En novembre 2018, un mouvement de contestation voit le jour partout en France. Des milliers de Normands en colère se réunissent, eux aussi, sur les ronds-points. Cinq ans après, que sont devenus ces "gilets jaunes" et cette fronde populaire ?
C'était devenu un rituel. Chaque samedi, des milliers d'hommes et femmes descendaient dans la rue pour s'insurger contre la hausse du prix du carburant et lancer un cri d'alerte face à une précarité grandissante. Au fil des semaines, la mobilisation a grandi et la solidarité s'est mise en place. Cinq ans plus tard, nous avons voulu savoir ce qu'étaient devenus ceux qui arboraient ce gilet jaune.
Chloé Tessier, la caennaise gilet jaune
Avec ses trois chevaux (Isis, Altesse et Voyou), Chloé Tessier a choisi la vie à la campagne. Cette amoureuse des grands espaces pratique l'équitation adaptée auprès de publics en difficulté. "En fonction des besoins, les chevaux sont incroyables. Ils s'adaptent."
La cavalière adapte le prix des séances aux revenus de ses élèves. Pour la trentenaire, l'empathie et l'entraide font partie de son ADN. "Depuis que je suis toute petite, j'ai toujours protégé celui qui était tout seul, ou allée me mettre à sa table. C'est quelque chose que je ne peux pas expliquer. Je ne supporte pas l'injustice", explique-t-elle.
J'estime que, quand on a la chance d'avoir l'énergie ou les capacités de lutter, il faut le faire pour le commun.
Chloé Tessier, porte-parole des gilets jaunes à Caen
C'est donc sans hésitation qu'elle a rejoint la cause des gilets jaunes en novembre 2018. Alors désignée porte-parole du mouvement à Caen (Calvados), elle en devient une figure. Aujourd'hui encore, elle garde les traces de cet engagement, avec par exemple des posters dans ses toilettes !
Pourtant, la jeune femme n'en a pas gardé que des bons souvenirs. "Il y a un renfort de policiers, avec des armures complètes, qui arrive. Il y a une charge, sans prévenir. Et en fait, je me prends un premier coup de bouclier, je suis sonnée, je tombe au sol. Et après, je suis traînée au sol. J'entends dans la cohue générale : 'elle, on l'interpelle", raconte Chloé Tessier.
Cette interpellation lui vaudra quelques hématomes. La jeune portera plainte auprès de l'Inspection de la Police nationale. Malgré cette tâche au tableau, la militante veut se souvenir d'une formidable aventure humaine qu'elle a vécue.
"C'était beau, c'était d'une solidarité, d'une force incroyable ! Il y avait des personnes qui n'avaient jamais manifesté de leur vie, parce qu'on s'en fichait des bords politiques, des ressources. J'y ai vraiment cru, j'ai vraiment cru qu'on allait peut-être pouvoir changer des choses."
Je pense qu'on a marqué l'Histoire, et que d'ici quelques années, les gilets jaunes seront dans les livres d'histoire.
Chloé Tessier, ex gilet jaune
Celle que l'on surnomme encore "la militante jaune", souhaite poursuivre son combat contre l'injustice.
Kevin Zevaco, celui qui a perdu espoir
Lui aussi s'est mobilisé. Tous les jours, Kevin Zevaco parcourait la même route pour rejoindre le rond-point de Mauquenchy, en Seine-Maritime. "On avait dans un premier temps la cabane, et au fur et à mesure que le mouvement a grandi, on s'est retrouvé dans le champ. Cela fait remonter les souvenirs sur les personnes que l'on a pu rencontrer, tout ce qui s'est passé humainement à cet endroit-là", se souvient-il en y repassant.
Aujourd'hui, il a fait tomber le gilet jaune pour renfiler sa chemise de commercial dans l’agro-alimentaire. L’ancien porte-parole du mouvement a perdu foi dans cette forme de contestation.
Sur le côté mouvement politique, je ne pense pas qu'il y aura pas des grandes révolutions. On y croit plus en tout cas.
Kevin Zevaco, porte-parole des gilets jaunes de Mauquenchy
"Il y avait quelque chose qui avait un fond, qui était quand même intéressant : de faire ressortir la voix du peuple, et d'essayer de réintégrer le peuple beaucoup plus dans les décisions politiques. Ce qui aujourd'hui n'est toujours pas fait. On se rend compte que ça fait des années qu'on manifeste, que ce soit pour ça ou pour autre chose, et que les choses ne changeront pas derrière", souffle-t-il.
François Boulo, l'avocat gilet jaune
En revanche, François Boulo continue d'y croire. Loin des plaidoiries, l'avocat gilet jaune use de ses talents oratoires sur sa chaîne YouTube. Il veut poursuive son engagement d'activiste.
Il reste pourtant un observateur politique. Selon lui, le soulèvement populaire de novembre 2018 marque le début d’une nouvelle ère dans notre démocratie.
"Les gilets jaunes, c'est le signe annonciateur du retour de la lutte des classes. Parce que, pendant que là-haut, il y a une toute petite partie de personnes qui accumule toujours beaucoup de richesses, en bas, et de plus en plus c'est en train de remonter et de toucher l'ensemble de la société, les conditions de vie deviennent de plus en plus dures", estime l'avocat ex-gilet jaune.
Il estime que le mouvement pourrait être relancé.
Quand l'étincelle reviendra, les gens ressortiront pour se mobiliser. Je pense que la prochaine étincelle verra une explosion encore plus forte que celle qui a eu lieu au moment des gilets jaunes.
François Boulo, avocat et ex-gilet jaune
Difficile de savoir si cette étincelle reprendra la forme d'un gilet jaune fluo, ou si cette colère populaire sera exprimée tout autrement.