Les incendies qui ont détruit environ 28 000 hectares de forêt en Gironde affectent le secteur du bois, qui tient une place importante dans l'économie de la région. Propriétaires, exploitants, scieries, l'activité des différents acteurs du domaine est touchée et cette perturbation va s'inscrire dans la durée. Tous espèrent intervenir au plus vite pour extraire le bois pouvant encore être exploité.
"Elles sont complètement parties en cendres". Peu avant le début de l'incendie de Landiras, Michel Bazin venait d'extraire et de mettre en tas plusieurs centaines de souches d'arbres. Puis les flammes sont passées par là, réduisant en fumée ce bois destiné à être vendu dans la région. "Cela représente 100 000 euros de pertes. Et c'est pareil pour d'autres, je ne suis pas le seul", explique le sylviculteur, également secrétaire général de l'association des Entrepreneurs forestiers de Nouvelle-Aquitaine.
Des exploitations aux scieries, en passant par les propriétaires forestiers, les feux d'ampleur exceptionnelle ayant frappé la forêt des Landes de Gascogne affectent l'ensemble de la filière bois. Celle-ci joue un rôle majeur dans l'économie de la région. Le massif, qui s'étend sur près d'un million d'hectares et génère chaque année plus de 3 milliards d'euros de chiffre d'affaires, a permis de créer 34 000 emplois.
Certains propriétaires ont quasiment tout perdu
Depuis le 12 juillet, environ 28 000 hectares de bois ont été parcourus par les flammes sur les secteurs de Landiras et la Teste-de-Buch. Cela représente près d’une demi-récolte annuelle sur le massif.
Philippe Carrère, maire de Louchats, fait partie des 60 000 propriétaires sylviculteurs qui y possèdent et exploitent des parcelles. A la tête d'une centaine d'hectares, il a pu constater une partie des dégâts fin juillet, peu avant que le feu, désormais fixé, ne reprenne sur le secteur de Landiras.
Et les pertes sont considérables. "Quand je vois les pins, ils me pleurent et je les pleure. On ne peut pas comprendre", confiait-t-il avec émotion sur notre antenne. Philippe Carrère a fait les comptes : sur les 156 000 euros qu'il aurait dû gagner sur une des parcelles incendiées, il n'en touchera que la moitié.
Regardez le reportage de France 3 Aquitaine :
D'autres petits propriétaires ont quasiment tout perdu, assure Christian Ribes, président de l'interprofession FIBOIS Nouvelle-Aquitaine. "Pour certains, la forêt était un patrimoine familial, transmis depuis plusieurs générations."
Si ces derniers sont les principaux sinistrés, il se sont pas les seuls. Les mesures de restriction voire d'interdiction d'accès au massif ont provoqué la suspension des activités forestières, de quoi mettre au ralenti l'ensemble de la filière.
Les entreprises industrielles, notamment les scieurs qui s’approvisionnent à partir de la ressource locale, ont des stocks limités. Donc certains ont été obligés de s’arrêter car ils n’avaient plus de bois à exploiter. Une dizaine d'entreprises ne pouvaient plus fonctionner
Stéphane Latour, directeur de l'interprofession Fibois Landes de Gascogne
Au plus fort du sinistre en juillet, la société Landaise FP Bois de Mimizan et la scierie Médoc Pin ont notamment été mises à l'arrêt. La papèterie Smurfit Kappa basée à Biganos a elle aussi dû ralentir son rythme de production.
Mais les conséquences s'observeront surtout à moyen et long terme. "Il faut maintenant évaluer les dégâts, et cela va prendre du temps", prévient Stéphane Latour.
Pour l'heure, il est encore impossible d'expertiser la qualité des bois incendiés. Il faudra attendre que les feux soient complètement éteints, "peut être pas avant septembre, voire octobre", explique-t-il.
Sauver et exploiter ce qui peut l'être
La situation est délicate, puisque l'idéal serait d'agir vite pour sauver ce qui peut encore l'être.
" Les entreprises vont avoir à exploiter les bois exploitables, le plus rapidement possible", note Michel Bazin.
Car si une grande partie des bois incendiés peuvent encore être valorisés, les possibilités de transformation seront limitées en fonction des dégâts constatés. Et ceux-ci risquent de s'aggraver à mesure que le temps passe, le bois pouvant devenir cassant à cause de la sécheresse. "On fera des mesures de qualité. Il peut y avoir des arbres qui n'ont pas été complètement abimés, où seule l’écorce a été brûlée, mais où le tronc est utilisable pour du sciage par exemple", indique Stéphane Latour.
S'il est atteint à cœur, "il partira uniquement pour des chaufferies industrielles", observe Christian Ribes. Mais le bois énergie est "le moins valorisé", précise-t-il. "Donc le coût de récolte, de débardage et de transport sera plus cher que ce que l'énergéticien va lui donner en valeur."
Autre motif d'urgence : la menace du scolyte. Ce petit parasite s'attaque d'abord aux arbres morts, avant de rapidement proliférer sur les bois sains. "Ils pourraient ajouter un autre sinistre", alerte Stéphane Latour. Selon lui, il est impératif de traiter les parcelles avant l'été 2023 pour éviter ces insectes ravageurs, car ceux-ci pourraient également dégrader les forêts avoisinantes.
"Il va y avoir une perturbation globale"
Dans les les mois à venir, les moyens seront donc mobilisés autour de la sauvegarde et la valorisation des bois incendiés. Au détriment d'autres activités.
"Comme on va concentrer les moyens sur la partie sinistrée de la forêt, ça va perturber la filière. Pendant entre 6 mois et un an, il va y avoir une perturbation globale", expose Stéphane Latour. Avant de tempérer: " cela ne va pas entraîner sa chute".
Certains secteurs ne peuvent en effet pas produire à partir de bois détériorés. Selon lui, les domaines "où il y a le plus d'incertitude" sont ceux du sciage, du bois de construction et à palette, de la papeterie ou encore la chimie verte. " Il y a des exigences en termes de qualité, de résistance de fibre ou de composition chimique du bois. Suivant la dégradation, peut être qu’ils ne pourront pas utiliser une bonne partie des bois incendiés."
Difficile pour l'heure d'anticiper les conséquences concrètes. Mais cela risque de se traduire, pour certaines entreprises, par une baisse de production.
Réaménager la forêt
Dans un deuxième temps, se posera la question du reboisement. "Tout sera replanté rapidement, dans un délai de 2 à 3 ans" estime Michel Bazin. Le coût de l'opération s'élèvera à plusieurs dizaines de millions d'euros.
Le 20 juillet, le président Emmanuel Macron a annoncé un chantier national pour replanter "avec des règles différentes". Celui-ci a appelé à prendre des mesures "plus protectrices" contre les incendies, et "de prévention dans la durée".
Un sujet primordial pour la filière, qui a tout intérêt à éviter qu'une telle catastrophe ne se rejoue. Celle-ci représente " un grand traumatisme pour tout le monde, et un grand signal d’alerte au sujet de la prévention des incendies", martèle Nicolas Douzain, délégué général de la Fédération nationale du bois.
"On ne reconstruira pas à l'identique. Il n’y aura pas que des pins, il y aura des lisières avec des feuillus pour faire des contre-feux. Mais on est en forêt privée à plus de 90% donc il faudra convaincre et non imposer"
Nicolas Douzain
Actuellement, la forêt se compose de 80% de pins, contre 20% de feuillus. La culture du pin maritime restera dans tous les cas prédominante. Et ce, en dépit des critiques : des voix se sont en effet élevées contre cette quasi “monoculture”, tenue pour responsable de la propagation rapide du feu. Comme celle du militant Thomas Brail, fondateur du Groupe national de surveillance des arbres. "J'espère que ces incendies vont servir de leçon pour travailler différemment”, lançait-il dans une vidéo publiée sur Twitter, en plaidant pour davantage de diversité.
"Effectivement le pin est inflammable. C'est un facteur qui a pu aggraver l'incendie mais il n'est pas essentiel. L'essentiel, c'est l'entretien, l'aménagement de coupe-feux", estime Stéphane Latour. Selon lui, il s'agit de l'espèce la mieux adaptée aux sols sableux du massif.
Même constat pour Michel Bazin : "Le pin est une essence qui se comporte très bien, et on a besoin de ces arbres-là aussi pour répondre au tissus industriel."
Quoiqu'il en soit, la forêt devra être pensée différemment pour favoriser sa résistance. Selon les projections à 2050 de l’INRAE, les changements climatiques vont entraîner une diminution des précipitations, et une hausse de la fréquence des épisodes de canicule. Une addition de facteurs promettant de rendre la forêt plus vulnérable, non seulement aux incendies, mais également à d’autres sinistres comme l’arrivée de parasites.
Le chantier s'annonce colossal. "On aura un moment avec les propriétaires, les syndicats de sylviculteurs, pour réfléchir ensemble et très vite à la forêt de demain, pour nos enfants", clame Vincent Dedieu, président du parc naturel régional des Landes de Gascogne. Mais celui-ci prévient : "il faudra faire des compromis."