Les représentants du personnel de l'hôpital Purpan ont été reçus par la direction du CHU de Toulouse ce jeudi 9 juin 2022 après deux journées de grève et un nouveau préavis déposé. Voici leurs revendications.
Assise autour de la table du local de la CGT à l’hôtel Dieu à Toulouse, Pauline Salingue s’indigne : "des personnes vont mourir !" Pour la déléguée du personnel, la situation est catastrophique. "Un service d’urgences sur cinq va fermer en France" rapporte-t-elle, "il y a forcément des répercussions".
Et de calculer : "la direction reconnait qu’il manque 100 postes. D’après nos calculs, il en manque plutôt 1 500. Je m’explique : en 2021, il y a eu 570 000 heures supplémentaires effectuées soit l’équivalent de 360 temps pleins. A cela s’ajoutent les jours non posés, les heures d’intérims, les 400 postes supprimés entre 2013 et 2017, les postes non pourvus et ceux dont on aurait besoin pour mieux travailler… "
Il manque 10% de personnel sur les 14 000 que compte le CHU de Toulouse actuellement, hors médecins.
Pauline Salingue, déléguée CGT au CHU de Toulouse
Conséquence de ce manque de personnel, soulignée par la CGT : la fermeture de lits. 200 par jour, sur les 2 400 que compte le CHU, d’après les représentants syndicaux. "Aucun pays d’Europe n’a si peu investi dans la santé depuis le Covid " analyse un soignant.
« Soigner les patients dignement »
Un manque de personnel ressenti par les infirmières et aides-soignantes des urgences de Purpan, qui subissent de plein fouet les conséquences de "l’absence de permanence de soins en médecine générale, les déserts médicaux, la fermeture de plusieurs urgences dans la région (Saint-Gaudens, Moissac etc.) et la hausse de la population toulousaine (+20 000 personnes chaque année)."
Il y a toujours plus de passages, mais pas plus d’infirmiers.
Bérynis, infirmière aux urgences de Purpan
"Notre souhait principal est de pouvoir soigner les patients dignement" rapporte Bérynis, infirmière aux urgences de Purpan depuis cinq ans. "Par exemple, on attend un poste en unité déambulatoire depuis cinq ans" explique-t-elle. Et de reprendre : "on voit nos conditions de travail se dégrader chaque jour, on a alerté l’encadrement, des réunions ont été organisées mais ça n’a rien changé. On a même fait trois signalements de danger grave imminent le mois dernier, en vain."
La soignante, âgée de 25 ans, raconte se retrouver souvent seule pour vingt-cinq patients, qui envahissent les couloirs du CHU "en permanence".
Agressions du personnel
D’après les syndicats, un patient attend en moyenne entre cinq et sept heures aux urgences, ce qui crée des tensions. "On s’est toutes fait agresser au moins une fois" racontent les infirmières et aides-soignantes.
Les insultes, c’est tous les jours !
Blandine, infirmière aux urgences de Purpan
Parmi les cinq soignantes présentes, une a déjà porté plainte deux fois et une autre trois fois. "Et la seule réponse de la direction pour désengorger les urgences, c’est de nous demander, à nous, de faire des heures supplémentaires" explique Blandine, infirmière aux urgences de Purpan.
Alors pour les jeunes soignantes, passionnées par leur métier, la question de la durabilité se pose déjà. "Il me reste au moins trente ans de carrière et je me demande si je vais faire ça toute ma vie dans ces conditions-là", commente Marion, infirmière aux urgences de Purpan.
Accouchements et soins intensifs en péril ?
Il y a danger pour le personnel, mais aussi et surtout pour les patients. Le bloc naissance du CHU de Toulouse est aussi victime du manque de personnel. Carole Alava, aide-soignante, constate : "l’unité a été créée pour 3 500 accouchements par an, on en est à 5 200 aujourd’hui. Il n’y a pas de place, certaines femmes accouchent sans péridurale et il est impossible de s’occuper de plusieurs femmes en même temps quand elles sont déclenchées d’urgence. Nous disposons de cinq sages-femmes pour neuf salles d’accouchement, et quatre aides-soignantes."
Même principe du côté des soins intensifs où travaille Sophie en tant qu’aide-soignante. Au-delà du manque de personnel, elle confie ne pas se sentir représentée, "c’est comme si on n’existait pas." Elle explique notamment que la prime des soins critiques est accordée seulement aux infirmiers et aux cadres.
La CGT demande notamment une revalorisation de tous les salaires à hauteur de 500 euros net par mois. "Mais en fait ce n’est pas une hausse, c’est simplement ce que le gouvernement nous doit" juge un délégué syndical. Et d’expliquer : "le point d’indice est gelé. C’est ce qu’on devrait déjà toucher en prenant en compte l’inflation !"
La grève : seul recours ?
A la fois cause et conséquence de ce manque de personnel : les démissions et burn out. Chaque année, le CHU de Toulouse enregistrerait +40% de démissions, d’après la CGT qui compte 180 démissions en 2021.
Pauline Salingue rappelle que la seule solution est l’embauche. Une réunion est organisée ce jeudi 9 juin 2022 pour en discuter mais « pour l’instant ils n’affichent que du mépris en qualifiant la grève de prise d’otage » affirme la déléguée CGT.
Au mieux, ils (la direction, ndlr) proposent des contrats d’un mois ou deux pour l’été à 1 500 euros net, mais aucune embauche pérenne.
Pauline Salingue, déléguée CGT au CHU de Toulouse
Après la réunion avec la direction, elle ajoute : "ils refusent la moindre embauche de personnel. Et pas sur l’aspect « on ne trouve personne ». Ils refusent tout court."
Pour les syndicats, la grève est le seul moyen de se faire entendre par la direction est de faire grève. "En 2019 nous avions obtenu 22 équivalents temps pleins", tient-elle à rappeler.
« Un tweet indécent »
Sur les réseaux sociaux, le maire de Toulouse, Jean-Luc Moudenc (LR) a affiché son soutien au CHU de Toulouse au moment de la grève du personnel le lundi 6 juin, qui avait fortement perturbé le service des urgences (seules les urgences vitales étaient prises en charge).
"Tout mon soutien au CHU de Toulouse et aux soignants volontaires qui subissent une grève organisée par la CGT portant atteinte à la continuité du service public et mettant en danger les malades. Cela par une manœuvre visant à créer le chaos en plein week-end férié prolongé !" avait-il écrit sur son compte Twitter.
Ce à quoi le syndicat Sud a répondu, par un communiqué, indiquant notamment : "le tweet du 6 juin de Mr Moudenc, président du Conseil de Surveillance du CHU est indécent, d’une démagogie crasse: le Maire préfère jeter l’anathème sur une organisation syndicale, la CGT, plutôt que de reconnaître les lourdes responsabilités de la direction du CHU qui n’a pas pris au sérieux les demandes répétées et désespérées des soignant.es des urgences : cela fait plusieurs semaines que le personnel réclame des renforts pour faire face à l’afflux des patient.es, afin justement d’assurer des soins qualitatifs aux personnes, et sécuriser les prises en charge."
A Bérynis de commenter : "Quand j’ai vu ce tweet, j’étais dégoutée. On fait tout ça pour les patients et c’est comme ça qu’on nous répond ?"
Banalisation de la médiocrité
Pour les délégués syndicaux, les médias et politiques participent à une "banalisation de la médiocrité des conditions de travail du personnel soignant". "Quand on parle de nos conditions à la télévision, on a l’impression que tout le monde sait déjà, que ça ne choque plus, que ça devient normal", rapporte un représentant du personnel. "On dit que si on veut faire ces métiers il faut accepter de ne pas avoir de vie privée, c’est inadmissible !"
La direction du CHU de Toulouse n’a pas souhaité répondre à nos questions à ce jour.