Durant la première des deux journées consacrées aux réquisitions du 3ème procès AZF, le Parquet s'est attaché à démonter - point par point - les différentes hypothèses qui hantent le dossier depuis 15 ans.
Pour l'un, l'affaire AZF représente neuf mois de travail. Pour l'autre, un an et demi.
En rappelant ce simple fait, le premier des avocats généraux à prendre la parole pour requérir dans le procès en appel d'AZF a tenu à souligner la complexité de l'affaire de l'explosion de l'usine AZF de Toulouse.
"Un dossier exceptionnel, constitué de 120 tomes. Un dossier exceptionnel, dont la lecture est longue et terrible".
Et Stéphane Chassard de rappeler les conséquences de la plus grande catastrophe industrielle de l'après-guerre : 31 morts, 2 500 blessés. "Des événements terribles", souligne-t-il.
Après avoir salué le courage des salariés de l'usine chimique, Stéphane Chassard prend le temps d'évoquer les victimes. Il n'égrène pas de noms, cela est difficile, mais il déclare : "Je vois cet homme qui a vu mourir sa femme sous ses yeux et à qui les secours ont dit : "Ne bougez pas, quelqu'un va venir". Il a attendu toute la journée..."
Puis l'avocat général s'est attelé à la tâche suivante : écarter définitivement l'hypothèse d'un événement précurseur à l'explosion d'AZF, événement auquel beaucoup ont cru en raison de phénomènes sonores ou lumineux qu'il était difficile d'expliquer.
Car pour Stéphane Chassard, ces phénomènes ont fait prendre à l'affaire "des tournures qu'elle n'aurait jamais dû prendre", alimentées par "les rumeurs les plus folles", émanant parfois de scientifiques de renommée.
"Il n'y a pas de mystère AZF", a martelé l'avocat général. Et aucun événement précurseur, ni à la SNPE, usine Seveso voisine d'AZF, ni dans les airs, ni dans le sous-sol. Rien qui ait pu, par ricochet, provoquer l'accident que l'on connaît à l'usine AZF.
Mais dès lors, que faire des témoignages des Toulousains, des victimes, des témoins qui ont fait mention de deux explosions, de fumées avant l'explosion, de flashs lumineux... ? L'avocat général ne met pas leur bonne foi en question mais il rappelle que quiconque se voit confronté à un événement traumatisant peut voir sa perception altérée.
Stéphane Chassard va même plus loin : ces témoignages existent, certes, ils ont même été poussés en avant par la défense auprès des juges mais ils ne doivent pas faire oublier tous les témoignages (tout aussi nombreux) qui disent le contraire. "La défense a fait un gros biais de sélection", déclare-t-il.
A la cour, l'avocat général ne dit qu'une chose : il n'y a eu qu'une seule explosion. Le reste n'est rien...
L'hypothèse de l'acte terroriste
Deuxième tâche d'ampleur pour l'avocat Stéphane Chassard : démonter, tout aussi méthodiquement, la piste d'un acte intentionnel.
Et là encore, le représentant du Parquet reprend les nombreux témoignages. Farfelus, alarmistes, interprétés, sur-interprétés : "Je vous assure, il y en a des tonnes, dans le dossier !", ironise l'avocat général. "On a même un chien qui hurle !".
Pourtant, Stéphane Chassard le reconnaît, la catastrophe d'AZF est intervenue dans un contexte particulier, dix jours après les attentats du World Trade Center. "Ce 11 septembre a pesé de façon extraordinaire sur l'affaire".
Ce qui ne l'empêche en rien de balayer les revendications fantaisistes, la polémique sur le nombre exact de victimes sur le site quelques heures après l'explosion, les dénonciations abusives et de souligner l'absence d'un détonateur.
Hassan Jandoubi, ce manutentionnaire décédé dans l'explosion et sur lequel les soupçons se sont portés dans un premier temps, n'était pas connu des services anti-terroristes, rappelle Stéphane Chassard. Ses altercations avec d'autres salariés font l'objet de témoignages contradictoires et ses chefs louaient son travail.
"Hassan Jandoubi est mort à son poste de travail", répète l'avocat général. Il poursuit : "Raté pour un pseudo-terroriste qui aurait porté plusieurs caleçons pour se protéger de l'explosion qu'il aurait provoqué volontairement !"
Et la nitrocellulose ?
Stéphane Chassard termine ses réquisitions en évoquant la piste de la nitrocellulose, cet explosif jadis fabriqué en grande quantité sur le site du pôle chimique de Toulouse. Celui-ci a été en partie déposé (volontairement et en accord avec l'état) dans les ballastières, à quelques kilomètres d'AZF. Une autre partie a été enfouie dans la zone industrielle du chapitre, laquelle comprend l'entreprise Saica Pack qui a connu une petite explosion en 2011. Des rouleaux de nitrocellulose ont été retrouvés à 50 cm en dessous du sol de l'usine. La matière avait vieilli, le stabilisateur ne jouait plus son rôle, d'où la détonation. Les investigations ont permis de comprendre que l'usine Saica Pack avait été construite sur l'emplacement de l'ancien magasin de stockage de la poudrerie de Braqueville.
L'usine AZF se trouvant à quelques centaines de mètres de l'ancienne poudrerie, la défense de l'ancien directeur de l'usine Serge Biechlin et de Grande Paroisse s'est donc intéressée à cet événement, tentant de soulever de nouvelles interrogations sur le sous-sol "historique" d'AZF.
Et tous ces faits ont été intégrés au dossier.
L'avocat général, lui aussi, s'interroge. Qu'est-ce qui prouve que le sous-sol du hangar 221 contenait de la nitrocellulose ? Pour lui, plusieurs prélèvements ont été effectués dans la terre du cratère formé par l'explosion. Sans résultat.
"Il y a pas le moindre élément qui expliquerait pourquoi de la nitrocellulose en grande quantité - nécessaire à l'explosion - se serait trouvée sous le bâtiment 221". "C'est un argument opportuniste, dont on aurait tort de se priver mais qui ne revêt aucune réalité même possible".
Exit donc la dernière hypothèse abordée dans le 3ème procès AZF.
Le réquisitoire se poursuit jeudi 18 mai. La fin de ce troisième procès AZF, elle, est prévue le 24 mai.
AZF, trois procès, trois réquisitoires,
En 2009, lors du premier procès AZF, les deux avocats généraux avaient requis contre Serge Biechlin 3 ans de prison avec sursis et 45 000 euros d'amende, et pour Grande Paroisse 225 000 euros d'amende.Le tribunal correctionnel de Toulouse, après avoir prononcé un jugement sévère, rendait son arrêt : relaxe des prévenus, faute de preuve matérielle.
En 2012, le Parquet avait requis contre Serge Biechlin 18 mois de prison avec sursis et 150 000 euros d'amende, et contre Grande Paroisse 225 000 euros d'amende.
La cour d'appel de Toulouse a finalement condamné l'ancien directeur de l'usine AZF à trois ans de prison dont deux avec sursis et 45 000 euros d'amende, et Grande Paroisse à 225 000 euros d'amende.