La consommation d'huîtres est en berne depuis bientôt trois ans. Les ostréiculteurs en souffrent : les stocks s'accumulent et les prix baissent. "On vend à perte, ça ne pourra pas durer"...
Les fêtes de fin d'année se préparent déjà dans les parcs à huîtres. À Gouville-sur-Mer, sur la côte ouest du Cotentin, Patrice Rodes a entrepris de "remonter" des poches. Elles sont garnies d'huîtres adultes. "On les ramène à l'atelier pour les trier par catégories. Elles seront prêtes pour être expédiées à Noël".
Le geste est machinal. Il faut défaire les élastiques, prendre les poches posées sur les tables et les charger sur la remorque du tracteur. C'est physique, mais il vaut mieux ne pas trop traîner : le travail ne peut être effectué qu'à marée basse.
L'huître, victime collatérale de l'inflation
"On est concentré sur ce qu'on fait", dit Patrice Rodes en hissant une poche sur la remorque. Dès que le travail s'arrête, cet ostréiculteur expérimenté est rattrapé par les soucis du moment : "Par rapport à l'année dernière, on a perdu 60 % du prix de vente. En ce moment, on vend à perte. Il faudrait un prix entre 2,50 euros et 3 euros le kilo pour rentrer dans nos frais. Aujourd'hui, on vend sur une base de 2 euros...."
Cette chute des prix s'explique par une consommation qui baisse lentement mais sûrement depuis trois ans. L'inflation l'explique en partie : le prix des denrées alimentaires a beaucoup augmenté et les clients ont pris l'habitude de sacrifier l'huître. "Ils se détournent des produits non essentiels", constate Vincent Godefroy, vice-président du Comité régional de conchyliculture en Normandie.
L'autre tournant s'est produit au mois de décembre dernier quand des bassins de production ont été temporairement fermés pour des raisons sanitaires dans le Bassin d'Arcachon, à Grandcamp-Maisy (Calvados) et à Saint-Vasst-la-Hougue (Manche). Après de fortes pluies, un norovirus échappé de stations d'épuration et transporté par des eaux de ruissellement a contaminé quelques parcs à huîtres.
À la veille de Noël, l'effet était désastreux. "Ces fermetures ont été surmédiatisées", peste Patrice Rodes. L'ouest du Cotentin où il produit ses huîtres avait pourtant été épargné, mais il a senti "une perte de confiance du consommateur". Le marché a eu du mal à se redresser.
"Ça repart un peu"
Face à la mévente, les ostréiculteurs ont gardé des huîtres dans les parcs. Le déséquilibre entre l'offre et la demande a fait chuter les cours. "Il faudrait ne pas accepter de descendre en dessous d'un certain prix", observe un expéditeur. "Oui mais quand on est asphyxié par le banquier et qu'on a besoin de faire rentrer des liquidités, on ne peut pas faire autrement", rétorque Patrice Rodes.
"On est en ce moment en pleine négociation avec la grande distribution", explique Vincent Godefroy. Les supermarchés et hypermarchés écoulent plus de la moitié des huîtres vendues en France. Leurs "exigences tarifaires" ne laissent pas augurer un redressement spectaculaire. "On ne sait pas combien de temps on va tenir comme ça. On ira mieux si les ventes à Noël se passent bien."
L'ostréiculture fait vivre plus de 300 entreprises en Normandie, ce qui représente 2500 emplois, sans compter les saisonniers. Les bassins ostréicoles normands produisent 26 000 tonnes d'huîtres par an.
"On sent un petit frémissement. Ça repart un peu", note l'expéditeur qui prépare une commande pour des brasseries parisiennes. "Il faudrait que la météo fraîchisse un peu". Pour aborder la période cruciale des fêtes de fin d'année, la profession peut s'appuyer sur un argument du poids : cet hiver, les huîtres seront magnifiques.