ENQUETES DE REGION - La crise sanitaire a accentué la précarité chez les jeunes et notamment chez les étudiants. Certains d’entre eux éprouvent même des difficultés à se nourrir.
20 ans. L'âge de tous les possibles. Des engagements et des choix, mais aussi le temps de l’amour et de l’insouciance... Et pourtant : "C’est dur d’avoir 20 ans en 2020", selon les propres mots d’Emmanuel Macron, prononcés juste avant le reconfinement. Une phrase qui résume aussi le sentiment de toute une génération dont l’horizon s’est obscurci après cette année noire marquée par la crise sanitaire.
Nous sommes au Havre, dans un petit appartement occupé par Zakaria El Azzaoui, étudiant en troisième année de génie civil. Nous lui demandons ce qu'il y a dans son réfrigérateur en ce moment. "Pas grand-chose malheureusement. Il y a du gingembre et des tomates".
Au début du mois on fait deux repas par jour et les deux dernières semaines c’est un repas par jour. Un repas qui est parfois constitué d’une baguette, avec de l’eau, du café etc…
Les courses, la boule au ventre et calculatrice à la main
Zakaria a 21 ans. Quand il a payé son loyer et ses charges, il lui reste entre 50 et 100 euros par mois pour se nourrir. C’est donc la boule au ventre et la calculatrice à la main qu’il sort faire ses courses."Je vois le prix des carottes et l’idée c’est de ne pas dépasser un certain montant à la fin des courses. Du coup on va toujours choisir la grosse quantité mais à bas prix."
"J’ai envoyé des CV à plusieurs offres de travail mais à cause du Covid et du reconfinement la plupart des établissements où j’ai postulé sont passées à 50% d’effectifs… et donc je pense que c’est pour ça que mon CV n’a pas été accepté", nous confie Zakaria, précisant qu'il continuera à candidater "pour me permettre de venir plus d’une fois par mois au supermarché".
Pour se nourrir, Zacharia n’a pas d’autres choix que de payer. Au Havre il n’existe pas d’épicerie solidaire pour les étudiants. La seule en Normandie se trouve sur le campus de Caen.
A l'épicerie solidaire l'Agorae, un panier pour une semaine contre un euro symbolique
L’AGORAé*, est ouverte depuis cinq ans et les files d’attente sont de plus en plus longues. En temps normal, les étudiants précaires paient ici 10 % du prix des produits. L’AGORAé se présente sur son site comme "l'épicerie sociale et solidaire étudiante sur le campus" et est gérée par des étudiants bénévoles. C'est un lieu d'échange et de développement durable aussi. Peuvent prétendre à cette aide alimentaire ceux dont "le reste à vivre quotidien (toutes tes recettes par mois-toutes dépenses/31) est inférieur à 7,40€.L’essentiel des produits de l’épicerie provient de dons de supermarchés ou de la banques alimentaires : quelques dates limites de consommation courte, des légumes parfois moches... mais pour les étudiants, c'est la garantie d’une semaine de menus équilibrés. "Ça a un gros impact sur la réussite dans les études, ça augmente la concentration et la capacité de mémoire… C’est pour ça qu’on propose tout le temps des fruits et légumes pour inciter les étudiants à sortir un peu de leur routine et à cuisiner eux même aussi", explique Marine Rabelle, étudiante et présidente de la Fédération Campus Basse Normandie.On a un palier de bénéficiaires habituels au nombre de 300, ce sont 300 étudiants en grande situation de précarité mais on sait qu’il y en a plus. Les chiffres sont frappants : depuis le confinement, près de 25 % des étudiants estiment avoir eu des grosses difficultés financières dues à la perte d’un emploi ou d’un stage.
Dans les Restos-U, des repas à 1€
Autre option pour les étudiants boursiers : depuis septembre, dans tous les restaurants universitaires les repas sont passés de 3,30 € à un euro. Des menus cuisinés sur place à emporter pendant les périodes de confinement.3,30 euros à chaque repas, en tant que boursière c’était compliqué. Là c’est vrai qu’un repas à 1 euro, ça change la vie.
Evidemment, même à emporter, les repas restent à 1€ pour les étudiants boursiers et à 3,30€ pour les étudiants non-boursiers ! ?#Crousavecvous #toujoursàvoscôtés #LesCrous #étudiants
— Les Crous (@Cnous_LesCrous) November 3, 2020
La précarité étudiante gagne du terrain
Français ou pas, boursier ou non, la crise sanitaire a grignoté les ressources des étudiants et la précarité a gagné du terrain.De retour au Havre dans le petit appartement de Zakaria, nous découvrons qu’il ne se chauffe pas et que son matériel informatique qui lui permet d’étudier à distance est en train de lâcher… La poursuite de ses études ne tient qu’à un fil. Zacharia s’y accroche.Le chauffage c’est pas permis. C’est du luxe qu’on ne peut pas se permettre.
"Ne pas ajouter une crise étudiante à la crise sanitaire"
Conscient de cette précarité en hausse et soulignant toutes les difficultés dues au confinement au sein de l'enseignement universitaires, 10 présidents d'Université ont signé une tribune (publiée mercredi 25 novembre), demandant à ne pas ajouter "une crise étudiante à la crise sanitaire".Les Présidents d'Université redoutent "une nouvelle crise humaine aux conséquences imprévisibles" et demandent alors au chef de l'Etat de respecter son engagement, "que cette crise sanitaire ne renforce pas les inégalités sociales".Qui se rend compte que des centaines de milliers d’étudiants, jeunes adultes en construction, sont, malgré nos efforts, de plus en plus livrés à eux-mêmes, avec des situations de détresse psychologique qui s’ajoutent à une détresse sociale croissante ?
*Agoraé Caen :
Cité universitaire / Campus 1
23 avenue de Bruxelles
BP 85153
14 070 Caen
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