.

En faisant le calcul, "quand vous avez 30 élèves dans une classe et que vous avez 55 minutes pour le faire cours, vous avez de quoi passer 1 minute 30 par élève". Mais quand un jeune a des difficultés, il ne comprendra "rien" en si peu de temps. 

Au final, pour lui, il existe d'autres métiers où on "se sentira peut-être plus utile" car en l'état, "l'Éducation nationale n'a pas d'avenir". Romain Mareen le voit avec ses collègues de promotion. "Aujourd'hui, sur 10 collègues avec qui je discute, qui ont commencé en même temps que moi, on est 9 à vouloir partir. Et je pense que ce n'est pas anodin", conclut-il. 

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