Témoignage. "L'accident a détruit une partie de ma vie" : la catastrophe de Brétigny-sur-Orge, 10 ans déjà

Le 12 juillet 2013, le train Paris-Limoges déraillait en gare de Brétigny-sur-Orge, faisant sept morts et plus de 400 blessés. Dix ans plus tard, deux rescapés témoignent. Il s'agit de l'une des pires catastrophes ferroviaires survenues ces vingt dernières années en France.

Dix ans après, impossible pour Céline de monter à nouveau dans un train : “j’ai essayé de prendre un petit train en vacances cette année. C'était une catastrophe ; j’ai paniqué, je me suis mordue le bras. 10 ans sont passés et je suis toujours traumatisée. L'accident de Brétigny a détruit une partie de ma vie”. 

Le 12 juillet 2013, Céline faisait partie des 385 passagers à bord de l'Intercité numéro 3657 reliant Paris à Limoges. Il n'est jamais arrivé à destination : 15 minutes après son départ, le train déraille au niveau de la commune de Brétigny-sur-Orge, dans l'Essonne, à 31 kilomètres au sud de Paris.

Sept personnes sont mortes, plus de 400 ont été blessées.

Le drame, l'une des pires catastrophes ferroviaires survenues en France lors de ces vingt dernières années, avait laissé le pays sous le choc. La plupart des victimes n'ont toujours pas pu effacer ces mauvais souvenirs de leur mémoire. Ni l'accident, ni les heures qui ont suivies, comme le raconte Céline : "les secours ne sont pas arrivés tout de suite. J'ai attendu longtemps à Paris, sans pouvoir contacter ma famille. Je faisais partie des personnes qui ont été rapatriées tard à Limoges".

Traumatismes liés à l'accident 

Comme Céline, certaines victimes n'ont pas pu remonter à bord d'un train depuis le 12 juillet 2013. En psychologie, cela s'appelle "l'évitement", une stratégie d'adaptation pathologique qu'une personne met en place pour ne pas se retrouver confronté avec un facteur de stress, provoquant une forte anxiété, comme l'explique Eric Charles. Psychiatre à l'Hôpital Esquirol de Limoges, il avait pris en charge plusieurs victimes : "soit des passagers qui ont directement subi l'accident, soit des gens qui étaient sur le quai et qui ont vu le train dérailler, soit des employés de la SNCF qui ont porté secours aux victimes". Certaines d'entre elles ont été suivies psychologiquement pendant quelques mois. D'autres, pendant plusieurs années après le drame. 

L'éclisse au coeur de l'affaire

C'est à la suite de la défaillance d'une éclisse (une sorte d'agrafe qui sert à raccorder deux rails grâce à des boulons), que plusieurs voitures du train ont déraillé. Le choc se produit à 137 km/h (à cet endroit, la vitesse réglementaire est limitée à 150 km/h). La locomotive et les premières voitures passent. 

Le convoi se désolidarise, la quatrième voiture se couche sur la voie. Et la sixième fauche, sur sa gauche, le quai numéro 3. Six personnes âgées de 19 à 82 ans, dont deux originaires du Limousin, meurent sur le coup. Il s'agissait de deux passagers du train et de quatre personnes qui attendaient le RER C sur le quai. Une septième personne succombe à ses blessures à l'hôpital, quelques jours plus tard. Plus de 400 personnes sont aussi blessées, dont certaines très gravement.

"Par chance, nous étions dans la voiture 4, côté balastre, donc en haut, nous avons pu être évacués rapidement", se rappelle Didier, lui aussi passager du train, avec son épouse, Fabienne. 10 ans plus tard, le couple a repris le court de sa vie : "très vite nous avons pu reprendre le train, sans appréhender le voyage. On travaillait à Paris et on a rapidement repris l'habitude de faire nos allers-retours". De plus, ils ont rapidement eu une proposition des assurances "pour clôturer le dossier, en 2015. Nous avons accepté de signer un document pour ne pas aller au procès". 

D'autres, auront dû attendre des années d'enquête avant la condamnation en 2022. 

Après l'accident 

Dès juillet 2014, les conclusions des experts sont accablants pour la SNCF. Le déraillement résulte d'un "déficit dans la qualité de la maintenance", de cette partie du réseau. 

La dégradation de l'entretien du réseau ferré est la conséquence des politiques complices des gouvernements successifs et actuels, de la direction de la SNCF et de RFF depuis 1997".

Syndicat SUD-Rail, en juillet 2014

Le rapport déclenche de vives réactions, notamment de la CGT, dans un témoignage de l'époque : "Cette logique d'abaissement des coûts se traduit par plus de productivité, des suppressions d'emplois, un abaissement de la qualité des formations dispensées et plus globalement une réduction des moyens financiers et matériels qui dégradent les conditions de travail des cheminots et la qualité du service public SNCF rendue aux usagers et à la Nation". Pour SUD-Rail, "la dégradation de l'entretien du réseau ferré est la conséquence des politiques complices des gouvernements successifs et actuels, de la direction de la SNCF et de RFF depuis 1997".

Et puis, plusieurs années d'enquêtes s'ensuivent. Et plusieurs expertises sont de nouveau accordées à la SNCF, notamment en 2017, sur la pièce qui a cassé au passage du train. Ce que certaines victimes déplorent, estimant que la société ne collabore pas et ralentit la procédure.

Ce n'est qu'en 2021, soit 8 ans plus tard, que le procès est annoncé visant la responsabilité de la SNCF et un cheminot, à l'époque à la tête d'une brigade chargée de l'inspection des voies au moment du déraillement. 

Un procès renvoyé en 2022, où ils seront jugés pour homicides et blessures involontaires.

Fin du feuilleton judiciaire 

C'est le 26 octobre 2022 que sonne la fin du feuilleton judiciaire. La SNCF est condamnée à 300 000 euros d'amende, reconnue coupable d'homicides et blessures involontaires (le parquet avait requis 450 000 euros d'amende). 

En revanche, l'ancien cheminot, qui avait réalisé la dernière tournée de surveillance des voies, ainsi que la SNCF réseau sont relaxés. 

Le procureur avait demandé de condamner la SNCF à la peine maximale, car pour lui cette catastrophe, "c'est toute une conception du service public qui s'est effondrée", fustigeant "une entreprise dans le déni".

Ce que dénonce aussi Céline 10 ans plus tard, les blessures toujours ouvertes et la colère toujours aussi vive : "j'estime que la SNCF voulait incriminer une personne. Mais c'est bien la SNCF qui n'entretient pas les lignes. Avant, on avait de vrais services publics. Aujourd'hui, c'est tout le réseau ferroviaire qui est malmené. Apparemment, l'être humain coûte trop cher". 

À l'issue de ce procès, la SNCF a décidé de ne pas faire appel de la décision du tribunal d'Évry, "par respect pour les victimes". 10 ans après le drame, suivi d'un long parcours du combattant avec  neuf ans d'enquête et plusieurs semaines de procès, les victimes peuvent enfin souffler et tenter de tourner la page. 

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