Les attentats de Mohammed Merah auront révélé aux yeux du grand public la mouvance djihadiste et son lot de thèses conspirationnistes. 10 ans après, certaines théories perdurent comme la couleur du scooter, la question du "loup solitaire", le rôle des renseignements généraux ou le lieu où le corps du jeune terroriste toulousain a été enterré.
Les attentats perpétrés par Mohammed Merah à Toulouse et Montauban, en mars 2012, ont provoqué une véritable sidération parmi l’opinion public mais ont été aussi une source de thèses conspirationnistes. Comme le rapportait le quotidien Le Monde en juin 2012 : ces thèses « se nourrissent des questions laissées ouvertes par une enquête qui progresse trop lentement pour satisfaire toutes les curiosités, de déclarations officielles parfois contradictoires et des imprécisions de journalistes travaillant dans la précipitation. 10 ans après, certaines d’entre-elles continuent à circuler.
La couleur du scooter
Les couleurs du scooter, volé par Mohammed Merah, et de son casque sont, pour certains conspirationnistes, les preuves d’une manipulation et d’un complot ourdi par l’Etat français.
Comme l’ont rapporté plusieurs médias, le scooter TMAX 53 utilisé pour les meurtres de deux militaires à Montauban était noir, comme la couleur du casque du tueur. Lors de l’attentat à l’école Ozar Hatorah, les images de vidéosurveillance présenteront un scooter blanc piloté par un homme portant un casque blanc.
L’instruction judiciaire va permettre de répondre à ce qui apparait comme une contradiction, notamment grâce au témoignage du concessionnaire Yamaha de Toulouse, approché par Mohammed Merah pour justement désactiver la puce antivol d’un maxi scooter T-Max. Lors du visionnage des images issues des caméras de surveillance de l’établissement juif, le commercial reconnaîtra Mohammed Merah, mais précisera avoir "remarqué que le scooter sombre avait été partiellement repeint".
Un élément que les investigations sur le deux-roues confirmeront. Entre Montauban et Toulouse, Merah a repeint son scooter et troqué son casque noir pour un blanc. Le terroriste avait également trafiqué la plaque d’immatriculation du véhicule en modifiant la première lettre, passant de OA 676 RT à CA 676 RT. Des sous-entendus similaires avaient été avancés au sujet des rétroviseurs de la voiture des frères Kouachi lors des attentats de Charlie Hebdo.
Le loup solitaire
Mohammed Merah, un "loup solitaire" ayant agi seul. Cette présentation erronée est issue des rangs même de l’Etat français, puisque c’est Bernard Squarcini, directeur central du renseignement intérieur de l’époque, qui utilisera ce terme dans un entretien accordé au Monde.
Là aussi, l’enquête judiciaire démonte cette version erronée des faits. C’est Bernard Squarcini lui-même qui viendra se rétracter à la barre lors des procès du frère de Mohammed Merah, Abdelkader. En novembre 2017 devant la Cour d’assises, l’ancien directeur du renseignement présentera Mohammed Merah comme un homme “armé bras et tête par une nébuleuse” dont sa famille et la filière d’Artigat. "Il a appuyé seul sur la détente, mais d’autres lui tenaient le bras » reconnaîtra-t-il face à un accusé jugé pour complicité.
En mars 2019, lors du procès en appel d’Abdelkader Merah, Christian Balle-Andui, ancien directeur des services des renseignements intérieurs à Toulouse, apporte plus d’éléments de détails. "Mohammed est incarcéré en 2007. Il sort de prison à l’automne 2008. C’est durant cette période qu’il se radicalise. Son frère, Abdelkader, le visite en prison et l’on remarque que Mohammed Merah envoie en prison deux mandats à Sabri Essid et à Fabien Clain alors qu’ils sont détenus. Il reçoit lui-même une aide financière de la famille Clain."
Fabien et Jean-Michel Clain, "clé de voûte" du clan d’Artigat en Ariège, chargés par "Olivier Corel de déployer l’idéologie salafiste dans le quartier du Mirail", revendiqueront les attentats du 13 et du 15 novembre 2015.
Sabri Essid, le demi-frère par alliance de Mohammed est chargé du quartier des Izards, il deviendra une figure du djihadisme en Syrie.
Abdelkader Merah reconnu complice des crimes de son frère, en appel le 18 avril 2019 est condamné à trente ans de réclusion criminelle.
Merah, agent des renseignements français
Mohammed Merah aurait été un informateur de la DGSE. Cette rumeur a été en grande partie alimentée par un article paru le 26 mars 2012 dans le quotidien italien Il Foglio. Le journal affirme que "Mohammed Merah avait réalisé ses nombreux voyages (Égypte, Turquie, Syrie, Liban, Jordanie, Israël, Irak, Afghanistan, Pakistan) sous la protection d'un service de renseignement français, la Direction générale de la Sécurité extérieure (DGSE)."
Une information qu’aucun élément formel ne permettra de confirmer. En revanche, l’enquête judiciaire révélera que la DCRI a envisagé son recrutement. Toujours selon le témoignage de Christian Balle-Andui lors du procès en appel d’Abdelkader Merah, des membres parisiens de la DCRI décident d’évaluer Merah à son retour d’un voyage au Pakistan afin de le recruter.
"Le 22 février(2012), l’évaluation de Paris nous est transmise et dans la conclusion Mohammed Merah est considéré comme un esprit « ouvert, malin, globe-trotter pouvant présenter un intérêt" rapporte l’ancien patron des renseignements toulousains. On me demande de vérifier sa fiabilité. Je ne le fais pas. Je ne peux pas avoir de deuxième contact avec Mohammed Merah (mise en contact avec un agent) car j’en ferai alors un agent potentiel. (…) Pour moi, il était hors de question de le recruter, mais il y avait des éléments pour le judiciariser." Deux semaines plus tard, Mohammed Merah perpétrait son premier meurtre.
L’enterrement de Mohammed Merah
Algérie. France. Où enterrer Mohammed Merah ? Cette question s’est posée plusieurs jours après que le terroriste toulousain ait été abattu par le Raid. Les proches de Merah veulent l'enterrer en Algérie, le pays d'origine de son père. Le 29 mars, un transfert en avion est prévu, préparé, mais tout capote au dernier moment.
L'Etat algérien finit par refuser la demande d'enterrement sur son sol, pour des "raisons de sécurité". Il ne reste plus qu'à inhumer Merah en France, dans la ville où il est né, où il a grandi, mais également où il a tué.
Ce choix va provoquer une polémique d’ampleur nationale. Le maire de Toulouse de l’époque, le socialiste Pierre Cohen n’est pas favorable à ces obsèques. Le président Sarkozy tranche. Mohammed Merah sera enterré à Toulouse.
Le 30 mars 2012, le corps de Merah est transporté de l'institut médico-légal au carré musulman du cimetière de Cornebarrieu. Il est inhumé par ses "proches", principalement des amis dont son demi-frère par alliance Sabri Essid. La tombe ne porte pas de nom, aucune inscription.