Le 30 novembre 2023 s’ouvre la COP 28 à Dubaï. Un choix sujet à caution pour de nombreux scientifiques qui ont décidé d'organiser une COP alternative à Bordeaux du 30 novembre au 3 décembre 2023. Sylvain Kuppel, membre toulousain du collectif Scientifiques en rébellion, nous en dit plus sur cette initiative.
Le 30 novembre 2023 s’ouvre la COP 28 à Dubaï. Un choix sujet à caution pour de nombreux scientifiques qui ont décidé d'organiser une COP alternative à Bordeaux du 30 novembre au 3 décembre. Sylvain Kuppel, membre toulousain du collectif Scientifiques en rébellion, nous en dit plus sur cette initiative.
France 3 : Dans quel but le collectif Scientifique en rébellion a-t-il lancé ces COP alternatives ?
Sylvain Kuppel : Cette année, c'est la 28ème COP. Ça fait maintenant une trentaine d'années qu'on a des COP et les résultats, les impacts sont vraiment très discutables. Beaucoup de gens, et parmi eux beaucoup de scientifiques, se demandent à quoi elles servent.
Cette année, c'est presque une caricature avec une COP qui a lieu à Dubaï, dont le président est à la tête d'une entreprise pétrolière et Abu Dhabi qui a décidé d'augmenter sa production de pétrole. Donc, on est dans un contexte où, vraiment, le sens des COP, les impacts réels sont mis au jour et les conflits d'intérêts qui minent les négociations très visibles.
L'autre élément, c'est que les COP se passent très loin. Les sociétés civiles ne sont pas très connectées à ça, je pense. Et donc, Scientifiques en rébellion s'est dit que ce serait plus intéressant, d'organiser des événements qui ne font pas directement miroir aux COP, mais qui abordent la question des COP,
France 3 : Que proposez-vous concrètement ?
Sylvain Kuppel : l'enjeu c'est de mettre sur la table les savoirs, les négociations et les articulations politiques nécessaires pour ralentir le changement climatique, mais aussi pour traiter des questions comme, par exemple, la crise de la biodiversité, l'effondrement écologique, la question des ressources en eau, la question des conflits d'intérêts...
Il s'agit donc de traiter toute une série de sujets qui ne sont pas nécessairement abordés dans les COP. Et cela sans langue de bois dans un événement alternatif. Ça fait partie d'une campagne internationale de Scientist Rebellion.
France 3 : C'est un rendez-vous de scientifiques ou plutôt une invitation faite à la population civile ? Quel public avez-vous envie de toucher ?
Sylvain Kuppel : C'est ouvert à toutes et à tous bien sûr... On voit bien que les gens sont de plus en plus en colère par rapport à l'inaction climatique. Du coup, c'est une façon de dire qu'on peut faire bouger les choses, malgré l'inaction ou le saupoudrage actuel. L'idée pour nous c'est de mobiliser la société civile.
C'est un public qu'on aimerait beaucoup avoir à cet événement notamment à Bordeaux. L'enjeu ici, c'est de ramener la COP ou en tout cas les sujets qui nous semblent essentiels de traiter dans une COP, plus proche des gens. De manière géographique déjà.
Il est probable qu'on ait un public déjà en partie convaincu, donc des gens sensibilisés par rapport à ces questions. C'est la raison pour laquelle on propose des évènements très divers : des conférences, des tables rondes, des évènements artistiques et des temps collectifs qui permettent de partager les savoirs existants et de se sentir acteur.
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France 3 : Vous espérez avancer sur ces sujets ?
Sylvain Kuppel : Oui, il s'agit de discuter de l'articulation entre les savoirs scientifiques et les politiques publiques par exemple. C'est un thème sur lequel beaucoup de gens sont désabusés. Les attentes sont fortes. On voit qu'il y a de plus en plus de mobilisations populaires et civiles, notamment contre des projets en contradiction directe avec les engagements climatiques et des avis d'autorités environnementales.
Vous avez l'A69 dans la région mais au-delà, vous avez ce type de projets dans toute la France, des projets d'extension de réseaux routiers qui sont dans beaucoup de cas contestés. D'ailleurs, je crois qu'il y en a tellement qu'il y a même un collectif qui s'est monté qui s'appelle la Déroute des routes.
Il y a aussi d'autres types de projets autour de la gestion de l'eau, que ce soit les retenues d'eau (dont font partie les méga-bassines). On a d'ailleurs vu récemment que des décisions de justice ont rendu illégale la construction de certaines retenues. C'est le cas pour des projets concernant une quinzaine de retenues en Aquitaine par exemple.
Un autre exemple qui est en Occitanie assez présent, ce sont les gravières, notamment en Ariège, qui est vraiment une zone très active dans ces projets-là. On parle de plusieurs centaines d'hectares avec des concessions autorisées jusqu'à des horizons au-delà de 2040, et donc avec beaucoup de contestations locales, beaucoup de collectifs qui se mobilisent parce que c'est une perte directe de terres agricoles, parce que ça pose aussi des problèmes d'exposition de nappes phréatiques à l'air, donc des problèmes d'évaporation. Lorsque ces gravières sont rebouchées, se pose la question de l'imperméabilisation des sols qui empêche la recharge des nappes ainsi que de la contamination possible des nappes par les matériaux de remblai.
France 3 : Pensez-vous qu'on peut aujourd'hui renverser la donne par rapport aux lobbys qui influent beaucoup sur les politiques en matière d'environnement ?
Sylvain Kuppel : C'est vrai qu'on a l'impression que les alertes se multiplient depuis des années et qu'il ne se passe pas grand-chose. La moitié des gaz à effet de serre aujourd'hui dans l'atmosphère (enfin du CO2) ont été émis depuis le premier rapport du GIEC. Donc ça pose sérieusement la question de l'effet réel des différents rapports, des différents efforts, que ce soit scientifiques ou autres.
Comment les traduire en leviers politiques ? Vous avez prononcé le mot qui est important, c'est celui des lobbys. C'est un des aspects très problématiques de la COP, la présence massive de lobbyistes. Ça pose de sérieux doutes sur l'efficacité. On peut tout simplement se dire "bon, le langage scientifique n'est pas adapté à la politique" et du coup c'est compliqué. Et c'est vrai, c'est compliqué de traduire des recommandations scientifiques en mesures politiques qui sont à la fois adaptées pour tout le monde et qui peuvent être implémentées...
Le fait d'avoir ici une alternative COP qui sera garanti sans lobby industriel, c'est aussi une façon symboliquement de dire "voilà, on offre un espace de partage de connaissances scientifiques aussi rigoureuses et objectives que possible". Évidemment on n'a pas les mêmes moyens logistiques, on n'a pas les moyens de faire venir des représentants de 200 États et de passer des nuits entières à se mettre d'accord sur une législation. Mais on voit que cette législation est soit très peu contraignante, soit très peu respectée. Il y a de grosses amendes qui ne changent pas la donne. L'État français a d'ailleurs été condamné pour inaction climatique...
France 3 : Alors quel est votre espoir ?
Sylvain Kuppel : Est-ce que vraiment cette COP alternative fera bouger les lignes ? Ce n'est pas sûr, mais c'est peut-être un premier pas pour montrer qu'on a une convergence de scientifiques en un seul lieu, au même moment, où on invite aussi d'autres gens, la société civile et des gens qui sont impliqués dans des instances diverses.
Pour moi, il s'agit de dire : on veut discuter ensemble au même endroit, hors des institutions et les citoyens peuvent venir, ils y sont même encouragés. Il y aura une mise en scène qui sera un procès fictif de Total le vendredi après-midi pour aborder le sujet de la puissance de l'industrie pétrolière qui est un peu sous la table. Et aussi l'absence de décisions contraignantes.
On abordera le fait que le débat dans les COP est centré sur les pertes et dommages. On traite de comment subventionner les pertes et les catastrophes que vont expérimenter beaucoup d'États. Il faut aussi traiter la question de comment on arrête ceux qui causent ça. Exposer qui et quels sont les responsables.
Et il y a une responsabilité politique énorme. Si les industriels ont autant de pouvoir, c'est parce que les politiques les laissent faire. Pour nous, ces COP alternatives, c'est aussi une sorte de pied de nez au pouvoir. Cette année, plusieurs des plus grands d'établissements publics de recherche français sont présents à Dubaï. C'est dur à avaler pour beaucoup de scientifiques de voir des institutions qui sont parfois leurs employeurs, cautionner implicitement un événement dont l'utilité est plus que discutable, si ce n'est d'alimenter ou de retarder le moment où quelque chose se fait.