Le Lézard ocellé, plus grand lézard d'Europe, est menacé d'extinction. Dans l'Aude, des viticulteurs de la cave coopérative de Cascastel-des-Corbières ont décidé, pour se faire connaître, d'agir en sa faveur : ils protègent son habitat en restaurant les murets qui bordent les vignes.
Tout a commencé le jour où un lézard ocellé s'est invité à l'intérieur de la cave coopérative de Cascastel-des-Corbières. C'est lui qui a donné l'idée aux vignerons locaux de lancer une campagne d'action en sa faveur.
Dans ce village audois de quelque 200 habitants, situé au sud de Narbonne, la viticulture est la principale source de revenus. La cave coopérative cherchait un moyen de faire connaître ses produits tout en s'inscrivant dans l'air du temps.
Ce grand lézard vert tacheté de bleu cochait toutes les cases : "On cherchait une espèce porte-drapeau pour communiquer et sensibiliser nos vignerons aux enjeux environnementaux" affirme Atmann Afanniss, le directeur de la cave coopérative de Cascastel.
C’était aussi une volonté de montrer que, dans notre milieu, on n'est pas complètement déconnectés des enjeux environnementaux. On travaille aussi en tenant compte de ce qui nous entoure.
Deux partenariats avec des associations herpétologiques ont donc été montés en 2018 et 2019 : le premier avec l'AHPAM de Provence Alpes Méditerranée et le second avec ECODIV de l'Aude.
Ces spécialistes des reptiles ont d'abord dressé un inventaire de la population de Lézard ocellé et de son habitat : à Cascastel, on le rencontre souvent sur les vieux murets qui délimitent les champs de vignes.
Le Lézard ocellé : une espèce menacée
Ce reptile est en forte régression sur le territoire français, il est d'ailleurs inscrit aux listes rouges mondiale et européenne de l’UICN.
Pour endiguer le déclin de sa population, l'Etat a mis en place de mesures de conservation et élaboré un Plan national d'action (PNA) dédié entre 2012-2016. Le ministère de la Transition écologique et solidaire a décidé de le renouveler pour une durée de 10 ans (2020-2029).
Les menaces qui pèsent sur cette espèce, présente depuis 1,8 million d'années dans le sud de la France, sont liées aux pratiques agricoles, à l’urbanisation, aux changements climatiques et à l’impact des animaux domestiques.
Néanmoins, à Cascastel où l'on compte nombre de petites parcelles, sa population semble relativement préservée selon les herpétologues qui ont travaillé sur le projet :
"Le Lézard ocellé mange des sauterelles, des escargots, des criquets. Comme il y a peu d’usage de produits phytosanitaires dans ces petites parcelles où les tracteurs peuvent difficilement passer, il y a des insectes en quantité suffisante" explique Jean Mutatet, herpétologue de l’association audoise ECODIV.
Même si sa population est globalement en baisse, il en reste beaucoup dans le secteur de Cascastel : on n’en a dénombré une quarantaine au moins sur la commune, ce qui est beaucoup ! D’habitude, on n’en trouve qu'un ou deux par village.
Comme le Lézard ocellé est incapable de creuser son propre terrier, il a besoin d'une multiplicité des caches. Les vieux murets en pierre sèche qui sont légion autour du village lui offrent ainsi une infinité de refuges.
Une action qui se veut aussi sociale
L'an dernier, les associations Ecodiv et Ahpam ont donc dressé un inventaire des vieux murets pour évaluer leur état de conservation.
Sur les 317 murets cartographiés, seul un tiers est en bon état de conservation, plus de la moitié est en état jugé moyen et 8% en mauvais état.
Un premier chantier de restauration a été mené par des viticulteurs volontaires en collaboration avec l'ESAT l'Envol de Narbonne (Etablissement et Service d’Aide par le Travail qui a pour objectif l'insertion sociale et professionnelle des adultes handicapés). Une seconde tranche de travaux doit avoir lieu en octobre prochain.
Un chantier de longue haleine car il y a près de 10 kilomètres cumulés de vieux murs sur le territoire de la commune !
La cuvée du Lézard ocellé : coup de pub ou coup de pouce pour la biodiversité ?
C'est le département de l'Aude qui finance 80% de ces chantiers. La cave, qui doit payer les 20% restants, a créé une cuvée dédiée au Lézard ocellé. 4.000 bouteilles ont été produites, pour chaque bouteille vendue, un euro sera reversé à cette action de préservation.
"C’est vrai qu’il y a beaucoup de cave coopérative qui font du marketing en utilisant l'argument écologique", reconnait Jean Muratet. "Mais là, il y a vraiment une action concrète avec la restauration des murets et le fait de laisser une bande enherbée entre les vignes. C'est le premier projet novateur de cette ampleur en France", souligne l'herpétologue.
35 adhérents sur la centaine que compte la cave, ont signé une charte qui les engagent à laisser l'herbe sur les bandes de terre en lisière des champs et aux abords de leurs murets, afin de favoriser la présence d’insectes dont le plus grand lézard d'Europe fait son festin.
L’objectif est de pousser les vignerons à ne plus désherber. Plutôt que de contraindre et de forcer les choses, il faut les accompagner et trouver des actions en faveur de la biodiversité.
Actuellement, 10% des viticulteurs de la cave travaillent en bio et 25% sont en conversion bio.
Pour Gilles Contrepois, l'un des vignerons indépendants du village, il y a vraiment urgence à changer de braquet : " L’une des causes principales de la disparition de ce lézard et des insectes, c'est l'usage de produits chimiques à la vigne. Il y a quelques années, on ne savait pas tous les dégâts que pouvait occasionner l'utilisation des pesticides et des insecticides, mais maintenant tout le monde le sait très bien !".
Ce pionnier du vin nature dans les Corbières affirme haut et fort que l'on peut travailler en ayant des rendements un peu plus faibles, avec davantage d'huile de coude, et parvenir à créer un équilibre à la vigne avec des sols vivants.
"Il y a une biodiversité qui est en train de souffrir de tous les ravages depuis des années 50. Chacun doit prendre conscience que toute cette biodiversité est indispensable à la pérennité et à la continuité de la vigne" conclut cet amoureux de la nature.