TEMOIGNAGE. "J'en veux à mon employeur" : rescapé d'un accident du travail, Emmanuel doit vivre avec une jambe en moins

Dimanche 28 avril 2024 est la journée internationale de la santé et de la sécurité au travail. Mais dès jeudi dernier, la CGT s'est mobilisée partout en France pour dénoncer la multiplication des accidents du travail dans notre pays ces dernières années. À cette occasion, nous avons rencontré Emmanuel Famery qui a dû être amputé d’une jambe après un accident du travail.

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En France, deux personnes meurent chaque jour à cause d’un accident du travail. La Seine-Maritime est le département qui a enregistré le plus grand nombre d’accidents du travail mortel entre 2019 et 2022.

Pour Emmanuel Famery, l'accident s'est produit en 2014, le 24 mars. Une date à jamais gravée dans son histoire, qui chaque année lui rappelle ce terrible accident. "À la date anniversaire de mon accident, je ressens les douleurs de l’accident. Et ça fait 10 ans ! ".

Un accident évitable ?

Âgé de 48 ans à l'époque, il travaillait depuis neuf ans dans une entreprise de logistique près de Lillebonne."Je faisais du picking, c’est-à-dire qu’on prélevait des colis sur les palettes, et on gérait les préparations de commande".

"Un matin, il n’y a plus le colis sur les palettes. Je vais chercher la personne qui gère le réapprovisionnement. Je le vois, je descends sur 8 ou 10 mètres tout en l’appelant. Cette personne discutait avec une autre personne dans une autre allée. Il ne m’entend pas. J’arrive à proximité de lui et je l’appelle. Il se retourne et il redémarre. Ma jambe gauche passe entièrement sous son chariot. Il s’est arrêté au niveau du milieu du tibia".

Terrassé par la peur, son collègue ne bouge pas. Par un coup de force, Emmanuel réussit à pousser l'engin et à libérer sa jambe : "le gars était complètement désespéré, c’est même moi qui l’ai consolé."

Emmanuel n’en veut pas à son collègue, même si ce dernier est resté au même poste et a provoqué d’autres accidents, certes moins graves que le sien. Pour lui, le problème réside dans un matériel non conforme.

Il déplore les contrôles irréguliers de ces engins. "Il y avait énormément de défauts sur le chariot". Mais pas assez d'avertisseurs sonores à en croire Emmanuel.

La faute inexcusable de l'employeur

Une défaillance reconnue par le tribunal du Havre. Son patron a été condamné pour faute inexcusable. Ce dramatique accident aura permis d’équiper les chariots de détecteurs sonores, avec activation d’une lumière à l'approche d'une personne.

Après trois années en arrêt pour accident de travail, Emmanuel sera licencié. Son patron ne lui a pas proposé de reclassement, ce qui a également été reconnu comme une faute par le tribunal des prud’hommes.

"J’ai eu énormément de visites de collègues", reconnaît-il. Son ancien patron et la Directrice des Ressources Humaines lui ont confié qu’une telle solidarité ne s’était jamais vue. Un soutien bienvenu mais pas suffisant. "J'en veux encore à cette entreprise, mais beaucoup moins qu’avant. Il faut que j’arrive à travailler sur moi-même pour pouvoir tourner la page".

Les combats d'une vie

Un tel accident bouleverse toute l'existence."Toute ma vie a changé : j’ai été hospitalisé pendant trois ans, j’ai dû être en fauteuil roulant. Je ne peux plus faire de moto, je ne peux plus faire de sport du tout". Emmanuel a pris 25 kilos et subit les maladies liées à son surpoids : diabète, hypertension, apnée du sommeil.

"Je suis beaucoup moins libre qu'avant. À 20h, je suis obligé d’enlever ma prothèse parce que je ne la supporte plus. Donc je suis couché, je ne peux plus rien faire ! La vie sociale est diminuée, je ne peux pas sortir le soir avec ma femme comme on le faisait avant. On allait se promener, on ne regarde plus la télé ensemble le soir ." Emmanuel regrette aussi d’avoir perdu pratiquement tous ses amis.

Dans ma tête, j’ai encore énormément de problèmes, je n’ai pas tourné la page. Je pense que je ne la tournerai jamais : le matin quand je mets ma prothèse, je pense à mon accident et le soir aussi quand je l’enlève.

Emmanuel Famery, victime d'un accident du travail

Les douleurs fantômes lui rappellent également l’accident. "Même si on m’a installé un stimulateur au niveau de la colonne qui diminue mes douleurs entre 50 et 40 %. Et puis je sais que je finirai ma vie dans un fauteuil roulant."

Dans un premier temps, Emmanuel a été opéré du pied. Puis il a été atteint par des maladies nosocomiales au niveau des 496 agrafes qui lui avaient été posées après 10 heures d’opération.
La douleur était si intense la première année, qu'il a lui même demandé à être amputé jusqu’au genou.

Sa demande n’a été acceptée par les médecins qu’à la quatrième commission médicale. "Je leur ai expliqué mon quotidien. Au bout du compte j’aurais perdu ma jambe, je voulais juste accélérer les choses. Lors de mon réveil après l’opération, j’en ai pleuré de soulagement. Ça a été une libération."

Emmanuel tient aussi à remercier le travail de la fondation Hopale qui l’a aidé à trouver une prothèse adaptée à sa lésion.

Une famille marquée à jamais

Cet été, Emmanuel et sa femme vont renouveler leurs vœux, "pour tourner la page de cet accident. Dire voilà, il y a eu ça, maintenant il faut vivre avec. On va repartir tranquillement et sereinement. C’est ma femme qui m’a sauvé la vie. Elle a tout porté sur ses épaules. C’est l’amour de ma vie, sans elle, je ne serai plus là. J’ai eu des moments de doute, d’idées très noires et si elle n’était pas là je ne serai plus là".

L’épreuve et les combats ont été immenses pour son épouse aussi, qui est devenue aidante du jour au lendemain. Les trois enfants du couple ne s’en sont pas sortis indemnes non plus. L’aîné n’arrive pas à travailler de peur qu’il lui arrive la même chose. Son deuxième fils a très vite quitté la maison, ne supportant plus la douleur de son père. Enfin, sa fille est toujours suivie par un psychiatre et un psychologue.

Une prothèse tatouée

Sur le tatouage de sa prothèse, figure le visage d’une femme avec un doigt sur la bouche pour rappeler aux gens de se taire lorsqu’ils ne savent pas. Une horloge figure également avec l’heure de l’accident, amplifiée par une brisure.

Des symboles représentés également sur l’avant-bras droit d’Emmanuel: "ça a été une évidence pour moi ces tatouages. Ces évènements sont gravés à vie. C’est mon histoire".

Et près du poignet figure le mot POWER, représentant la force dont ont fait preuve Emmanuel et sa famille.

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