Même s'il est loin de l'image d'Epinal du clapier de basse-cour tapissé de paille, un élevage intensif de lapins en Normandie parvient quasiment à se passer d'antibiotiques, grâce à des techniques minutieuses d'hygiène, de ventilation et d'alimentation.
On entre dans l'élevage de lapins moderne comme au bloc opératoire: coiffé d'une charlotte, vêtu d'une blouse et de surchaussures, mains lavées au gel hydroalcoolique et passage obligatoire par le pédiluve. Ici, 800 reproductrices mettent bas sept à huit fois par an. Entre deux cycles, "on lave du sol au plafond et on finit par une double désinfection", explique Philippe Poret en faisant visiter sa ferme cunicole au Mesnil-Clinchamps (Calvados). Les bêtes sont réparties en deux "tunnels", des hangars de 1.000 m2 où de longues rangées de cages grillagées surplombent des fosses rectilignes en béton, où atterrissent les déjections.
Les lapins écoutent la radio
D'un côté, 390 femelles s'apprêtent à accoucher d'ici quelques jours. De l'autre, 7.800 lapereaux, groupés par portées, engraissent en écoutant la radio. A l'âge de dix semaines, ils atteindront le poids de 2,5 kg et partiront pour l'abattoir. La méthode est rodée, précise, presque scientifique. La température, élément clé, est maintenue toute l'année entre 16 et 22 degrés, grâce à un ingénieux système de flux et de récupération d'air, qui permet aussi de maîtriser le taux d'humidité. Cette atmosphère constante a "pratiquement fait disparaître les aspects cliniques de la pasteurella", affirme l'éleveur. Omniprésente chez le lapin, cette bactérie peut profiter d'une faiblesse immunitaire pour provoquer des affections respiratoires (toux, éternuement) ou cutanées (abcès, nécroses), parfois mortelles. A l'extérieur des bâtiments, de la chaux a été dispersée près des entrées, pour tenir à distance les animaux sauvages, leurs microbes et leurs virus.
Il faut "veiller au grain"
Il faut aussi veiller au grain sur la nourriture de ces mammifères boulimiques. Sevrés au bout de cinq semaines, ils sont ensuite nourris d'un mélange - sans OGM- de luzerne, de tournesol, de pulpe de betterave et de tourteaux de colza, dont "les proportions varient selon leur stade de développement". Un automate se charge de distribuer les rations quotidiennes, qui transitent du silo aux mangeoires par des tuyaux étanches. Ce système sophistiqué ne permet pas de vendre le lapin plus cher, mais les animaux sont plus gros, les portées plus nombreuses et plus viables - chaque reproductriceengendrant en moyenne 9 lapereaux sevrés -, le tout sans recourir aux antibiotiques, ou presque, précise M. Poret. "On a fait un seul traitement depuis 2007", précise-t-il, ajoutant qu'"une injection reste possible pendant les mises bas" en cas de complication.
Un ancien éleveur de vaches qui se reconvertit dans le lapin
Ancien éleveur de vaches laitières, M. Poret s'est lancé au début des années 2000 dans la cuniculture, devenue son unique activité en 2013, après avoir investi un million d'euros en travaux d'agrandissement. "On a démarré dans des bâtiments modernes, après la saillie naturelle", remplacéepar l'insémination artificielle dans les années 1990, rappelle-t-il. "On est devenu rationnels à cette époque", complète Guy Airiau, président du Clipp,
le comité interprofessionnel de la filière lapin. Mais de nombreux élevages sont encore installés dans des bâtiments inadaptés, qu'il faudra tôt ou tard renouveler. "Ca ne se fera pas du jour au lendemain. En vingt ans, peut-être, sûrement pas en quatre ou cinq", prédit-il. La grande majorité des quelque 1.200 éleveurs français a toutefois signé la charte de "démédication" élaborée par le Clipp en 2011. A fin 2014, les ventes d'antibiotiques dans la filière étaient en baisse de 19% en volume selon l'Agence de sécurité alimentaire et sanitaire (Anses). La fréquence des traitements, autre indicateur créé par l'Institut de recherche agronomique (Inra), a même chuté de moitié.
Alors que le plan Ecoantibio du gouvernement fixe un objectif de réduction de 25% entre 2012 et 2017, le lapin fait déjà figure de bon élève, même si les 58.000 tonnes de viande produites chaque année pèsent peu à côté du boeuf, du porc et de la volaille: 2,2 millions de tonnes équivalent carcasse rien que pour le porc.