Abbaye de Lagrasse, entre masques et mensonges : un livre-enquête sur une communauté religieuse qui fait polémique

Jean-Michel Mariou aime profondément son village de Lagrasse dans l’Aude. Il reconnaît volontiers que l’abbaye en fait partie intégrante. Mais elle est désormais occupée selon lui par "une communauté catholique intégriste", les chanoines de la Mère de Dieu, qui menace son petit coin de paradis. Son livre a pour objectif de le prouver.

L’histoire débute par une exfiltration, celle de Wladimir de Saint-Jean. Roger Péquigney, de son vrai nom, dirige alors la communauté des chanoines de la Mère de Dieu, installée dans l’abbaye de Lagrasse. "Une communauté qu’il avait lui-même créée, quelques années auparavant, fidèle à des principes traditionalistes opposés à Vatican 2."

L’homme ne peut plus être couvert par ses pairs, le nombre de harcèlements sexuels et moraux qu’il aurait commis, se serait accumulé au fil des ans, les plaintes aussi. Pour toute pénitence, ce "criminel sexuel narcissique", comme le qualifie l’auteur, sera exfiltré à l’abbaye d’En Calcat où il est aujourd’hui enterré depuis un peu plus d’un an.

Traditionalisme et réseaux

 

Au-delà du cas personnel de Péquigney, tout un système est dénoncé dans ce "petit livre" comme l’appelle modestement son auteur. Et au-delà encore, une église traditionaliste proche de l’ultra-droite et aux mœurs rétrogrades. Une institution qui défie même son propre Pape, François, bien plus ouvert qu’elle.

Une communauté qui défend un projet au nom qui interroge : le "Grand Relèvement". Toute ressemblance avec une autre expression liée à l’extrême droite serait fortuite… "Un Grand Relèvement" qui est censé évoquer les chantiers monumentaux lancés pour la rénovation de l’abbaye à coups de millions qui ne sont pas tombés du ciel. La communauté des chanoines a aussi ses réseaux et semble s’y connaître davantage en lobbying et en plan com’ qu’en rédemption de ses brebis galeuses.

Deux églises dos à dos

Ainsi, le lecteur découvrira, au fil des pages, un écosystème qui graviterait autour de la communauté. "On parle" des familles Dassault ou Bolloré en passant par quelques journalistes du Figaro, un responsable de maison d’édition ou encore quelques élus de l’extrême droite. "À Lagrasse, la liste des noms qui circulent est impressionnante. Mais bien difficile à vérifier", reconnaît Jean-Michel Mariou. Un écosystème qui tenterait de multiplier ses antennes dans les aumôneries auprès des jeunes ou encore dans certains Ehpad et même jusqu’à Pau où il croit avoir trouvé une terre fertile. 

Mais l’auteur évoque aussi une église qui, comme Monseigneur Pascal Wintzer, reconnaît, humblement, mais amèrement, que "nous, les évêques, sommes discrédités, ayant laissé faire des prédateurs, ayant préféré le silence à la défense des victimes" (cf Mgr Pascal Wintzer, Abus sexuels dans l’Église catholique, des scandales aux réformes, Tract Gallimard mars 2023).

Une enquête et de l'affect

Une église qu’incarne aussi Luc Caraguel, vicaire général du diocèse de Carcassonne qui démissionnera en 2021 pour "protester contre l’absence totale d’application du motu proprio « Traditionis custodes » du pape François" par les évêques Planet puis Valentin. Ils ont, selon lui, laissé les chanoines de Lagrasse "imposer leur loi au clergé régulier ". 

L’ouvrage de Jean-Michel Mariou est sous-titré « enquête sur des soldats de Dieu ». Il peut être effectivement envisagé comme un travail journalistique du genre. Les témoignages et les sources documentaires relèvent bien de cet exercice parfois austère. Mais ici, le lecteur sentira l’attachement viscéral de l’auteur à la cité de l’Aude. Jean-Michel Mariou est en colère contre ces hommes d’Église qui "menacent" son village. C’est à eux qu’il en veut, pas à l’abbaye. 

 Vous sortez du village, elle est là, qui vous laisse partir. Vous revenez, c’est son secret qui vous accueille, silencieuse, sans reproche. Elle est là, comme une évidence indispensable à ceux qui croient comme à ceux qui ne croient pas. Car c’est dans les absences divines qu’elle justifie le plus son existence. La possibilité d’une parole, que chacun pourrait choisir. Un miracle que personne ne devrait confisquer

L’abbaye de Lagrasse a d’ailleurs cette particularité qu’elle est scindée en deux : une partie appartenant à la communauté religieuse et étant gérée comme telle et l’autre ouverte au public appartenant au Département qui, avec la Région, y a implanté un Centre Culturel de Rencontres. Jean-Michel Mariou fut d’ailleurs longtemps président du Marque-Page, l’association organisatrice du Banquet du livre (NDLR : il fut aussi directeur régional de France 3 Languedoc-Roussillon).

Cohabiter malgré tout

La cohabitation s’avère compliquée même si en apparence apaisée. C’est cet équilibre que Jean-Michel Mariou redoute de voir menacé, ainsi qu’un mode de vie qui s’écoule paisiblement, comme l’Orbieu, dans ce village de l’Aude de plus en plus ouvert aux touristes et aux autres en général (artistes, intellectuels…) D’où ce cri du cœur qui au-delà de nous faire partager ses craintes nous relate, à travers un lieu paradisiaque, les fractures d’une partie de notre société et les cicatrices qu’elle ne veut pas toujours refermer.

« Abbaye de Lagrasse, entre masques et mensonges » de Jean-Michel Mariou, Éditions Golias.

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