Une trentaine de personnes manifestaient mercredi devant le Conseil Départemental de l'Ordre des médecins du Calvados. Des patients du docteur Jean-François Aly se sont déplacés pour soutenir leur praticien, radié par l'ordre des médecins.
La décision a été validée par le conseil national de l'ordre des médecins. Radié l'an dernier par la chambre disciplinaire de l'ordre régional des médecins, Jean-François Aly, médecin généraliste à Hérouville Saint-Clair n'exercera plus son métier à compter du 1er novembre. Le cabinet devra fermer.
Suite à une plainte conjointe du conseil départemental du Calvados de l'ordre des médecins et de la caisse primaire d'assurance maladie, le docteur Jean-François Aly a été entendu par la chambre disciplinaire normande en mai 2022. Celle-ci a retenu des manquements graves dans certaines prescriptions de médicaments et a décidé sa radiation. Une décision rare, confirmée par l'ordre national des médecins qui avait déjà condamné le médecin en mai 2016 à une interdiction d'exercer la médecine pendant deux ans, assortie d'un sursis d'un an pour des prescriptions de méthadone et de subutex (substituts à des opiacés) non respectueuses de la réglementation.
Des manquements graves réfutés par le médecin
Cette fois encore, il lui est reproché d'avoir donné abusivement des antidouleurs puissants, des somnifères, des substituts aux opiacés à des patients qu'il voyait pour la première fois ou qui avaient déjà un traitement de substitution de type méthadone. Selon l'Ordre des médecins, le docteur Aly a prescrit du subutex (substitut à l’héroïne) à 16 patients sans respecter la règle du fractionnement, étant ajouté la mention : à délivrer en une seule fois, d'où un risque de décès par surdose.
Le médecin réfute en bloc ces allégations et produit des témoignages qu'il explique avoir versé au dossier. Il assure qu'il y a eu dysfonctionnement avec le CSAPA, le centre de soins, d'accompagnement et de prévention en addictologie de Caen où il envoyait ses patients toxicomanes (environ 5 % de sa patientèle) et qui ne lui faisait, selon lui, aucun compte rendu de situation.
L'instance normande a aussi pointé, à l'encontre du médecin, une prescription de lyrica (ou prégabaline), un antidouleur « à 48 patients hors indications médicales »
pour des sujets « parfois très jeunes (dont un mineur de 17 ans) »
ou « en association avec des opiacés, association particulièrement recherchée par les toxicomanes pour son effet hallucinogène »
.
Sur ce point, le docteur Aly se défend.
Je ne prescris jamais à mes patients plus de la moitié de la dose maximale et au-delà, je les oriente vers un spécialiste. Un de mes confrères prescrit des doses maximales sans être inquiété. Des spécialistes prescrivent aussi des doses maximales avec "suppléments autorisés" sans autre précision sur les ordonnances… Là non plus, sans demande d'explication de la CPAM. "Il y a inégalités devant les règles ! J'ai adressé un courrier au contrôle médical pour avoir des explications, mais je n'ai pas de réponse pour l'instant.
Jean-François Aly, médecin généraliste à Hérouville Saint-Clair
Le docteur Aly nous présente par ailleurs plusieurs ordonnances (dont il affirme qu'elles ont été falsifiées) avec des surdosages réalisés par des patients en manque. "L'administration tient compte de ces faux documents qui me portent préjudice", ajoute le médecin.
S'agissant de la prescription des somnifères qui lui est aussi reprochée, il dit avoir donné plusieurs cachets de stilnox (somnifère) à une patiente suicidaire qui n'avait plus d'estomac ni d'œsophage et qui les vomissait à chaque ingestion, dans l'espoir qu'elle puisse au moins en ingérer un.
Dans sa décision de radiation, la chambre reproche aussi au médecin un nombre d’actes anormalement élevé, comme avec une patiente de 62 ans vue 78 fois en un an, ou avec un malade cardiaque examiné 123 fois en un an, sans pourtant « bénéficier d’aucun suivi de fond de sa grave pathologie »
.
Nous avons contacté Chaib Salahdine, le patient du docteur Aly, il explique : "J'ai fait deux infarctus du myocarde à 47 ans alors que j'étais infirmier. Je travaillais beaucoup et fumais beaucoup. Je ne supportais pas le traitement du CHU, je voulais l'alléger tout en restant en contact avec mon cardiologue. Je me suis mis à faire du sport, j'ai diminué la cigarette, j'ai arrêté de manger gras et du coup, j'ai beaucoup maigri. Moralement, j'étais très mal. J'ai rencontré Monsieur Aly qui m'a prescrit des compléments alimentaires, ce qui m'a redonné du tonus. C'est vrai que je suis allé de nombreuses fois chez lui, car je n'allais pas bien, il n'est pas venu me chercher. Il était un soutien moral important, mais je ne ressortais pas forcément avec une ordonnance."
Le docteur Aly affirme travailler du matin au soir. Avec 2000 patients, il a la deuxième patientèle du Calvados. Sa disponibilité semble appréciée par les habitants qui peuvent être reçus sans rendez-vous.
Je n'arrive pas à comprendre que ce médecin soit radié. Cela va être un grand préjudice dans cette ville pour plusieurs milliers de patients. Je trouve cela aberrant au moment où l'on parle de désertification médicale. Un médecin est parti à la retraite il y a peu. Heureusement qu'il est là, il ne limite pas sa clientèle, son cabinet est plein tous les jours. Sans lui, on serait obligés d'aller à SOS médecins ou aux urgences.
Stanislas Goï, habitant du quartier de la Haute Folie à Hérouville Saint-Clair
Selon le docteur Aly, l'origine de cette affaire serait le témoignage de soutien apporté il y a quelques années à l'un de ces patients. Ce dernier a porté plainte auprès de l'ordre des médecins contre le médecin contrôleur de la CPAM qui ne voulait plus lui donner sa dose de subutex, en lui disant "d'aller s'en procurer auprès de ses dealers à la gare".
"Vous n'aurez pas votre subutex et si vous êtes en manque, allez voir vos dealers à la gare !". Tels sont les propos que le médecin contrôleur de la Cpam a dit à mon patient et qu'il a réitéré devant moi. Je les ai confirmés par écrit auprès de l'ordre des médecins.
Jean-François Aly, médecin généraliste à Hérouville Saint-Clair
Selon Jean-François Aly, quelques années plus tard, ce médecin contrôleur le contrôle "sur la base d'éléments chiffrés qui n'ont pas été contextualisés et obtient sa radiation". Contactée par nos soins, la Cpam du Calvados ne s'est pas exprimée sur le sujet.
Un collectif de soutien a été créé dès le début de processus de radiation. Il essaie de se faire entendre auprès de la CPAM et de l'ordre des médecins.
Dans cette affaire, les patients n'ont pas été entendus, nous avons le sentiment d'être pris en otage. Le docteur Aly n'a jamais fait l'objet de plainte de patients contre lui dans sa carrière professionnelle. Il est très disponible, très humain avec une très bonne approche de ses patients.
Sandrine, pour le collectif de soutien au Docteur Aly
Le collectif s'inquiète de l'avenir du cabinet et se demande qui va prendre en charge la patientèle très diverse du médecin qui s'occupe, entre autres, des toxicomanes ou des gens du voyage.
L'ordre régional des médecins n'a pas souhaité commenter sa décision, validée par la chambre disciplinaire de l'ordre national. Après un premier appel rejeté par cette même chambre disciplinaire, le docteur Aly a saisi le Conseil d'Etat.