TEMOIGNAGE. "On met toute notre vie en stand-by". Le combat quotidien de Mauranne, mère d’un enfant autiste

A l’occasion de la Journée mondiale de l'autisme, nous avons recueilli le témoignage de la mère d’un enfant autiste non-verbal. Mauranne Lequertier élève seule Valentin, 3 ans et demi, et se bat chaque jour pour le faire progresser. L’enfant est bien suivi, et malgré les difficultés, sa maman garde l’espoir qu’il parvienne un jour à s’exprimer.

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" Tu me montres ce que tu veux sur le tableau ?" Valentin désigne un pictogramme avec enthousiasme. Des petits carrés à scratch, qui représentent, chacun, une activité (mettre son manteau, se brosser les dents, aller aux toilettes…), un jeu éducatif, un dessin-animé ou encore un en-cas.

Au programme, cette fois-ci, une activité ludique : plonger les mains dans les lentilles. L’objectif est d’essayer de remplir un petit bocal. " C’est quelque-chose qu’il adore : les lentilles, la terre, la semoule, les pâtes", décrit Mauranne Lequertier, un sourire dans la voix. " Lorsqu’il fait une grosse crise ou que j’ai besoin de le canaliser, le fait de creuser, de toucher, c’est satisfaisant pour lui."

Au centre où il a été diagnostiqué, il y avait une grande piscine avec plein de lentilles. Il faisait des crises pour rester dedans, il s’est découvert une vraie passion à ce moment-là !

Mauranne Lequertier

à France 3 Normandie

Réorganiser le quotidien

A presque 4 ans – le 19 juin prochain – Valentin ne parle pas encore ; c’est un autiste non-verbal. Diagnostiqué en janvier 2022, il a eu la chance d’intégrer, cette année, une des très rares classes UEMA (unités d'enseignement en maternelle), à Saint-Georges-du-Vièvre, près de Pont-Audemer (Eure). C’est dans cette structure adaptée aux enfants autistes, et encadrée par une psychologue, une psychomotricienne et des éducatrices, que sa mère a découvert la technique des pictogrammes.

Il y a eu un progrès immense : depuis qu’il est entré en classe UEMA, il a pris un an de maturité en l’espace de trois mois. Avant, il ne regardait pas dans les yeux, il n’interagissait pas avec les autres enfants.

Mauranne Lequertier

Les petits carrés sont accrochés au mur, à hauteur d’enfant. Le programme évolue tout au long de la journée. " Quand on a fini une tâche, Valentin sait qu’il doit ranger le pictogramme dans une pochette spécialisée. C’est vraiment quelque-chose qui le rassure", confie cette jeune maman de bientôt 29 ans. " Avec lui, la parole ne suffit pas : il faut qu’il y ait un visuel pour qu’il comprenne ce qu’il va se passer."

Avant, quand je lui mettais ses chaussures, il ne comprenait pas. Il pouvait être sujet à des crises. Je ne pouvais pas savoir s’il avait faim, soif, s’il voulait aller aux toilettes, puisqu’il ne peut pas me le dire à voix haute. Maintenant, il m’apporte le pictogramme qu’il veut, quand il veut. Ça a simplifié le quotidien.

Mauranne Lequertier

Une petite révolution grâce à laquelle Valentin peut se passer de mots pour communiquer, et se situer dans l’espace-temps : " ça a calmé ses angoisses. Il sait comment se déroule la journée du matin au soir. Des fois, ça suscite des frustrations… Quand il comprend que ce n’est pas l’heure d’avoir un gâteau ou de prendre une douche. Mais ça, c’est pour tous les enfants : il faut comprendre que non, c’est non !"

Visionnez l'entretien complet avec Mauranne, par B. Dunglas, D. Meunier, J. Matz et M. Queïnnec :

"On ne me croyait pas quand je disais qu’il était différent"

Une nuit sereine, une session courses qui se passe bien… Mauranne se satisfait de chaque petite victoire. Mais admet que les débuts ont été difficiles : " ça a été une claque, et j’ai mis du temps à vraiment réaliser. Et puis, je me suis dit 'accepte-le, tu n’es pas toute seule dans ce cas'. De toute façon, dès lors que je suis tombée enceinte, rien ne s’est passé comme je l’imaginais avec Valentin", admet-elle.

" Valentin a toujours été comme ça. Je n’ai pas d’exemple pour dire qu’il n’est pas normal. Pour moi, ce sont presque les autres enfants qui ne sont pas normaux, à avoir certaines actions que lui n’a pas ! Alors, je prends comme ça vient, et on s’adapte, quoi qu’il arrive."

Dans l'appartement, tout est optimisé et sécurisé pour que l'enfant ne prenne aucun risque. Les portes sont équipées de chaînes, les objets dangereux, isolés, le lit, équipé d'une moustiquaire – rassurante. " On a essayé plein de lits différents pour Valentin", souligne Mauranne.

" Quand je le couchais, je prenais des coups de poings, il tapait dans les murs. Il avait des réveils nocturnes, des pleurs, des crises. Il faisait tout pour s’enfuir. En faisant des recherches sur Internet, j’ai vu que la moustiquaire pouvait fonctionner. Maintenant, il rentre tout seul dans son lit. Il touche les parois, il se repère dans l’espace. C’est sa bulle à lui."

L’enfant a passé quelques mois dans une école normale. Là-bas, ses difficultés n’alertent pas plus que ça les équipes pédagogiques : " on ne me croyait pas quand je disais qu’il était différent. La maîtresse me disait qu’il était dans sa bulle, qu’il allait finir par s’ouvrir… On me prenait un peu pour une idiote. Le jour où le diagnostic a été posé, je me suis dit que mon instinct avait dit vrai. Je me suis tout de suite sentie épaulée."

"L'enfant passe avant tout le monde"

Sur les réseaux sociaux, Mauranne se livre régulièrement. Elle décrit son quotidien de mère d’enfant autiste : la découverte d’un monde à part, de nuits blanches, parfois, d’un sprint vers la rivière au sortir des courses, au cours duquel tout aurait pu basculer " en une fraction de seconde".

Elle évoque aussi le travail qu’elle mène pour stimuler Valentin et accélérer son apprentissage du langage. " J’incite tous les parents à en parler sur les réseaux sociaux et autour d’eux. C’est thérapeutique d’en parler, ça me fait beaucoup de bien. Il faut le faire pour l’accepter et se soulager."

Il faut en parler, écouter son instinct, ne pas s’arrêter à un avis médical. Il ne faut surtout pas rester cloîtré chez soi. Trouvez les endroits adaptés à votre enfant, et échangez avec des parents qui vivent la même chose.

Mauranne Lequertier

En 2015, Mauranne effectue un service civique dans une école. Et se découvre une passion pour l’accompagnement d’enfants en difficultés. " On me demandait en renfort, pour des sorties au cirque, par exemple", explique-t-elle. Aujourd’hui, elle pense à devenir accompagnante d’élèves en situation de handicap.

Mais les particularités de son fils l’empêchent de travailler : " personne ne veut prendre la responsabilité de Valentin et c’est totalement logique. Les techniques que les nourrices ont avec des enfants normaux ne sont pas adaptées du tout…"

C’est l’une des problématiques des parents d’enfants autistes : le fait de ne pas pouvoir travailler, de mettre sa vie sociale entre parenthèses… On met tout en stand-by, l’enfant passe avant tout le monde.

Mauranne Lequertier

L’avenir est un peu flou… Mais l’espoir demeure. Valentin chante régulièrement. Il imite même le miaulement du chat. Pour sa mère, la verbalité n’est plus très loin. Reste à voir où le petit garçon pourra être pris en charge à l’issue de ses trois années à l’UEMA – un premier grand pas vers l’inclusion. " J’ai eu énormément de chance vis-à-vis de cette classe", conclut Mauranne. " Avant, on n’essayait pas de comprendre les autistes, c’était eux qui devaient s’adapter au monde. Là, c’est un peu l’inverse."

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