C'est l'une des dernières mesures annoncées par Emmanuel Macron pour répondre à la colère du monde agricole : la mise en place de permanences pour les agriculteurs en difficulté dans les préfectures et sous-préfectures. Un dispositif qualifié de "doublon" par la FDSEA 19. Réactions en Limousin.
Depuis ce lundi 4 mars, chaque agriculteur peut se présenter sans rendez-vous dans l'une des vingt-quatre maisons France Services de la Haute-Vienne pour faire état des difficultés rencontrées sur son exploitation. "Les agriculteurs qui se seront manifestés seront rappelés sous vingt-quatre heures par un agent de la Direction Départementale des Territoires (DDT), qui se chargera de saisir les organismes concernés", indique la préfecture, qui s'engage à apporter à chaque exploitant une première réponse personnalisée sous soixante-douze heures.
Une mesure qui fait réagir le monde agricole. Tour d'horizon de quelques réactions en Limousin.
Réactions mitigées
Contactées, les différentes organisations syndicales font part, tout d'abord, de leurs doutes, "Ces gens ne sont pas formés à accompagner les paysans”, souligne Julien Roujolle, porte-parole de la Confédération paysanne 87. "C’est toujours la même chose : on a toujours l’impression d’aller au guichet, de s’épancher sur sa situation, sur ses problèmes. C’est très bien d’avoir des oreilles en face, mais c’est rarement suivi d’actes.", déplore ce dernier.
J’imagine assez mal des paysans qui seraient au bout du rouleau se dire : “ouf, j’ai rencontré un agent de la préfecture”, c’est un peu du foutage de gueule.
Julien RoujolleCo-porte-parole de la Confédération paysanne 87
Même scepticisme chez Bertrand Venteau, président de la Chambre d'agriculture de la Haute-Vienne, qui invite néanmoins les agriculteurs du département à "saturer" France Services. "J’incite tous les agriculteurs du département à aller poser tous les problèmes qu’ils ont dans ces permanences et on va voir si l’État est en capacité de traiter tous les problèmes que subissent les paysans depuis de longues années."
Amélie Rebière, éleveuse corrézienne et vice-présidente de la Coordination rurale au plan national, se montre plus nuancée : "C’est une main tendue. Je trouve que c’est une bonne idée. (...) On est loin d’avoir recensé toutes les exploitations en difficulté en Corrèze. Je pense que c’est vraiment bien pour les personnes qui ne sont pas syndiquées, parce qu’il ne faut pas oublier qu’une bonne moitié des agriculteurs corréziens n’est pas syndiquée.”
À titre d'exemple, l'agricultrice évoque le cas de l'un de ses voisins, qui "avait un problème avec la MSA, et qui ne se sentait pas forcément suffisamment mal pour appeler Solidarité Paysans, qui peinait à se faire aider par la Chambre d’agriculture, donc finalement… Qui peut le plus peut le moins."
Si ça aide ne serait-ce que trois-quatre personnes qui ne pouvaient pas se manifester par d’autres canaux, tant mieux.
Amélie RebièrePrésidente de la Coordination rurale 19
Un "doublon"
Les plus véhéments à l'égard de cette mesure, se rencontrent peut-être à la FDSEA 19 qui, dans un communiqué de presse, accuse le chef de l'État de "réinventer l'eau chaude".
"Ça fait déjà plusieurs années que l’on a mis en place une cellule d’écoute et de veille. La DDT y participe, la MSA y participe, la Chambre d’agriculture aussi…", détaille Daniel Couderc, président de la Chambre d'agriculture de la Corrèze, issu de la FDSEA. Selon lui, ce dispositif, baptisé "Agri-accompagnement" a fait ses preuves : "Par exemple, quand un agriculteur ne déclare pas ses naissances en temps et en heure - on a un délai de sept jours pour le faire - ça nous met en alerte. Alors, on contacte l’agriculteur pour voir s’il veut recevoir la visite d’un technicien et une discussion s’engage. Ça se fait au cas par cas."
Le dispositif Agri-accompagnement existe également en Haute-Vienne. "On a un afflux assez constant d’arrivées depuis deux ans, ce qui traduit un problème de rémunération dans nos élevages", note Bertrand Venteau, tout en refusant de communiquer le nombre de profils suivis. "Pas qu'une centaine...", laisse-t-il simplement entendre.
L'association Solidarité Paysans accompagne, elle aussi, les exploitants en difficulté. Présente depuis 2005 sur le territoire de l'ex-Limousin (d'abord en Creuse puis dans les autres départements), elle est venue en aide à plus de deux cents agriculteurs l'an dernier, selon sa représentante légale Chantal Deplasse. "Ce sont les personnes qui sont en difficulté qui doivent nous appeler pour que l’on vienne. Il y a des gens qui sont bien en difficulté, mais qui retardent le moment d’appeler parce qu’ils ne s’en sentent pas le courage ou parce qu’ils pensent qu’ils vont s’en sortir. (...) On se dit toujours que l’idéal serait d’arriver avant, mais on respecte la volonté de chacun."
Enfin, la MSA possède le 'réseau Sentinelles'. Un dispositif qui forme différents acteurs du monde agricole à repérer les signes de mal-être chez les exploitants afin de prévenir les risques de suicide. Contactée, la MSA Limousin n'a pas donné suite à nos demandes d'interview.
"Ça ne résout pas la crise agricole"
Tous tombent en revanche d'accord pour dire que ce dispositif ne résout en rien les causes profondes de la crise agricole. "Ce ne répond pas à ce qui cause les problèmes des paysans, c’est-à-dire les coûts de production qui ne sont pas couverts. C’est un pansement sur une jambe de bois.", selon Julien Roujolle, de la Confédération paysanne. "Les revendications ont déjà été mises sur la table par les syndicats et c’est à ça qu’il faut répondre.", estime-t-il.
"C’est une course en avant pour calmer la réunion de Macron avec le monde agricole dans quinze jours.", juge, pour sa part, Bertrand Venteau.