L’association Paysans Terre Mer a créé « la tortue maraîchère » marine. Ce n’est pas un animal mais une serre flottante avec une forme de carapace posée sur l’étang de La Palme dans l’Aude. A l’intérieur, les végétaux poussent grâce aux déjections rejetés par les poissons dans l’eau douce au centre du jardin qui alimente les bacs de culture.
On vous embarque sur l’étang salé de la Palme dans l’Aude découvrir un objet flottant non identifié. Une innovation qui pourrait faire passer ses inventeurs pour de doux rêveurs.
Sauf que François Plassard, le Président de l’association Paysans Terre Mer et tout le collectif qu’il a rassemblé autour de son projet ont bien trouvé un début de solution à leur idéal d’agriculture. C'est parti pour la visite !
Si la mer vient à nous, alors allons à la mer !
C’est une serre construite sur le principe d’un catamaran, retenue sur l’étang par des ancres et posée sur des bidons. Elle est ainsi capable de résister à de fortes bourrasques de vent et depuis deux ans, elle a tenu le coup !
Cette aventure a commencé à terre, à Peyriac-de-Mer. François est ingénieur agronome à la retraite. Et pour se faire des amis dans sa commune du littoral, il a eu l’idée de faire un jardin partagé sans engrais ni pesticide. Mais au bout de trois ans, ses amis ont commencé à le chambrer : « T’as pas fait des études d’agronomie ? Regarde nos tomates elles ne sont pas plus grosses que le petit doigt ».
Personne ne comprenait pourquoi, alors François a fait des mesures dans les puits de leur arrosage et a découvert qu’il y avait 14g de sel par litre d’eau. « C’était donc ça qui faisait brûler tous nos légumes. Là on s’est dit si la mer monte, et elle va monter d’un mètre d’ici à 2050, anticipons et allons à la mer. On a donc imaginé ce jardin flottant. »
Economie circulaire entre poissons et légumes
Quand nous rencontrons François, il transporte dans sa remorque un lot de truites, une espèce qui supporte bien l’eau froide et qui est donc adaptée à l’approche l’hiver. Les truites ont remplacé les loups et les muges de cet été.
On se met, avec sa stagiaire Tatiana, à les transvaser dans une barge pour les apporter dans la serre flottante au milieu de l’étang car ses poissons vont jouer un rôle essentiel dans la culture des légumes.
Pendant qu’on les emmène, François m'explique le système : « Les poissons vont nourrir nos légumes car notre slogan c’est le vivant comme modèle et notre modèle c’est l’économie circulaire dans la mer : les poissons nourrissent les coquillages filtreurs, les huîtres et les moules, qui eux-mêmes nourrissent les algues.
Et les algues pour nous ce sont nos légumes. C’est pour ça qu’on a une économie circulaire toutes les heures entre les poissons qui avec leurs déjections alimentent les légumes qui épurent l’eau des poissons. C’est l’économie circulaire de la mer. »
Arrivés au jardin flottant, on déménage les truites dans un bassin au milieu de la serre de 4m3 d’eau douce. Tatiana qui se forme depuis un an sur cette « tortue maraîchère » nous montre comment circule l’eau. Tout autour du bassin se trouvent les bacs de culture où poussent les légumes : « Le jardinier en chef, c’est un système de pompe alimenté par des panneaux solaires. Il va tracter l’eau du bassin vers les bacs dans un circuit fermé. Toutes les 15 mn, les bacs se remplissent. Ils ne contiennent pas de terre mais des billes d’argiles assurant le transport des engrais produits par les déjections des poissons. »
Les pompes s’arrêtent, les bacs se vident, les plantes respirent et filtrent l’eau qui retourne au bassin et aux poissons. Un système autosuffisant et très peu consommateur d’eau.
Même au plus fort de l’été quand les légumes vont transpirer et qu’il va falloir trouver 20 litres d’eau douce tous les jours, l'association a mis en place un système de désalinisation de l’eau de mer par distillation. Elle a vraiment penser à tout !
Libérer du temps aux paysans
Au delà du prototype de la « la tortue maraîchère », l’idée c’est que la jeune génération s’approprie le concept et invente l'agriculture de demain.
Comme le prix des terres est souvent inabordable pour les jeunes, ils pourraient avec l’aide de l’association auto construire deux ou trois tortues maraîchères pour dégager un revenu.
Selon les calculs de l'association, ces jardins flottants sont à la fois productifs et autonomes : dans 20 mètres carré ils cultivent l’équivalent de 300 mètres carré au sol avec seulement 15mn d’entretien par jour. Ainsi, ils libèrent du temps pour les maraîchers.
Alors l'association s’est prise à rêver d’un paysan multifonctions entre terre et mer qui œuvrerait pour la planète tout en produisant une alimentation locale, saine et de qualité : « Un jeune pourrait travailler par exemple le matin sur la tortue et l’après-midi il consacrerait son temps à régénérer la vie des sols par l’agroforesterie et la permaculture, ce qui limiterait l’érosion de la terre en cas de pluies diluviennes.
Il pourrait aussi faire de l’éco pâturage et permettrait de lutter contre les incendies. »
Le paysage retrouverait ses capacités de résilience contre la surchauffe climatique. Bref l’association imagine un monde nouveau pour faire face au grand défi de la mutation énergétique et climatique. Un monde plein de bon sens paysan.