Près de 70 variétés de poiriers sont répertoriées et observées avec attention dans ce verger conservatoire, planté en 1976 dans le Parc naturel régional Normandie-Maine. Ces poires rustiques au goût acidulé servent pour la plupart à la production de poiré.
Il faut ramasser les petites poires délicatement, à la main. Les prélever de la fine bâche blanche qui couvre le pied des arbres. Elles sont ensuite disposées avec soin dans des cageots en bois, triés selon leur variété.
Chaque automne, la récolte des fruits anciens du verger conservatoire de la Maison du Parc à Carrouges (Orne) se déroule dans le respect de la tradition, sans mécanisation.
Répertorier les variétés
Ce jeudi 26 octobre, ils sont six saisonniers à en cueillir le précieux héritage : 69 variétés de poires, fruit de croisements et de greffes. Les genoux posés sur l'herbe mouillée, blousons imperméables sur le dos, ils remplissent leurs seaux en plastique vert des fruits tombés des arbres. L'un d’eux, équipé d'une longue perche, gaule les poiriers pour assurer la récolte.
Entre la Normandie et le Maine, on recense aujourd'hui une centaine de variétés. Propriété du Parc naturel régional Normandie-Maine, le verger a été planté en 1976 pour conserver et répertorier les espèces historiquement présentes dans la région.
Dans l'immédiat après-guerre, des centaines de pommiers et poiriers ont disparu du paysage. Les agriculteurs avaient été incités à arracher les arbres pour privilégier l'élevage intensif. À l’époque, la moitié de la surface agricole de la Manche était plantée de vergers.
Des poires à poiré
"Avoir cette bibliothèque végétale, c'est une chance que peu de gens ont. Les vergers conservatoires de ce type-là sont une donnée rare qu'il faut préserver", note Edouard Bénard, large sourire et dreadlocks, producteur récoltant de cidre et de poiré à La Lande-de-Goult (Orne).
Ce jeune agriculteur s'est vu confier la responsabilité de valoriser ce patrimoine méconnu. Depuis 2018, il récolte les poires du domaine et observe leurs caractéristiques.
Amiral, Oyonet, De Long, Grois Gonthier, Fausset ... Ces poires au caractère bien affirmé servent à fabriquer du poiré, un alcool effervescent typique de Normandie et cousin du cidre."On a le côté fruité. On a le côté acide. On a le côté poire mûre un peu alcooleuse. Un panel très mal connu en fait", remarque-t-il, une poire entre les doigts.
Les cueilleurs retirent les poires molles - elles doivent être fermes pour leur conservation avant la transformation -, et celles abîmées par la météo. Les feuilles sont aussi retirées.
Un héritage à protéger
Ladislas, l'un des saisonniers, prend le contenu de son panier en photo avec son téléphone. Il suit une formation accélérée en production cidricole au lycée du Robillard, à Saint-Pierre-en-Auge (Calvados)
"Je repère les espèces qui m'intéressent pour m'installer en tant que pomiculteur. J'aimerais produire du poiré haut de gamme en Suisse Normande", explique le professeur de SVT, venu pour découvrir le fonctionnement du verger.
Les poiriers de la Maison du Parc de Carrouges rentrent dans l'âge adulte. Et leur comportement est riche d'enseignements. Édouard Bénard semble même avoir identifié des variétés rustiques armées pour affronter les changements climatiques.
En 2022, la récolte des poires a été catastrophique dans le Domfrontais. Le gel du printemps, fréquent ces dernières saisons, avait obligé les agriculteurs à réduire drastiquement leur production.
Si l'on ne connaît pas le nombre exact de variétés existantes, le Parc naturel régional Normandie-Maine recense autant que possible les espèces identifiées sur son site internet.