Le suspense est quasiment clos : au soir du second tour, le conseil départemental de l’Aude devrait rester à gauche, sauf tremblement de terre. Pourtant de nombreux enjeux se dessinent pour cette élection. Sur un territoire qui rassemble de nombreuses problématiques de la région.
Pour mieux comprendre les enjeux de ce scrutin, et donner la parole aux principales forces politiques qui s’y affronteront, nous vous proposerons de revoir le débat dirigé par Olivia Boisson organisé le 14 juin.
Les candidats invités :
- Hélène Sandragné (PS)
- Pierre Castel (LR)
- Christophe Barthès (RN)
- Marine Toro (FI)
Une formalité pour le PS, malgré la montée du RN ?
C’est un signe qui ne trompe pas. Pour ces élections, seules deux alliances politiques sont présentes sur l’ensemble des 19 cantons audois : la liste « Unis pour l’Aude », qui rassemble la Parti socialiste, le Parti communiste, Europe écologie-Les verts, le Parti radical de gauche, Génération.S (le mouvement lancé par Benoît Hamon) ainsi que Nouvelle Donne (un mouvement citoyen qui a notamment permis l’élection de Paul Larrouturou au Parlement européen.) Et la liste qui réunit le Rassemblement National, la Droite Populaire, l’Avenir français (un mouvement « de droite gaulliste » d’après son site) ainsi que les localistes (un mouvement lancé par Hervé Juvin ainsi que par le transfuge de la France Insoumise André Kotarac).
De fait, ce sont les deux seules formations qui pourront prétendre à la présidence du département de l’Aude au soir du second tour. L’hégémonie socialiste sur l’Aude ne devrait pas être remise en question malgré le changement récent à la tête de la collectivité : en juillet 2020, André Viola, président du département depuis 2011, avait cédé la main à Hélène Sandragné, élue sur le canton de Narbonne 3 et jusqu’ici vice-présidente à l’autonomie.
Mais le Rassemblement national nourrit malgré tout des espoirs pour ce territoire où le vote en faveur du RN est en progression constante. Pour les élections départementales de 2015, la formation d’extrême-droite avait réuni plus de 33% des voix du premier tour sur le département, se qualifiant pour le second tour dans 18 des 19 cantons de l’Aude (le canton de Bram avait été remporté par le PS André Viola dès le premier tour).
La Parti Socialiste dans l’Aude : des signes de faiblesse ?
Le Parti socialiste, qui n’avait concédé qu’un seul canton aux élections de 2015 (le canton des Corbières Méditerranée, autrefois appelé canton de Sigean, est resté aux mains d’un binôme de droite) pourrait bien perdre d’autres cantons... Mais attention au plafond de verre pour le Rassemblement National : « Les élections départementales de 2015 ont confirmé le statut d’« idiot utile » du Rassemblement national dans l’Aude. Ils font des scores souvent brillants au premier tour, pour être systématiquement battus au second tour », analyse ainsi Emmanuel Négrier, directeur de recherche en sciences politiques au CNRS.
Un autre signe qui ne trompe pas : pour ces élections, le Parti Socialiste a cherché l’union avec ses partenaires de gauche avant même le premier tour. En 2015, EELV et le PCF avaient chacun présenté des candidats sur de nombreux cantons. Un signe sans doute des incertitudes qui pèsent sur cette élection pour le PS. Mais cette alliance est risquée pour le Parti Socialiste : en 2020 les listes écologistes n’ont pas remporté le même succès à Carcassonne (où la liste conjointe EELV/La France Insoumise n’a réuni que 11,95 % des voix, terminant en quatrième position) et à Narbonne ( où la liste EELV avait réuni 13,11% des voix, terminant troisième) que dans d’autres villes d’Occitanie.
C’est l’un des enseignements des élections de 2017 : les gagnants ne sont plus des partis politiques mais des mouvements. Et le PS audois semble l’avoir compris
Et le vote écologiste peut constituer un repoussoir, tant sur le littoral et la Montagne Noire (où prospère le discours anti-éoliennes) que sur les territoires viticoles, parfois ciblés pour leur utilisation d’engrais et de pesticides. « C’est l’un des enseignements des élections de 2017 : les gagnants ne sont plus des partis politiques mais des mouvements. Et le PS audois semble l’avoir compris, » contextualise Emmanuel Négrier.
Un territoire pauvre
L’Aude est un territoire divers, avec des réalités et des sociologies très différentes selon les cantons. C’est un département pauvre, puisque 12 % de ses 370 000 habitants vivent sous le seuil de pauvreté (c’est-à-dire qu’ils disposent de moins de 1015 euros par mois pour vivre) d’après l’observatoire des inégalités. 10 quartiers prioritaires sont inscrits dans le dispositif de la politique de la ville : le centre-ville de Lézignan, un quartier de Limoux, cinq à Carcassonne et trois à Narbonne. Mais l’Aude est avant tout un territoire rural : sa plus grande ville Narbonne, la sous-préfecture, compte 54 700 habitants, quand la Préfecture, Carcassonne, n’en comprend que 46 000.
La droite des villes, la gauche des champs
Des grandes villes qui sont dirigées par des majorités de droite depuis 2014 : Gérard Larrat à Carcassonne et Didier Mouly à Narbonne ont tous deux été réélus en 2020. Et une autre ville a elle aussi basculé aux dernières municipales : Lézignan-Corbières, a été ravie au Parti socialiste par une liste divers droite emmenée par Gérard Forcada. Pour ces élections départementales, l’équipe municipale de Carcassonne sera représentée sur les 3 cantons de la ville.
A Lézignan-Corbières aussi, l’équipe municipale soutient un binôme pour ces élections. Mais pas de candidats pour l’équipe municipale de Narbonne. Ces candidatures prendront-elles des voix plutôt au PS ou au RN ? Ce sera l’un des indicateurs à observer au soir du premier tour.
Autour des villes, les zones péri-urbaines sont des terres de progression pour le Rassemblement National (qui a par exemple réuni 39,27% des voix en 2015, terminant en tête du premier tour). « La notabilisation des candidats dans ces aires urbaines et péri-urbaines n’a pas fonctionné pour le RN pour l’instant, explique Emmanuel Négrier. Robert Morio (ndlr : le président départemental de ce qui s’appelait alors le Front National de 1999 à 2015) a tenté de s’implanter mais n’a jamais pu dépasser un certain plafond. On verra ce que réussit à faire le président Christophe Barthès dans son fief de Trèbes. »
Le rural, terre de progression pour le Rassemblement National ?
L’Aude se distingue donc par son caractère rural mais une ruralité plurielle : partagée entre un territoire viticole (le canton de Limoux, le haut-Minervois, le sud-minervois, les corbières) et un territoire d’élevage et de fourrage (le canton de Castelnaudary, celui de Bram, celui de Montréal ) : « Il sera intéressant d’observer la pénétration du RN en milieu rural à l’issue du scrutin : avec la modération de son discours, son opportunisme sur certain thèmes de la ruralité (la chasse, les éoliennes,..), le Rassemblement National va-t-il réussir à séduire sur ces territoires encore acquis au PS pour l’instant ? Et il sera d’autant plus intéressant de voir si ce discours séduit la ruralité de la vigne et des coopératives, qui s’inscrit plutôt à gauche. Ou s’il fonctionne auprès de la ruralité plus proche de la droite » , analyse le politologue Emmanuel Négrier.
Il sera intéressant d’observer la pénétration du RN en milieu rural à l’issue du scrutin
L’Aude comporte une autre aire, singulière elle aussi : la haute-vallée de l’Aude. Un territoire très ancré à gauche et qui résiste aux sirènes du RN. Opposé à un binôme socialiste ainsi qu’à un duo soutenu par l’UMP au second tour des départementales de 2015, le Front National avait réalisé le même score, à 70 voix près, au second tour. Montrant son peu de réserve de voix dans ce canton où son discours ne prend pas.
Le canton de la Haute-vallée de l’Aude est d’ailleurs l’un des seuls (avec Carcassonne-2) dans lequel la France insoumise a investi un candidat. Jean-Luc Mélenchon était d’ailleurs arrivé en tête du premier tour sur le canton lors de la présidentielle de 2017. Le PS ne s’y est d’ailleurs pas trompé en confiant l’investiture à Anthony Chabaud, un jeune maire sympathisant mais non encarté ainsi qu’à Joëlle Chalavoux, une représentante d’Europe Ecologie Les Verts.
L’exception du littoral audois
Comme dans le Gard, les Pyrénées-Orientales ou l’Hérault, le littoral audois se distingue par un vote en faveur du Rassemblement National très puissant : Port-la-Nouvelle est régulièrement en tête du classement des communes audoises qui votent pour le RN. Mais le maire divers droite Henri Martin est très implanté localement et résiste : il a ainsi été réélu en 2020 dès le premier tour des municipales. Son adversaire (desservi il est vrai par des propos polémiques largement relayés sur les réseaux sociaux) n’avait pu faire mieux que 12, 78 % des voix au premier tour.
Sur les cantons de Sigean et de Coursan, le RN était arrivé en seconde position, très proche des premiers. Mais avait peiné à convaincre de nouveaux électeurs au second tour, ou en avait séduit largement moins que leurs adversaires. Sur Narbonne 2 et Narbonne 3, le Rassemblement National était arrivé à la seconde place du premier tour. Mais le report des voix au second tour leur avait été défavorable, les reléguant à la troisième place de la triangulaire. « La gauche comme la droite ont montré jusqu’ici, de fortes capacités de résistance sur le littoral audois, analyse Emmanuel Négrier. C’est ce qui distingue ce littoral de celui des départements voisins. » A confirmer au soir du second tour.
L’inconnue de l’abstention
Reste que le Parti Socialiste devra faire face à une inconnue : le niveau de mobilisation des électeurs, que les sondages annoncent faible. « En général, une faible participation est favorable aux équipes sortantes. Plus que jamais, quand les électeurs sont peu mobilisés, ce qui va faire la différence, c’est la présence dans les médias locaux et les relais municipaux : le fait que les mairies mettent en avant les bilans des candidats issus de leurs rangs », explique Emmanuel Négrier. Le PS pourra certes mettre en avant le bilan de sa majorité mais fera face à de nombreux candidats issus de municipalités qui ne lui sont pas favorables : sur les trois cantons de Carcassonne, sur le canton de Montréal, ou encore celui des Corbières.
Le 1er tour des élections départementales aura lieu le dimanche 20 juin dès 19h50 et sera à suivre en direct.