Romaric Justes est enseignant stagiaire en NSI (numérique et sciences informatiques) en lycée. Tout juste diplômé, il a décidé de ne pas se présenter devant les élèves à la rentrée. Il nous en explique les raisons.
Il vient de démissionner de l'Education nationale avec le sentiment que son cas relève d'un problème sociétal. Romaric Justes, un prof gersois du secondaire, a accepté de répondre à nos questions. Comme d'autres enseignants, il pense que c'est le moment de tirer la sonnette d'alarme sur la précarisation du métier et la situation ubuesque dans laquelle l'institution place trop souvent ses jeunes profs diplômés.
France 3 : Vous avez présenté votre démission à l'Éducation nationale voilà 4 jours, pourquoi ?
Romaric Justes : La première raison, c'est qu'après mon année de stage, j'ai été affecté à 5 heures de chez moi. J'ai une femme qui a un enfant, je ne peux pas me permettre de déménager si loin de ma famille.
Mais le problème de fond est la question de la reconnaissance de notre travail. On embauche à 1.550 € net sachant que j'ai un bac+5 et que j'ai passé un concours national. Dans le secteur informatique, les salaires sont beaucoup plus élevés que ce que je gagnerai jamais en étant prof.
J'ai une mère prof, l'enseignement m'est venu comme une passion. J'avais envie de partager mes connaissances. Comme la spécialité était nouvelle, je me suis dit que c'était une occasion de développer l'informatique car la France était l'un des derniers pays dans lequel cette matière n'était pas enseignée. J'ai toujours cette envie mais aujourd'hui, je n'en ai pas la possibilité technique.
France 3 : Qu'est-ce que vous entendez par là précisément ?
Romaric Justes : Il y a plusieurs facteurs. On se retrouve avec de plus en plus de contractuels, le métier est déjà difficile mais eux, en plus, n'ont pas la formation qu'on a. Dans l'informatique, il y a un vrai problème : on a ouvert un enseignement aux élèves alors qu'il n'y avait pas de profs formés. Les profs ont commencé à sortir en 2020, deux ans après l'ouverture de la spécialité.
Des profs de maths et de physique ont été formés rapidement à l'informatique, en un mois. Les gens en poste ne sont pas des informaticiens. Nous qui avons été formés, nous n'avons pas de postes, nous sommes volants (TZR dans le jargon)... on remplace ici et là.
Les profs formés à l'informatique n'ont donc pas priorité sur les profs de maths et physique. C'est ce qui est arrivé pendant mon année de stage. On m'a demandé d'enseigner les SNT (Science numérique et technologie) en 2nde, ce qui ne fait pas partie de ma formation. Bref, on a l'impression de se faire piquer les postes par des gens qui ne sont pas formés en NSI et de faire les bouche-trous dans une spécialité qui n'est pas la nôtre.
France 3 : Effectivement ça paraît incohérent...
Romaric Justes : ça va assez loin. En juin, j'ai été certifié enseignant sur une matière que je n'ai jamais enseignée. Je n'ai pas pu enseigner la matière sur laquelle j'ai été formé. Et j'ai subi un traitement que je qualifierai de proche de l'inhumanité.
Quand l'inspecteur m'a fait passer l'inspection finale, j'ai dit ce que je pensais, ce que je viens de vous expliquer : le fait que nous n'avons pas les postes qui sont de fait offerts aux profs de maths. Je me suis vu refuser ma titularisation. Il a menti sciemment dans son rapport. J'ai été convoqué au rectorat de Montpellier face à 6 personnes. Si ce n'est pas de l'intimidation, ça y ressemble...
Je me suis rendu compte que ces gens ne connaissaient pas ma spécialité. Donc l'avis qu'ils allaient donner était celui de personnes qui ne savaient rien de ce que j'étais censé enseigner. C'est pour vous dire comment sont traités les enseignants. On le joue au chantage, à l'intimidation... Pourquoi s'infliger ça si on peut gagner deux fois plus à côté ?
Quand j'ai eu mon CAPES, je n'ai pas eu de félicitations, ni quand j'ai été titularisé. La seule chose qu'ils m'ont offert, c'est de m'envoyer devant un jury qui ne connaissait rien à ma spécialité pour décider si oui ou non j'étais apte à enseigner...
France 3 : On entend beaucoup parler des conditions d'enseignement, des classes difficiles. Est-ce que ça a eu un poids dans votre décision ?
Romaric Justes : Non. Le fait que les classes soient hétérogènes, qu'il faille faire de la discipline, c'est mon travail, tout comme la gestion administrative, aller voir les CPE pour les heures de colle, le rendu du travail, etc. Je trouve que ça fait partie du boulot.
En discutant avec ma mère qui est enseignante depuis 30 ans, j'ai réalisé les changements sociétaux qui ont eu lieu : l'enfant est roi, il a toujours raison. S'il ne comprend pas, c'est forcément la faute du prof, etc. Je l'ai ressenti en discutant avec plusieurs de mes collègues. On a l'impression d'avoir devant nous des élèves qui ne devraient pas être là ou des élèves fantômes qui n'ouvrent pas la bouche ou ne sont même pas là physiquement.
Le malaise vient du fait que nous sommes de plus en plus dénigrés. Or on a été 60 à réussir le concours sur 1.200 candidats. Mais on a du mal à remplir certains CAPES aujourd'hui. Le fait que par manque de profs, on prenne des gens qui n'ont pas les diplômes pose problème. Donc il n'y a plus ce postulat qui faisait que quand on était recruté, on était considéré comme des spécialistes de notre domaine.
On est très peu payé, très peu considéré. On subit un peu le même sort que les policiers. Et certains médias comme les chaînes en continu, tout comme les hommes politiques auxquels elles sont liées, en rajoutent pour nous dénigrer.
France 3 : Que faudrait-il changer ?
Romaric Justes : Il faudrait changer la façon de former les enseignants. L'année de master 2 est divisée en 2 parties : 9 heures par semaine d'enseignement et 3 jours de cours à l'université. On donne les cours et on est étudiant dans le même temps. C'est extrêmement chargé. On a tous fini exténués. Pendant mon année de stage, je suivais mes cours à Montpellier les mardis, mercredis et jeudis et j'enseignais à Perpignan à 2 heures de voiture les lundis et vendredis. Ma vie de famille était dans le Gers.
Quand on sort du master, on est envoyé n'importe où en France. C'est ce qui arrive à beaucoup de jeunes enseignants qui se retrouvent dans des quartiers chauds d'Ile-de-France. Se dire qu'on est avec sa famille dans le sud et qu'on doit être titularisé en banlieue, c'est une mesure d'un autre temps. On ne peut pas demander ça aux jeunes enseignants avec le peu de reconnaissance qu'ils ont et ce salaire si bas.
Avant l'argument de l'emploi garanti à vie pouvait jouer, plus maintenant. Les profs devraient, comme l'on obtenu les instits, être titularisés dans l'académie dans laquelle ils ont fait leur formation. C'est un système qui date, qui n'est plus en phase avec la société d'aujourd'hui.