Pour l'amoureux du foie gras qui aime le mitonner lui-même pour les fêtes de fin d'année, il va être difficile d'en proposer pour le réveillon. Sauf pour celui qui s'y est pris à l'avance... Grippe aviaire et pénurie de canards obligent, on ne peut quasiment plus trouver de foies crus, que ce soit auprès des producteurs locaux ou en grande surface.
Caen, Place Saint-Sauveur, en cet avant-dernier vendredi précédant les fêtes de Noël, les clients sont nombreux malgré le froid devant le stand de la ferme de La Houssaye. Ces producteurs qui viennent d'Epaignes dans l'Eure offrent un étal bien garni de volailles dodues et de conserves variées. Mais une des stars des produits de fin d'année manque à l'appel : le foie gras frais. Les connaisseurs aiment le cuisiner chaque année en terrine ou au torchon, ou encore juste poêlé à la dernière minute. Il faudra s'en passer.
Pas de canes, pas de canetons, pas de foie gras...
La raison est simple et cruelle : la fameuse grippe aviaire Influenza qui touche les élevages de canards français. Les producteurs normands se fournissent en canetons dans les élevages du Sud-Ouest ou des Pays de La Loire où a eu lieu un abattage massif des canes reproductrices. Les palmipèdes manquent à l'appel. C'est dans la ferme de La Houssaye à Epaignes qu'est produite la moitié du foie gras normand. En temps normal, ces éleveurs gavent 30000 canards par an. Cette année, ils ne peuvent répondre qu'à 20% des demandes de leurs clients.
Un client averti en vaut deux
Ce matin, il y avait encore quelques foies sous-vide, mais ce graal était déjà réservé. En effet, prévoyant le manque de fin d'année les Lavigne, propriétaires de la Ferme de la Houssaye, avaient depuis le mois de juillet averti leurs clients réguliers. Cette raréfaction des foies a bien sûr eu un impact sur le prix qui est passé de 63 euros par kilo à 75 soit une augmentation globale d'environ 20%.
Sur treize producteurs normands, seuls deux en ont encore, et tout est réservé
Christelle Lavigne, productrice à Epaignes dans l'Eure
Ces producteurs de L'Eure font partie des "Fermiers des Becs", association regroupant en son sein 13 producteurs des 4 départements : Eure, Seine-Maritime, Calvados et Manche.
"Les fermiers des becs" organisent en temps normal 13 marchés autour du foie gras avant les fêtes, cette année il n'y en aura eu que 5.
C'était déjà un métier difficile, mais cette année la situation est catastrophique pour bon nombre de petits producteurs"
Dominique Maupas, secrétaire de l'association de producteurs de foie gras normands
Dominique Maupas, de l'association des "Fermiers des becs" se souvient que dans les années 80, les producteurs étaient au nombre de 70 et maintenant ils ne sont plus que 13. "C'est un métier par définition saisonnier, où les produits se vendent principalement d'octobre à décembre". Peut-être y a t-il également des changements dans les goûts et les priorités de la société : l'évolution des menus traditionnels, le coût de ce qui reste un produit de luxe, sans parler des opposants au foie gras...
Et qu'en est-il de la grande distribution ?
Les grandes surfaces rencontrent elles aussi les mêmes problèmes d'approvisionnement que les producteurs locaux. Dans les rayons des produits de fêtes, aux côtés du saumon fumé, de la dinde et du boudin blanc, le précieux lobe brille par son absence. Certains espèrent encore des livraisons imprévues. Le client n'a plus qu'à se reporter sur un produit transformé.
On en a au compte-goutte, en provenance de producteurs français
Assistante de direction du supermarché Cora à Rots (14)
Les seuls foies gras frais disponibles à la vente proviennent d'Europe de l'Est : Bulgarie ou Pologne. Cette année, le foie fait maison de l'amateur a donc du plomb dans l'aile... Il va falloir revoir son menu.
Et en 2023 ?
Quant aux voeux des producteurs normands, un vaccin anti grippe aviaire est espéré pour 2023. Mais comme le déclare sans grande illusion Christelle Lavigne de la Ferme de la Houssaye dans l'Eure "dans le Sud-Ouest, les éleveurs l'attendent depuis 10 ans !".
Pour les chanceux qui ont réservé leur foie, ils pourront venir le chercher samedi à Louviers ou jeudi avant Noël à Sotteville-Lès-Rouen auprès de Christelle Lavigne et d'Alexia qui est déjà prête pour la relève. Pas de crise de foi chez les Lavigne !