Le procès des 14 producteurs de carottes de Créances soupçonnés d'importer du dichloropropène, persticide interdit en France, s'est ouvert dans la Manche ce 19 mai. Trois jours d'audience sont prévus mais les débats n'ont pas commencé sur le fond, la défense demande la nullité du dossier.
Après une enquête débutée en juin 2020, quatorze légumiers de la Manche comparaissent ce mercredi 19 mai 2021 au tribunal de Coutances pour avoir utilisé un pesticide interdit en France en 2018, le dichloropropène. Le procès est prévu sur trois jours.
Seulement c'est un début de procès bien houleux: la défense argumente pour demander la nullité du dossier dès l'ouverture de la première journée d'audience ce 19 mai et après 9 heures d'échanges.
Une défense qui attaque pour obtenir la nullité
Les 14 producteurs de carottes qui comparaissent sont représentés par 6 avocats parisiens spécialisés et une normande. Le débat tourne autour de l'enquête et "d'irrégularités qu'ils ont constaté."
Depuis le début de la procédure leur ligne de défense consiste à demander l'annulation des poursuites. Ainsi en décembre dernier, devant le tribunal administratif, 5 d'entre-eux avaient déjà tenté de contester la gestion de la procédure par un référé : ils demandaient la suspension des procès-verbaux qui avaient été dressés à leur encontre par la brigade nationale d’enquêtes vétérinaires et phytosanitaires le 22 septembre 2020. Une demande rejetée par le juge des référés.
Ce 19 mai, après 8 heures d'audience, la défense des 14 maraîchers suspectés d'utiliser un pesticide interdit en France, le dichloropropène, en l'important illégalement d'Espagne, détaille une série d'irrégularités constatées dans l'enquête pour obtenir l'arrêt du procès ou sa nullité et la procédure est passée au crible aux fins de rechercher des motifs d'annulation.
Selon la défense ce dossier serait entaché "d’irrégularités" comme la présence « dissimulée » de journalistes pendant les gardes à vues des maraichers, un manque de recul, de distance, d’impartialité sont évoqués ainsi que 20 000 écoutes téléphoniques et des prélevements de terres sans respect des procédures scientifiques.
Mais le procureur répond point par point. Chacun son rôle. Celui-ci a en effet demandé au juge de joindre au fond et de maintenir le procès.
"Des pesticides qui ne ressemblent pas à ce qu'on mange au petit déjeuner"
Le procureur a tenu à répondre point par point dans cette longue passe d'armes : ainsi, s'il est question d'une journaliste présente à la gendarmerie au moment des gardes à vue, elle n'était pas là pour ce sujet précisément.
Et puis le ton est monté du côté du ministère public : "On parle de tonnes de pesticides utilisées, ce n'est pas deux palettes. Des tonnes de pesticides qui ne ressemblent pas à ce qu'on mange le matin au petit-déjeuner."
La profession des maraîchers en a marre de ces irréductibles normands qui ne respectent pas les lois
Rappel des faits : un produit cancérigène interdit depuis 2018
Ces producteurs sont confrontés, sur leur culture, à un petit ver aux effets ravageurs qui s'attaque aux carottes et ont utilisé pendant des années ce produit, un pesticide classé parmi les produits cancérigènes. Interdit en Europe dès 2009, la France avait obtenu une dérogation pour l’utiliser 10 ans de plus.
Mais en 2018, le couperet est tombé : les maraîchers devaient désormais s'en passer. "Le problème, c'est que dans nos sables, on n'a pas la méthode pour travailler sans produit, expliquait à l'époque Philippe Jean, un producteur venu manifester devant la préfecture de la Manche en avril 2019. Et cela fait 25 ans que des recherches sont en cours...".
80 tonnes du pesticide interdit utilisées
L'enquête a démarré en juin 2020 quand la Brigade Nationale d'Enquêtes Vétérinaires et Phytosanitaires (BNEVP) s'est adressée au parquet de Coutances pour signaler des suspicions d'utilisations de pesticides interdits. En novembre 2020, le Procureur de la République de Coutances, avait alors auditionné des producteurs dans le cadre de l'enquête.
L'enquête révèle à ce stade que, depuis 2018, près de 80 tonnes de produits interdits étaient importées illégalement d'Espagne et étaient utilisées et répandues sur plusieurs hectares dans le secteur de Créances.
Un ancien ministre à la barre
Le procès qui a démarré ce mercredi 19 mai se poursuit ce jeudi, avec un témoin très attendu, cité par la défense : Stéphane Travert, député La République en Marche de la Manche et ancien ministre de l'agriculture d'Emmanuel Macron de juin 2017 à octobre 2018.
La bataille juridique engagée par les avocats de la défense sont sans conséquence après 9 heures d'audience. La décision du président du tribunal François Delegove est de joindre l’incident au fond : "Nous avons considéré que les nullités soulevées ne sont pas denuées de connexion avec le fond"
Mais Yvon Martinet, avocat de la Défense et ancien vice-bâtonnier de Paris, ne se désarme pas et a déposé une Question Prioritaire de Constitutionnalité. Un débat contradictoire est attendu ce jeudi matin, avant les plaidoiries.