Les rassemblements des 25 et 26 mars contre les "mégabassines" dans les Deux-Sèvres ont été interdits avant même que les manifestations soient déclarés. Militants, associations et avocats dénoncent des entraves à la liberté de manifester. Le cas de figure est de plus en plus récurrents à l'encontre des militants écologistes à qui l'on oppose des lois créées notamment pour lutter contre le terrorisme.
C’est ce qui s’appelle couper l’herbe sous le pied. Avant même qu’elle ait été déclarée, les manifestations "anti-bassines" des 25 et 26 mars ont été interdites. Tour à tour, les services de l’État des Deux-Sèvres, de la Vienne et de la Charente-Maritime ont dégainé leur arsenal juridique pour empêcher les opposants aux réserves de substituions d’exprimer leur opposition. Pourtant, 7 000 à 10 000 personnes sont tout de même attendues ce week-end pour contester le projet des 16 "mégabassines" des Deux-Sèvres. Une entrave au droit fondamental de manifester selon les militants qui dénoncent un "acharnement liberticide".
Des pratiques qui deviennent "très récurrentes"
C’est une série de trois arrêtés que la préfecture des Deux-Sèvres a pris en anticipant, le 17 mars 2023, les manifestations anti-bassines des 25 et 26 mars. Quelques jours plus tard, les préfectures des départements limitrophes de la Vienne et de la Charente-Maritime en ont de même. Le premier arrêté interdit toute manifestation et attroupement dans une vingtaine de commune du sud des Deux-Sèvres où se trouvent les "mégabassines" comme Sainte-Soline, lieu du dernier week-end de mobilisation en octobre dernier et Mauzé-sur-le-Mignon. La préfecture des Deux-Sèvres considère les collectifs organisateurs comme connus pour "Ieurs actions radicales et violentes" notamment la destruction des réserves de substitution.
"Cela devient très récurrent ces dernières années, qu’il y ait des arrêtés préventifs en amont pour toutes les formes de mobilisation. L’État est censé garantir et permettre la liberté d’expression dont la liberté de manifester est un élément primordial", explique Chloé Chalot, avocate qui suit attentivement ces questions. Si participer à une manifestation non déclarée n’est pas un délit, comme l'a précisé la cour de cassation en juillet dernier, et contrairement à ce qu’affirme Gérald Darmanin le ministre de l’Intérieur, participer à une manifestation interdite en est un.
À ce titre, les manifestants risquent une amende forfaitaire de 135 euros, voire une interpellation. Mais en général, les interpellations ne sont pas si nombreuses. En octobre dernier à Sainte-Soline, 6 personnes avaient été interpellées sur les 4 000 à 7 000 personnes présentes. "Dans les commissariats parisiens, ils peuvent mettre 30 ou 40 personnes en garde-à-vue. Dans les Deux-Sèvres, les commissariats et gendarmeries ont peu, voire pas de place pour la garde-à-vue. Cela demanderait des moyens trop importants, d’où les amendes forfaitaires", détaille l’avocate Coline Bouillon.
À Sainte-Soline, en octobre 2022, environ 1 600 policiers et gendarmes ainsi que six hélicoptères avaient été dépêchés sur place pour le maintien de l’ordre, représentant une facture conséquente. Le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin a déjà annoncé que les effectifs seraient doublés ce week-end. "Ici, le simple fait d’exercer une action revendicative devient une infraction, souligne Chloé Chalot. Cela ne vise qu’à dresser le nombre de contraventions et dissuader les manifestants."
Un flou entretenu
Pour la Ligue des Droits de l’Homme (LDH), l’arrêté interdisant l’attroupement pose énormément de problème. "C’est beaucoup trop large. C’est quelque chose d’interprété par les services de police et eux-seuls apprécient si la situation est problématique ou non", dénonce la co-déléguée régionale, Joëlle Dumas-Delage. L’avocate Coline Bouillon y voit des arrêtés "fourre-tout" qui sont une "manière de pouvoir interpeller sans réelle preuve".
Afin de documenter le maintien de l’ordre, la LDH a mis en place un système d’observateurs de manière à prévenir toute dérive. Ils seront 17 ce week-end sur place dans les Deux-Sèvres. Mais les préfectures des Deux-Sèvres et de la Vienne indiquent qu’ils doivent se conformer aux règles au même titre que les manifestants.
Pourtant, la jurisprudence du Conseil d’État du 10 juin 2021, considère que les observateurs indépendants, au même titre que les journalistes, doivent "pouvoir continuer d’exercer librement leur mission, même lors de la dispersion d’un attroupement." Contre cette décision des préfectures, la LDH vient de lancer une action auprès du tribunal administratif de Poitiers.
Un "non-sens" juridique
Toujours dans leur logique d’assurer le maintien de l’ordre, les préfectures ont également pris des arrêtés interdisant la vente, le transport et utilisation des artifices de divertissement, des carburants au détail, ainsi que des acides et tous produits inflammables, chimiques ou explosifs, mais également interdisant les armes et les objets pouvant devenir des armes par destination.
"Juridiquement, c'est un non-sens qui vise à faire répression", pointe l’avocate Chloé Chalot. "Par définition, une arme devient une arme du fait de son utilisation, sinon n’importe quel objet devient une arme." Ce qui peut mener à des situations cocasses, comme le raconte Coline Bouillon : "Avec ce genre d’arrêté, une personne a déjà fait 72 h de garde-à-vue parce qu’elle a jeté un mouchoir sur le bouclier d’un CRS." Dès le 24 mars, les fouilles des voitures ont commencé et les autorités ont indiqué avoir trouvé plusieurs armes.
Un risque assumé par les manifestants
Les trois arrêtés préfectoraux ont été contestés par la LDH auprès du tribunal administratif. Ce dernier a conforté les préfectures et les demandes ont été rejetées ce 24 mars 2023. Malgré cela, les manifestants seront tout de même nombreux. Ce qu’explique la co-déléguée de la LDH Poitou-Charentes : "Il y a beaucoup de personnes qui vont manifester en sachant les risques qu’ils prennent tellement il y a un sentiment d’absence de prise en compte d’une nécessité de changement profond dans la société."
Pour se protéger et protéger les manifestants, les organisations militantes mettent en place des stratégies. Le collectif Bassines Non Merci ! et les Soulèvements de la Terre ont mis en place une "base arrière" protégeant les militants. Celle-ci est composée d’une "legal team" pour conseiller et aider ceux exposés aux contraventions et aux poursuites pénales. Pour Alix, membre de cette base arrière, l’État utilise tout un tas d’outils répressifs qui vont "restreindre les libertés". Elle en est convaincue : "C’est ça qui fait monter les tensions."
Des militants traités comme des terroristes ?
"On se sert toujours des mêmes choses pour réprimer et faire de la surveillance", observe Me Coline Bouillon. Elle en veut pour preuve les lois anti-terroristes utilisées par les renseignements pour ficher les militants. Mais pas seulement. "La notion de groupement a été mis en place en 2005 par Nicolas Sarkozy, ministre de l’Intérieur, pour pouvoir interpeller les dealers qui zonaient en bas des immeubles. Aujourd’hui, cette notion est utilisée contre les manifestants", raconte-t-elle.
Le contrat d’engagement républicain en est un autre exemple. Élaboré dans le cadre de la loi "séparatisme", pourtant à l'origine destinée à lutter contre le terrorisme, il a été étendu à toutes les associations. En septembre 2022, sur ce fondement, le préfet de la Vienne avait sommé la Ville de Poitiers de retirer ses financements à Alternatiba, une association écologiste pour un atelier de "désobéissance civile". "Ce n’est pas surprenant que ce soit une association écologiste qui soit ciblée", réagissait alors Julien Talpin, chercheur en science politique au CNRS et co-fondateur de l'Observatoire des Libertés Associatives.
Les militants écologistes considérés comme des terroristes ? Gérald Darmanin a lui-même fait le parallèle après les manifestations de Sainte-Soline en 2022, qualifiant les manifestants d’ "écoterroristes". "Ce ne sont pas des écoterroristes, ce sont des personnes profondément inquiètes qui veulent faire évoluer les politiques", s’attriste-t-on à la LDH Poitou-Charentes. L'association relève tout de même que depuis juillet 2022, l'ONU reconnaît l'accès à un environnement propre et sain comme droit humain universel.
Si l’État ne semble pas l’entendre de cette oreille, ils sont de plus en plus nombreux à militer pour la cause environnementale. Un dialogue de sourds, qui continue de faire monter les tensions à la veille d’un week-end de mobilisation anti-bassines qui s’annonce particulièrement suivi.