Témoignage. Elle déménage de Lyon pour scolariser son fils autiste en Belgique : "En France, il y a trop d'attente"

Publié le Mis à jour le Écrit par Noémie Javey
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Virginie Germain a décidé de s'installer à la frontière belge pour pouvoir scolariser son enfant autiste en Belgique. Une situation loin d'être isolée : elle concernerait plus de 6 000 personnes handicapées installées en Belgique par manque de structures adaptées. 

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Originaire d'Isère, Virginie Germain a décidé de franchir le pas et de déménager à la frontière belge. Dans un reportage de France 3 Auvergne Rhône-Alpes, elle explique son choix de partir. Elle déplore un manque important de structures adaptées et des temps d'attente "trop longs".

En 2015, Kaïs, le fils de Virginie Germain est détecté autiste, un an après l'apparition des premiers signes : "J'ai dû me battre pour établir le diagnostic de mon fils. Au début, les médecins que je rencontrais me disaient que j'étais une maman inquiète. Puis j'ai rencontré un pédopsychiatre qui a pu établir le diagnostic".
 

L'autisme qui le touche est régressif : "Jusqu'à ses deux ans, il était normal. Par rapport à des enfants d'amies qui avaient le même âge, il était même en avance : le premier à parler, le premier à marcher, ... Mais à ses 28 mois, il a commencé à avoir des comportements que je trouvais bizarre. Il sautait sur place en regardant sa main et en faisant des bruits. Tout doucement, il a arrêté de parler et ses stimuli, ses gestes anormaux, ont augmenté.", raconte sa mère. 

Le constat tombe mais c'est un vertige pour Virginie Germain : "On m'a lâchée dans la nature. Déjà, il faut savoir qu'aucun enfant autiste n'est pareil. La seule chose qui les caractérise, c'est qu'ils ont de gros soucis sensoriels. Leurs sens sont soit sous-développés soit sur-développés", explique-t-elle.
 

"On m'a annoncé sept ans d'attente. Encore aujourd'hui [...], je suis sur liste d'attente"


À l'inconnu qui plane autour du trouble de son fils s'ajoute de nombreuses démarches administratives dont elle ignorait tout : "On m'a demandé de remplir un dossier à la MDPH [maison départementale des personnes handicapées, ndlr] pour qu'il puisse bénéficier des SESSAD [Services d'éducation spéciale et de soins à domicile]. On m'a annoncé sept ans d'attente. Cinq ans plus tard, je suis toujours sur liste d'attente."

Sauf que désormais, Virginie Germain n'a plus le temps : "Quand Kaïs était à l'école, en maternelle, il n'était déjà scolarisé que quatre heures par semaine. Je savais qu'au CP ce serait impossible de le faire scolariser avec les autres enfants. J'ai essayé de trouver des solutions mais en vain".
 
Elle a fait une demande pour qu'il intègre un IME [Institut médico-éducatif], mais on lui a annoncé trois ans d'attente. Elle a négocié avec l'école pour qu'il redouble sa grande section et qu'il continue à être scolarisé une année supplémentaire, mais l'année s'est écoulée sans que des solutions ne soient trouvées. 

"Je viens de perdre deux ans avec mon fils", déplore-t-elle. La solution, elle a dû la trouver en Belgique. "L'éducatrice spécialisée m'a parlé d'une école en Belgique, la Goëlette. Quand j'ai vu ce qu'elle proposait, je me suis mise à pleurer. C'était complètement ce qu'il fallait pour Kaïs !"
 

"Toute la maison est organisée autour de Kaïs"


La non-scolarisation de Kaïs est un vrai problème et accentue sa dépendance à sa mère. "Le souci, c'est que mon fils ne sort plus de la maison. Il ne veut que moi. Je me suis investie à 2000%. J'ai été formée et j'ai tout mis en place au niveau sensoriel et éducatif pour développer son autonomie. La maison est organisée autour de lui."

Autre impact : Kaïs ne parle plus et devient violent : "Comme Kaïs est non verbal, il va vous mordre, vous frapper, vous cracher à la figure pour montrer son mécontentement. Je veux pouvoir l'aider à être autonome pour qu'il communique avec d'autres personnes. Tant que je vois mon enfant faire des progrès, je le vis bien. Mais qu'est-ce qui va se passer quand il aura 14, 30 ans ? "

Chaque journée est très ritualisée par cette maman. "Tous les jours, on fait la même chose. Je lui apprends à s'habiller, à se laver. Depuis plus d'un an, je lui apprends à se brosser les dents par exemple. Pour l'instant, il n'est pas autonome dans sa toilette. Je lui fais aussi des exercices sensoriels, de guidance visuelle pour lui apprendre à faire un puzzle, à prendre un crayon. On va aussi au parc lorsque les autres enfants sont à l'école et il a un temps pour décompresser dans sa chambre. Les volets y sont toujours fermés et j'y ai disposé des néons de boîte de nuit pour répondre à ses besoins sensoriels."
 
 
Mais tous ces aménagements ont un coût : "Un fauteuil pour une personne handicapée physiquement sera remboursé ou du moins en partie, mais des lumières de boîte de nuit, ou l'impression de je ne sais combien d'étiquettes plastifiées tous les jours, non. On ne reconnaît l'autisme vraiment à aucun niveau. On est obligé de faire du bricolage pour tout : les allocations, l'éducation, ... J'en suis écoeurée. J'ai été mise en lien avec le défenseur des droits mais ils ont 100 000 dossiers équivalents au mien."

A cette journée très calibrée, s'ajoutent les rendez-vous avec des spécialistes : ergothérapeute, psychomotricien, orthophoniste. Tous sont situés à trente minutes du domicile de Virginie Germain. 
 

"Même dans dix ans, la France n'arrivera pas à la cheville de la Belgique"


Elle espère donc s'installer d'ici septembre à la frontière belge. "Je sais que ça ne sert à rien d'attendre car, dans 10 ans, la France n'arrivera pas à la cheville de la Belgique. Je prends un très gros risque avec Kaïs. Le fait de changer de maison peut me faire perdre tout le travail que j'ai fait depuis cinq ans avec lui. J'ai très peur de ça."

Elle doit aussi préserver son deuxième fils, Timothée : "Il a déjà une vie compliquée, je veux lui laisser finir son année scolaire et qu'il puisse profiter de ses grands-parents. Autant Kaïs ne se rendra pas compte de leur absence, autant pour Timothée, ce sera compliqué."
 

Virginie Germain s'occupe à plein temps de Kaïs. Elle a créé une cagnotte pour pouvoir réunir les fonds pour déménager et offrir une nouvelle vie à son enfant. "Si Kaïs peut travailler, je serai la plus heureuse. Je ne sais pas ce qui est possible, mais il a fait des progrès et je sais que s'il était pris en charge correctement, il s'en sortirait très bien et je pourrais travailler. Toutes ces personnes qu'on n'aide pas à devenir autonomes vont rester vivre au crochet de la société."


96 des enfants scolarisés dans cette école belge spécialisée sont français


Virginie Germain n'est pas la seule dans cette situation. Laetitia Roseeuw, qui habitait aussi en Isère, s'est installée à Wattrelos, à la frontière belge depuis maintenant un an et demi avec ses trois enfants. Son dernier a 7 ans et est autiste atypique. Elle vient de le scolariser en Belgique, à l'école la Goëlette à Leers-Nord, près de la frontière.
 

"C'est une école spécialisée pour les enfants en situation de handicap. Ils sont huit par classe et les maîtresses sont formées pour l'autisme et le handicap, ce qui n'est pas le cas en France. Chaque jour, un temps est pris pour travailler et au sein de l'école, il y a un orthophoniste et un kiné", explique la mère d'Ethan. 
 
Les progrès de son fils sont visibles rapidement : "Il ne savait pas parler. Maintenant, il commence à parler, à vouloir faire des choses par lui-même." Un pari gagnant pour cette mère qui a dû s'éloigner de ses deux autres enfants âgés de 20 et 23 ans : "On n'a pas le choix. Il y a trop d'attente, les structures en France ne sont pas adaptées. Et je ne regrette pas du tout mon choix, mon fils est épanoui et serein. Il aime aller à l'école."
 
Dans cette école où Virginie Germain devrait elle aussi scolariser Kaïs, la directrice, Sylvie Marescaux indique que "96 enfants sont français sur les 150 enfants scolarisés".

 
Pourquoi la Belgique plus qu'un autre pays frontalier ?
Selon Jean-Marie Duez, médecin conseil auprès de la caisse régionale d'assurance-maladie à Lille, interrogé par Le Monde, la préférence pour la Belgique est historique. Au moment de la Seconde Guerre mondiale, les institutions religieuses et les riches familles ont accueilli et scolarisé des petits Français, orphelins ou enfants de déportés.

Dans les années qui ont suivi, l'assurance-maladie française, confrontée à une forte demande des parents d'enfants handicapés et au manque de structure, a encouragé un "mouvement naturel" vers la Belgique. 

Au milieu des années 90, cette tendance est actée : la caisse nationale d'assurance-maladie est mandatée pour passer des conventions avec des établissements belges. 

L'échange a perduré car il est bénéfique pour les deux pays : 
 
  • D'un côté, la sécurité sociale française paye les instituts belges à des prix inférieurs à la journée que ce qu'elle ferait en France et est assurée d'avoir des places qui lui sont réservées. Selon Cristel Prado, présidente de l'Unapei, chaque année, l'Assurance maladie et les départements déboursent "250 millions d'euros" pour financer cette prise en charge.
     
  • De l'autre, les établissements belges peuvent compter sur des rentrées stables, supérieures aux versements de la sécurité sociale belge. 
Selon Christel Prado, présidente de l'Unapei, "outre les 6 500 personnes exilées en Belgique", la France compte "plus de 47 000 personnes" sans solution d'accueil
 
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