Plusieurs familles de résidents d’un EHPAD situé près du Havre ont la volonté de porter plainte contre l’établissement auprès duquel ils ont confié leurs proches.
Après la publication du livre enquête de Victor Castanet « Les Fossoyeurs », la parole se libère sur le traitement des personnes âgées dans les EHPAD. En Seine-Maritime, un EHPAD géré par la Croix-Rouge a été condamnée en 2021. Le tribunal correctionnel de Rouen avait été saisi après un empoisonnement accidentel dans la maison de retraite médicalisée la Ruche à Elbeuf. La famille d’une résidente de 82 ans était décédée après avoir bu de la soude. Elle était dans une unité "protégée" pour malades d'Alzheimer.
Une unité réservée aux personnes âgées atteint d’Alzheimer fait également partie des prestations proposées par l’établissement « Les Charmettes » située à Gonfreville-l’Orcher près du Havre. Plusieurs familles de résidents se sont réunies pour porter plainte contre la structure. Ils rapportent des négligences à l’encontre de leurs parents. Nous avons pu les rencontrer et donner également un droit de réponse à la direction et aux salariés.
Toilette non réalisée, malnutrition, manque d’attention
De sa maman, Nadine Bachelet n’a plus que des photos en souvenir. Sur celles qu’elle montre à notre journaliste Medhi Weber, la vieille dame porte des traces d’ecchymoses sur le visage. Elle est morte en début d’année 2022 et avait passé 4 ans aux Charmettes. Selon sa fille, cette pensionnaire a été victime de négligence : « quand vous laissiez le vendredi soir votre maman avec une tenue et que vous la retrouvez 5 jours plus tard habillée pareil avec une mauvaise odeur quand elle sort de son lit, si ce n’est pas de la maltraitance il faudra qu’on m’explique ce que c’est !».
Une dizaine de familles fait le même constat : toilette non réalisée, malnutrition, manque d’attention. Elles évoquent une maltraitance institutionnelle. :"On doit se battre aujourd’hui pour que nos anciens, nos parents puissent avoir une fin de vie décente. Le problème il est là : on les voit mourir et on est impuissant. En face, il y a des gens qui n’ont aucune empathie" explique Delphine Fauvel, fille d'un ancien résident.
Plainte pour délaissement
Toutes ces familles veulent porter plainte collectivement contre l’EHPAD.
« On va pouvoir identifier des faits qui sont qualifié dans le code pénal de délaissement, qui est une infraction spécifique pour laquelle est encouru 5 ans d’emprisonnement et 75000 euros d’amendes. » Me Benoît Le Velly, avocat des familles.
L’incompréhension du personnel des Charmettes
Aux Charmettes, c’est l’incompréhension. Le personnel, épuisé par la crise sanitaire, ne digère pas les accusations des familles. Pendant deux ans, ils étaient aux premières loges des ravages du COVID 19. Certains d’entre eux sont en pleurs quand notre journaliste leur évoque les plaintes des familles : « Ça va faire 5 ans que je travaille ici et je viens toujours avec la même envie de travailler, avec le sourire. Malheureusement quand on entend cela on est démotivé ! » Amélie Gouelle, employée de l'EHPAD
Manque de temps et de personnel
La direction de l’établissement rappelle que l’implication de ses salariés est totale. Pour les manquements parfois observés, elle refuse le terme de négligence et parle d’une insuffisance de temps et de personnel «ce ne sont pas les acteurs qui sont maltraitants c’est parfois l’organisation qui le devient du fait qu’on n’a pas tous les moyens qui sont dédiés. Quand on a un professionnel qui s’occupe de plusieurs résidents la qualité ne va pas être la même que si on est dans du 1 pour 1, ce qui n’est pas le cas dans un établissement collectif malheureusement » regrette Virginie Georges, Directrice CCAS Gonfreville-L'Orcher Pôle Solidarité.
Dans une étude publiée récemment, la fédération hospitalière de Normandie recommande la création de 1800 postes dans les EHPAD publics de la région pour en assurer le bon fonctionnement. Actuellement, 14000 ETP (Equivalent Temps Plein) travaillent dans les EHPAD normands.
Lors de sa visite en Normandie en novembre 2021, Brigitte Bourguignon la ministre déléguée, chargée de l’Autonomie avait annoncé qu’une enveloppe de 6,5 millions d’euros avait été allouée en 2021 pour 10 EHPAD en Normandie. 7 millions d’euros pour doter 200 établissements en petits équipements et 4.5 millions d’euros destinés au numérique. En évoquant l’EHPAD du futur, la ministre avait cité en exemple la maison de retraite de Maromme conçue comme un village en plein centre-ville.