Écophyto. "On a détruit la filière bio" : l'inquiétude des agriculteurs bio, dont l'avenir n'a jamais été aussi incertain

Le gouvernement met-il fin à la filière biologique en suspendant le plan Ecophyto ? Depuis 2 ans, l'agriculture bio traverse des turbulences : baisse des prix, aléas climatiques, diminution des aides et concurrence de nouveaux labels. Certains restent optimistes, mais d'autres abandonnent le bio pour revenir aux produits phytosanitaires.

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"Avec cette crise agricole, le gouvernement est rentré dans le jeu de la FNSEA et des JA. En faisant une pause sur le Plan EcoPhyto, on fait un énorme retour en arrière, alors que les pesticides, c'est une bombe à retardement."

Hélène Delmas, porte-parole de la Confédération paysanne de Haute-Garonne, sait de quoi elle parle. Elle est éleveuse de volailles bio dans la plus grande région agricole biologique d'Europe. L'Occitanie compte, en termes de surface cultivées, plus de 600.000 ha convertis. Un titre symbolique, qui n'a jamais semblé si fragile. 

S'ils sont relativement discrets dans la mobilisation agricole actuelle, désormais menée par les syndicats historiques de l'agriculture conventionnelle (FNSEA, JA), les exploitants bio sont pourtant, eux aussi, en pleine crise. 

Anne Gandières est agroéconomiste, et chargée de mission bio à la chambre d'agriculture régionale. Elle résume : "Depuis deux ans il y a un vrai problème de revenus pour l'agriculture biologique. En 2022, ils ont été les grandes victimes des aléas climatiques. En 2023, la consommation de bio a continué sa chute, en plus de l'effondrement des cours des céréales, et d'autres productions de grandes cultures."

Sortir du bio à contrecœur

Face à ces difficultés, Bruno Cassar, éleveur et céréalier du Tarn, a décidé de jeter l'éponge. Celui qui avait choisi de produire en bio il y a plus de dix ans entame cette saison un retour vers l'agriculture conventionnelle. Un "crève-cœur" pour ce membre d'une fratrie de trois agriculteurs, dont une part à la retraite cette année, et n'a pas trouvé de remplaçant. 

"On ne peut plus continuer comme ça, se désole le Tarnais. Financièrement c'est une catastrophe. Depuis deux ans le prix des céréales a complètement chuté, il est au même niveau que le conventionnel. Avant c’était correct mais aujourd’hui ça ne permet plus de sortir un revenu. Avant le blé bio se vendait autour de 450 euros la tonne, aujourd'hui c'est 200. On a détruit la filière bio.

Alors pour s'en sortir, et espérer "survivre" comme il le dit, Bruno Cassar va "malheureusement réutiliser un peu d'azote, et de l'herbicide. C'est le seul moyen d'avoir une garantie de rendements aujourd'hui. Passer de 25 quintaux à 50 par hectare, ça change la donne."

Des aides insuffisantes

Quitter l'agriculture biologique ? Pour Hélène Delmas pas question. Elle est malgré tout lucide sur le sujet : "Aujourd'hui le bio c'est moins de consommateurs, moins d'aides, et des effets d'annonce."

Ces "effets d'annonce", ce sont les plans de la Région Occitanie pour l'agriculture biologique. En septembre dernier, la Présidente de région Carole Delga a lancé un grand plan de développement et de soutien au secteur, à hauteur de 300 millions d'euros, sur 4 ans : "Pour en bénéficier il faut montrer qu’on a une baisse de revenus au 31 décembre, explique l'agricultrice. Mais notre clôture comptable est au 31 mars. En fait les aides ne vont pas toujours aux agriculteurs qui en ont le plus besoin", résume-t-elle. 

Pour l'agroéconomiste Anne Glandières, ce plan d'aide "est une composante de l’action nécessaire pour que le secteur du bio se développe. Mais c’est plombé par le contexte économique actuel."

Dans ses annonces aux agriculteurs, le Premier Ministre Gabriel Attal a prévu une aide d'urgence de 50 millions d'euros pour l'agriculture biologique. "Il en faudrait 500, rétorque Hélène Delmas. Là, si on calcule, ça fait 700€ par ferme. Voilà."

Baisse du pouvoir d'achat

Cette crise du bio résulte de facteurs multiples. À commencer par la baisse du pouvoir d'achat des ménages. Celui des Français a chuté de 1,2 à 2% en moyenne sur l'année 2023, par rapport à 2021. "Il faut que les gens acceptent de payer un peu plus cher pour mieux manger, appuie Hélène Delmas. Mais ce qu'on constate, c'est que la part de l'alimentation dans le budget des consommateurs de fait que régresser."

Une clientèle qui s'effrite, dans un secteur de plus en plus instable. Sur les 14 000 agriculteurs bio de la région Occitanie, beaucoup se sont convertis ces 4 ou 5 dernières années "grâce aux primes à la conversion", assure Hélène Delmas. "Mais aujourd'hui, sans les aides au maintien, ils sont nombreux à retourner dans le conventionnel. Avec un tel yo-yo, comment voulez-vous stabiliser le marché ?"

La concurrence des labels

Vient aussi la concurrence des labels dits "alternatifs", comme le "HVE" (pour Haute valeur environnementale) ou le "Zéro résidu de pesticides". Des appellations pour des produits non issus de l'agriculture biologiques, qui ont tendance à tromper le consommateur. 

"Ces labels, c'est typique de la FNSEA, dégoupille Hélène Delmas. On est sur la même ligne que "l'agriculture raisonnée" inventée par Monsanto il y a quelques années. Moi avant d'être agricultrice j'ai vendu des produits phytosanitaires pendant 8 ans. Je peux vous garantir que l’agriculture raisonnée ça n’existe pas. Ça fait du mal au bio, ce n’est que du marketing."

Pour Anne Glandières, de la Chambre d'agriculture, difficile de la contredire, même si l'agroéconomiste reste plus mesurée : "Ce sont des marques qui jouent sur le principal défaut du label bio "AB", la communication. Il aurait fallu se réveiller plus tôt. HVE ou le zéro résidu de pesticides viennent s'approprier les aspects positifs du bio, mais ce n'est pas du tout la même qualité de contrôle de production."

Pour Bruno Cassar, "ces labels ont porté un coup au bio. C'est une solution alternative, et moins coûteuse."

Des labels qui se retrouvent souvent mis en avant dans les grandes surfaces. Elles aussi causent du tort aux agriculteurs bio, leurs marges étant jugées bien trop importantes. "Quand on leur vend un chou-fleur 70 centimes, et qu'il se retrouve à 5€ sur les étals, ça nous tue", dénonce Hélène Delmas. L'agricultrice faisait d'ailleurs partie des manifestants qui ont investi la centrale d'achats du groupe "Carrefour", à Colomiers mercredi 31 janvier.

Mangera-t-on encore bio demain ?

Alors quel avenir pour l'agriculture biologique en Occitanie ? "J'espère que le bio a un avenir, se livre Bruno Cassar, mais dans les conditions actuelles, c'est impossible."

À la chambre d'agriculture régionale, c'est la mission d'Anne Glandières de convaincre les agriculteurs de rester en bio. "On ne désespère pas, assure-t-elle. On fait des réunions d’information, des diagnostics, pour voir si’il y a possibilité de réduire les charges, si oui dans quels secteurs. On traite au cas par cas. Il ne faut pas oublier que les agriculteurs sont avant tout des entrepreneurs, ils ont besoin de se projeter dans le futur."

Avec cette crise agricole, le gouvernement est rentré dans le jeu de la FNSEA et des JA.

Hélène Delmas, agricultrice bio, membre de la Confédération Paysanne

Pour Hélène Delmas, le salut du bio passera par les cantines scolaires. "Il y a un objectif de 20% de nourriture bio dans les écoles. Mais on n'a pas d'appel d’offres, ou alors ils sont taillés pour les industriels. Si les établissements s'arrangeaient entre eux, ils pourraient faire travailler de nombreux producteurs bio et locaux." En 2020, un collège du Gers était devenu le premier établissement à faire manger du 100% bio à ses élèves.

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