50 ans après l'adoption de la loi Veil en première lecture par l'Assemblée nationale, Pascale Nolent, originaire du Havre (Seine-Maritime), raconte son avortement clandestin et le danger que cela représentait avant l'entrée du texte dans la loi.
Le 29 novembre 1974, dans une Assemblée nationale divisée, la loi Veil était adoptée en première lecture avec 284 voix "pour" et 189 voix "contre".
Trois jours plus tôt, le 26 novembre, la ministre de la Santé Simone Veil prononçait face aux députés un discours resté dans l'histoire. Elle leur demandait de dépénaliser l'interruption volontaire de grossesse (IVG), notamment pour faire cesser les nombreux avortements clandestins qui coûtaient souvent la vie aux femmes qui le pratiquaient.
Dans une société où l'avortement était alors un sujet tabou et condamné par l'opinion, la ministre redonnait, par son discours, la parole à ces femmes à qui on avait fait garder le silence comme Pascale Nolent.
"J'ai avorté dans le plus grand secret"
Originaire du Havre, Pascale Nolent est née en 1951 dans la cité océane, quelques années après la Seconde guerre mondiale.
En octobre 1974, alors que le débat sur la dépénalisation de l'IVG fracture la société française, la Havraise décide d'avoir recours à ce que l'on n’ose pas nommer : l'avortement. "J'étais déjà mère de deux enfants et à l'époque on nous disait d'attendre un à deux mois après l'accouchement avant de reprendre la pilule et qu'il n'y avait pas des risques. J'y croyais, mais c'était faux, et c'est comme ça que je suis tombée enceinte sans le vouloir."
La venue d'un troisième enfant étant alors impossible pour elle, Pascale Nolent choisit d'avorter. "J'avais à peine plus de 20 ans, j'étais jeune et j'avais déjà deux enfants. J'étais épuisée et avec mon mari nous n'avions pas les moyens d'agrandir notre famille. Ma décision n'a pas été évidente à prendre mais j'étais déterminée à le faire coûte que coûte, je serai allée en Angleterre s'il le fallait" confie-t-elle.
Usant du bouche à oreille comme il était commun de le faire, la Havraise était rapidement mise en contact avec ce que l'on nommait une "faiseuse d'anges".
Quelque temps plus tard, cette dernière se rendait chez Pascale Nolent pour réaliser un avortement clandestin. Un acte pour lequel elle avait payé environ 5000 francs.
Je n'avais pas peur même si je connaissais les risques. C'était mon choix et mon mari me soutenait. Durant le mois d'octobre, elle est arrivée chez moi discrètement, j'ai avorté dans le plus grand secret, ça ne devait pas se savoir.
Pascale Nolent, havraise ayant eu recours à un avortement clandestin
Aujourd'hui âgée de 72 ans, Pascale Nolent continue de se souvenir du bruit des aiguilles et de la souffrance qui la submergeait.
"Elle utilisait des sortes d'aiguilles-épingles et elle les a enfoncées jusqu'à atteindre l'utérus. Quand ce fut fini, j'ai eu très mal durant deux jours, c'était vraiment douloureux. Au bout de la quatrième journée, une sorte d'hémorragie est sortie quand j'étais aux toilettes. C'était un peu traumatisant mais la douleur était partie et je me sentais délivrée", raconte-t-elle calmement.
"Je veux rendre hommage à toutes ces femmes mortes en avortant"
Grand-mère de plusieurs petits-enfants, Pascale Nolent aborde aujourd'hui plus sereinement son expérience pour briser le silence qui entoure toujours l'IVG.
"Les avortements sont pratiqués depuis des centaines d'années, ce n'est pas nouveau. Ma grand-mère m'a épaulé quand ça m'est arrivé parce qu'elle y avait déjà eu recours elle aussi comme des milliers d'autres femmes. Je garderai toujours dans un coin de ma tête ce que j'ai vécu mais j'en ai parlé à mes enfants et mes petits-enfants, je ne veux plus que ça soit quelque chose de honteux", revendique-t-elle.
Un besoin de dialogue et de pédagogie que Pascale Nolent poursuit aussi en tant que membre de l'antenne havraise du Planning familial. "Avant d'avorter, je ne m'étais pas trop penchée sur le sujet. Je suivais le procès de Bobigny avec Gisèle Halimi ou le manifeste des 343 femmes, mais sans plus. Après avoir été vendeuse aux Nouvelles Galeries durant plusieurs années, j'ai fait une reconversion professionnelle à quarante ans et c'est comme ça que je suis entrée ensuite au Planning familial."
Intervenant régulièrement dans les établissements scolaires pour raconter les conditions de vie des femmes avant le passage de la loi Veil, elle continue de se battre pour que l'avortement ne soit plus un sujet tabou.
"Les jeunes que je rencontre me disent souvent qu'ils sont contre, mais c'est parce qu'ils ne se rendent pas encore compte de ce que ça signifie et les raisons qui poussent une femme à avorter. En continuant de parler, je fais perdurer le combat des militantes féministes qui ont milité pour ce droit et parce qu'aussi je veux rendre hommage à toutes ces femmes mortes en avortant, pour qu'on ne les oublie pas", défend-elle.
Un combat qu'elle juge toujours d'actualité au vu des évènements récents comme aux Etats-Unis où le droit à l'avortement a été supprimé dans certains Etats. "Je suis de nature optimiste mais je pense que c'est une lutte sans fin, les femmes devront toujours se battre pour conserver ce droit, peu importe d'où elles viennent" assure Pascale Nolent déterminée.
" Le recours à l'IVG reste encore très compliqué"
Pour Marianne Lainé, directrice du centre Simone Veil à Rouen, ce droit reste d'autant plus à défendre de nos jours car les femmes continuent à en avoir honte.
"Un demi-siècle après, la situation est toujours difficile, le recours à l'IVG reste encore très compliqué pour de nombreuses femmes. Évidemment, ce n'est pas un choix qui paraît naturel mais il l'est surtout à cause de la pression exercée par les proches et la société, beaucoup de femmes s'autocensurer alors que c'est leur droit " expose la responsable.
Ce combat l'est aussi pour les centres comme celui-ci où l'avortement est pratiqué et qui sont souvent victimes d'intimidations et de manœuvres malveillantes. "On a très souvent des faux rendez-vous qui sont pris pour empêcher celles qui ont besoin de venir nous voir, on a déjà reçu des menaces aussi" dénonce Marianne Lainé.
En 2022, près de 234 300 interruptions volontaires de grossesse (IVG) ont été enregistrées en France, un nombre en augmentation par rapport à l'année précédente.