Femme seule, couple de femmes et non plus seulement couple homme-femme à la fertilité fragile. Grâce à la révision de la loi de bioéthique, tous les profils de futurs parents sont désormais les bienvenus. Les donneurs de gamètes restent eux trop peu nombreux. Conséquence, les délais s'allongent.
Ce sont des couloirs où l'on n'a pas très envie d'être vu(e.s) ou reconnu(e.s). "Ce n'est pas très drôle de faire un bébé avec nous !", disent gentiment les médecins qui vous reçoivent pour détendre l'atmosphère. Et effectivement, entre la première consultation au service de médecine de la reproduction du CHU de Poitiers et l'éventuel bébé, les délais se comptent très souvent en années.
Depuis quelques mois, ce service a développé son activité pour devenir un Centre d'Études et de Conservation des Œufs et du Sperme humain ou CECOS. La première structure de ce genre a vu le jour, il y a un demi-siècle déjà, à Paris. L'acronyme n'est pas très joli, mais pour de nombreuses personnes, il est synonyme d'espoir.
Au secours de la biologie
Les patientes et patients y viennent pour mener à bien leur projet parental, quand la biologie, ou les circonstances, ou encore leur parcours de vie ne leur offre pas de naissance naturelle. Si leurs gamètes ne sont pas suffisants, le recours au don est possible. Une option désormais officiellement autorisée en France aux couples de femmes ou aux femmes seules.
Comme Mélanie*, bientôt quadragénaire, venue d'un département voisin. Soutenue par sa Maman, elle s'est lancée dans cette démarche en solitaire en décembre 2021. Ce matin-là, elle vient de subir une ponction, dix ovocytes ont été récupérés, un "score" quasi inespéré au regard de ses premiers bilans médicaux. "Avec une réserve ovarienne faible, je ne pensais pas produire autant". La réserve ovarienne, pour résumer, c'est le potentiel de fertilité, l'état des stocks. Ils vont diminuant avec l'âge, et pour certaines femmes, cela commence bien avant la quarantaine.
Pendant ce temps, dans le laboratoire, les biologistes ont commencé le tri et la préparation des gamètes. Parmi les siens, sept ovocytes sont "matures", c'est-à-dire fécondables. Le sperme du donneur, anonyme, a été sorti de sa paillette congelée, et "réchauffé".
Don de cellules
À la question de savoir quel regard Mélanie* porte sur cet homme inconnu, mais si important dans son parcours, la réponse est très claire, mais empreinte d'émotion : "On ne se pose pas la question quand on reçoit du sang lors d'un accident de voiture, pour moi, ce n'est pas une personne. Ce n'est pas le père de mon futur enfant. C’est quelqu’un de très généreux qui a fait un don de soi, mais ce n’est pas un père. Un père, c’est élever des enfants."
La révision de la loi de bioéthique du 2 août 2021 est tombée à pic pour elle. Lancée dans de longues études, concentrée sur sa carrière, les 40 ans approchant, l'envie de devenir mère devenait urgente. Elle a pu accéder au parcours de procréation médicalement assistée, sans être empêchée par l'absence de compagnon stable.
"Pendant longtemps, je me suis interrogée, est-ce égoïste de faire ça toute seule ? On vit dans une société où la vie professionnelle est extrêmement importante et la vie familiale secondaire. Voilà, j’ai longtemps fait ce choix, je l’assume. Mais ma vie, je ne l’envisageais pas sans enfant, et je pars du principe qu’il vaut mieux avoir des remords que des regrets".
Cet enfant, il est autant désiré que s’il avait deux parents qui l’élèveront. Ici ils n'ont pas trop de recul sur la PMA solo, ils vont à tâtons mais ils n’ont pas peur d’essayer.
Mélanie*Femme seule en parcours PMA
Notre patiente a un discours très posé, très réfléchi sur ce qu'elle veut et sur ce qu'elle vit. Elle est très lucide aussi sur cette charge hormonale des traitements qu'elle prend et qui accentue sa sensibilité naturelle, et en cette matinée décisive, lui fait monter les larmes facilement. Comme aux autres, les médecins du service lui conseillent de procéder par étapes pour se réjouir des bonnes nouvelles et ne pas se décourager.
"Ce petit trésor"
Margaux et Rémi Pasquet connaissent bien ces montagnes russes entre espoirs et échecs. Un parcours éprouvant, aujourd'hui balayé par la naissance de leur fille Alicia et le tourbillon qui l'a suivie. "La notion du temps est très chamboulée, nous détaille Margaux. Avant, on pensait être fatigués, maintenant, on sait ce que c’est !"
Les jeunes parents s'émerveillent, et leur entourage avec eux, du moindre geste ou progrès de leur fille. Pour la décrire, ils parlent de "ce petit trésor", tant elle est une récompense heureuse de ces six ans de rendez-vous médicaux intrusifs qui bousculent la confiance en soi, et le couple.
Pour ne pas craquer, très vite, Margaux et Rémi avaient mis en place un accompagnement non médical en parallèle à leur suivi. "Ça m’a permis de comprendre, d’accepter, que ce n’était pas de ma faute. Ça nous a appris à mieux communiquer entre nous."
Ce parcours, ça nous permet aussi de savourer les moments avec elle, on mesure notre chance !
Margaux PasquetJeune maman
Margaux a également beaucoup lu sur les interactions mère / enfant in utero. Comme Alicia est issue d'une fécondation in vitro avec don d'ovocyte, elle avait besoin de se rassurer sur sa ressemblance avec ce bébé à venir.
"Ils prennent en compte les caractéristiques physiques, la donneuse normalement est châtain clair, yeux marron, la peau claire. Et j'ai lu que beaucoup de choses se transforment à travers l'épigénétique".
Ce lien offert par la grossesse, Margaux le prolonge encore à travers l'allaitement. Les remarques "Tu ressembles à ta Maman !" des personnes ignorant la particularité de la conception d'Alicia font le reste !
Mais pas question pour le couple de cacher quoi que ce soit à Alicia de cette origine complexe. Ils commencent déjà à lui expliquer par les lectures de livre sur le sujet, et de leur propre récit de cette aventure familiale, où la donneuse d'ovocyte est une fée qui prête une graine.
>> Voir notre reportage puis l'interview du Dr Clémence Gachet, responsable du CECOS de Poitiers
Un geste généreux, mais trop rare
Chaque année en France, en moyenne, 800 donneuses et 400 donneurs concrétisent cette démarche particulière. C’est trop peu, et c'est moitié moins que de candidats.
"Pour pouvoir sélectionner des donneurs, on remonte jusqu’aux grands-parents. Il faut savoir qu’en France à peu près la moitié des donneurs que l’on voit en consultation, on ne peut pas les retenir parce qu’il y a des risques de transmission de maladie ou la qualité des gamètes n’est pas extraordinaire et on ne peut pas l’exploiter" précise le Dr Philippe Grivard, responsable du centre de Procréation Médicalement Assistée.
Pour les hommes, cela consiste en trois à quatre venues à l'hôpital. Pour les femmes, il faut se soumettre aux mêmes traitements hormonaux et gestes médicaux que les receveuses potentielles.
Les frais sont indemnisés, mais le don de gamètes est anonyme et gratuit, comme les dons du sang, de moelle osseuse ou d'organes. Il reste une démarche volontaire. Les personnes qui se lancent bénéficient d'un entretien psychologique pour garantir un choix éclairé. "Souhaitez-vous laisser des éléments d'identité ?" (car à 18 ans, les enfants issus d'un don peuvent consulter leur dossier.) "Pourquoi souhaitez-vous faire ce don ?"
Les questions sont nombreuses, les implications symboliques ou concrètes majeures
Notre receveuse anonyme y a longuement réfléchi. "Au lieu de faire ce qui existe depuis sans doute des millénaires, c’est-à-dire de faire un bébé avec le premier venu et de le cacher, éthiquement, je trouvais ça difficile à expliquer à un enfant. Au moins son histoire, elle a un début. C'est quelqu'un de très généreux qui nous aide à créer notre famille !"
Margaux ne peut pas plus retenir ses larmes pour parler de cette inconnue-là.
C’est le plus beau cadeau qu’on puisse faire ! C'était l’espoir de notre vie de couple de pouvoir fonder cette famille, sans elle, on n’aurait pas pu le faire.
Margaux PasquetMaman grâce à un don d'ovocytes
Aujourd’hui en France, plus de 70 000 personnes sont nées de procréation avec donneurs. Et dans chaque classe de petite section de maternelle, au moins un enfant est conçu par assistance médicale à la procréation.
Une équation complexe à résoudre
De nombreux rapports le disent, la fertilité humaine est en déclin. Plusieurs raisons l'expliquent : les grossesses plus tardives, mais aussi l'impact des perturbateurs endocriniens. En parallèle, l'évolution de nos sociétés ouvre ces parcours médicaux à de nouveaux publics. Autant de facteurs qui contribuent à l'allongement général des délais pour les candidats à la parentalité. Le Dr Grivard ne peut que le constater. "À Poitiers, les délais tournent autour de huit à douze mois, mais ça augmente. À Paris, c'est deux à trois ans d'attente. Nous avons des patients qui viennent de loin."
Les patients sont pris entre ces délais très longs et l'urgence de leur biologie. Ça peut être assez compliqué à vivre. Il y a toujours des patientes qui partent à l’étranger. L’intérêt de la loi, c'était de limiter ce tourisme procréatif.
Dr Philippe GrivardResponsable du centre de Procréation Médicalement Assistée
Désireux d'apporter sa contribution, Rémi, désormais papa comblé, parle régulièrement autour de lui de cet écart entre le besoin et les dons de gamètes. Il envisage lui-même de faire un don de spermatozoïdes dans les prochains mois pour, à son tour, offrir à d’autres le bonheur de devenir parents.
Mélanie* : le prénom a été modifié.