Des prisonniers de la maison d'arrêt de Seysses ont fait parvenir un communiqué dans lequel ils accusent des gardiens d'avoir battu à mort Jaouad, le prisonnier retrouvé pendu samedi. Le ministère de la Justice condamne ces"allégations" et menace de poursuites.
C'est un événement rarissime : un communiqué signé de prisonniers de la maison d'arrêt de Seysses. Un communiqué qui a été transmis par courrier en début de semaine à une association d'aide au prisonnier et qui accuse les fonctionnaires du ministère de la justice. La ministre, Nicole Belloubet condamne ces "allégations".
Dans cette lettre, les détenus évoquent la mort de Jaouad, ce détenu de 27 ans, retrouvé pendu samedi dans sa cellule du quartier disciplinaire. Pour eux, il a été victime de violences de gardiens qui auraient ensuite "maquillé" le meurtre en suicide.
Le communiqué a été reçu par le syndicat pour la protection et le respect des prisonniers (PRP) et l'intégralité est consultable sur les sites internet de plusieurs associations d'aide aux prisonniers, dont L'Envolée. Nous en reproduisons plus bas quelques extraits.
Un document "authentique"
"Nous avons reçu ce communiqué par courrier, explique à France 3 Lydia Trouvé, la présidente du syndicat PRP, que nous avons contactée. L'authenticité de ce communiqué ne fait aucun doute". Même certitude, du côté du Génépi, une association très connue pour son travail dans le domaine carcéral, et qui n'a "aucun doute sur l'authenticité du document"."Battu (...) pendant plus d'une demi-heure"
Alors que dit ce communiqué des prisonniers ?Voici quelques extraits, que nous avons sélectionné :
J. avait 26 ans. Samedi dernier, il était au mitard, dans une "cellule disciplinaire" de la prison de Seysses. Il y est mort. Les médias relaient une version des faits, une seule : celle des matons, les "surveillants". Mais nous, on y vit, dans cette prison. Et on n’est ni sourds, ni aveugles. On sait que sa mort a été provoquée par la violence des matons affectés au mitard. Non, J. ne s’est pas suicidé.
J. a été battu par cinq ou six surveillants, pendant plus d’une demi-heure. Puis il y a eu un grand silence, et les surveillants se sont mis à discuter entre eux, à estimer son poids et sa taille pour s’accorder sur une version des faits. Puis ça a été l’heure de la gamelle et, quand sa cellule a été rouverte, ils ont fait mine de le découvrir pendu. Alors le Samu est intervenu et a tenté de le réanimer, en vain. Le lendemain, ils ont libéré tout le monde du mitard et personne n’a été entendu, même pas le chef ni les gendarmes. Ça montre bien qu’ils ont des choses à cacher, qu’on ne vienne pas nous dire le contraire.
C’est très difficile pour nous de donner des preuves de ce qu’on avance. Ici, nous sommes enfermés, et chaque information qui arrive dehors risque d’avoir de graves conséquences pour nous. Pourtant il faut que ça se sache, car nous sommes en danger de mort. Les surveillants jouent avec nos vies dans ce quartier disciplinaire. C’est plus que de l’humiliation ; ils nous terrorisent, et ce qui est arrivé à J. pourrait arriver à chacun d’entre nous.
"L'escadron de la mort"
Nous dénonçons aussi les pressions qui sont faites sur les prisonniers qui ont assisté aux faits. Les témoins malgré eux de ce qui s’est passé samedi dernier subissent des pressions psychologiques et sont très clairement menacés de transfert. Tout semble mis en place pour les pousser à bout. Ainsi, cinq d’entre nous ont déjà été transférés suite au blocage de la promenade et sont désormais à Lille, Bordeaux, Sedequin… Considérés comme "meneurs", on ne les a même pas laissé embarquer leurs affaires personnelles. C’est comme ça que la prison est tenue maintenant, en nous menaçant d’un "transfert disciplinaire" qui nous éloignerait encore plus de familles et de nos proches.
Nous exigeons que la direction de la Maison d’Arrêt remplace immédiatement cette équipe de surveillants, il est évident que c’est la première chose à faire. La petite équipe sadique de matons du mitard, nous, prisonniers, la surnommons "l’escadron de la mort".
La réponse de la Chancellerie
Nous avons sollicité vendredi la direction régionale des services pénitentiaires pour qu'elle réagisse à ce communiqué des détenus de Seysses. C'est finalement, le cabinet de la ministre de la Justice et Garde des Sceaux, Nicole Belloubet, qui nous a répondu :
La Chancellerie condamne les allégations circulant sur les réseaux sociaux concernant la mort d'un détenu de Toulouse-Seysses le 14 avril 2018 (...) Une enquête judiciaire est en cours. La ministre de la Justice se réserve la possibilité de poursuites judiciaires contre les auteurs de ces allégations.
Une enquête toujours en cours
Depuis dimanche 15 avril, Toulouse est secouée par des incidents dans les quartiers difficiles, particulièrement au Mirail, dont l'un des "éléments déclencheurs" (selon les termes du parquet) serait une "rumeur" sur le meurtre de Jaouad, "maquillé en suicide". Le parquet a communiqué à plusieurs reprises cette semaine sur les circonstances de la mort du détenu, notamment après l'autopsie, indiquant que la mort était consécutive à une asphyxie compatible avec une pendaison. Le parquet a également indiqué que l'homme portait des hématomes, mais qu'ils ne pouvaient pas être à l'origine de la mort. L'enquête sur les recherches de la cause de la mort est toujours en cours et selon une source judiciaire, aucun élément pour le moment ne permet d'accréditer la thèse de violences volontaires comme étant à l'origine de la mort.
Jeudi, une marche silencieuse s'est déroulée dans le quartier des Izards à Toulouse en hommage à Jaouad. Sa famille a lancé des appels au calme.
Un second détenu de Seysses, qui s'était pendu le même jour, est décédé mercredi des suites de ses blessures. Dans ce cas, il n'y a pas de doute, semble-t-il, sur la thèse du suicide.