Incendies volontaires, sabotages, attentats à l'explosif : créé dans les années 1960, le Comité régionale d'action viticole (Crav) renaît périodiquement à travers des actions commando, et s'illustre à nouveau depuis quelques semaines pour dénoncer la concurrence du vin espagnol.
Le Crav, ou l'"action directe" viticole, est une particularité de notre région depuis sa création dans les années 1960."Vignerons, nous vous appelons à vous révolter"
Exprimant par la force depuis plusieurs décennies "la colère" du monde viticole languedocien face aux pouvoirs parisiens puis bruxellois et à la concurrence du vin algérien, italien et aujourd'hui espagnol, les émanations locales de l'organisation -les "comités d'action viticole" (Cav)-- sont historiquement liées à la Confédération générale des vignerons du Midi (CGVM). Ses activistes revendiquent une filiation avec les vignerons insurgés de 1907 en Languedoc, qui s'étaient révoltés contre le cabinet Clémenceau après une grave crise viticole. "Vignerons, nous vous appelons à vous révolter... Soyez les dignes représentants des révoltes de 1907", déclarent ainsi le 17 mai 2007 des membres cagoulés du Crav lors d'une conférence de presse au cours de laquelle ils lancent un "ultimatum" au président de l'époque Nicolas Sarkozy.
Très actifs actifs dans l'Aude, l'Hérault et le Gard
Ces dernières semaines, plusieurs actions violentes -incendie des bureaux d'un courtier en vin à Béziers, explosions visant un négociant à Saint Félix-de-Lodez, dans l'Hérault, ou incendies de charriots dans des supermarchés du Gard par exemple- ont été revendiquées par le Crav ou ses déclinaisons départementales. Plus particulièrement actifs dans l'Aude, l'Hérault et le Gard, les Cav sont "des structures de lutte provisoires, réactivées pour améliorer le rapport de forces quand la situation parait bloquée" au niveau de l'action syndicale traditionnelle, analyse l'historien Jean-Philippe Martin, basé à Montpellier et spécialiste du syndicalisme agricole. Ces structures transcendent les clivages politiques habituels.
"Bras armé du syndicalisme viticole"
Une source policière évoque de son côté une sorte de "bras armé du syndicalisme viticole", à propos duquel il existe une forme "d'omerta" et de "tolérance politique". "Il faut que ça pète pour se faire entendre à Paris ou à Bruxelles et parfois mettre la pression aux syndicats", résume sous couvert d'anonymat un ex-activiste du Crav. De leur côté, les syndicats agricoles et viticoles condamnent officiellement le recours à la violence, mais évitent le plus souvent de s'exprimer sur le sujet. "On a grandi avec les actions du Crav en toile de fond", souligne Delphine Fernandez, secrétaire générale des Jeunes agriculteurs du Gard, jeune viticultrice et fille de viticulteurs. "On ne leur demande pas leur avis avant de déverser une cuve de vin espagnol, ils ne nous consultent pas non plus avant de lancer des actions", dit-elle.
"Terroristes du vin"
Entre le début des années 1960 et le début des années 1980, le Crav signe régulièrement des attentats à l'explosif contre des bâtiments publics, des entreprises de négoce ou des grandes surfaces. Alors que certains médias parlent de "terroristes du vin", en 1973, Mouammar Kadhafi envoie même des émissaires auprès des leaders du Crav pour leur proposer, en vain, de l'argent et des stages d'entraînement -un épisode raconté par un des dirigeants historiques du mouvement, Jean Vialade. A cette époque, le Crav rejoint le mouvement régionaliste occitan dans la "défense d'un mode de vie menacé, refusant notamment les effets de l'urbanisation ou le fait de devenir +le bronze-cul+ de l'Europe avec le développement du tourisme de masse sur le littoral", souligne Jean-Philippe Martin.
L'éépisode le plus sanglant en 1976
Mais le 4 mars 1976, le Crav connaît son épisode le plus sanglant : la mort d'un commandant de CRS et d'un viticulteur dans une fusillade à Montredon-des-Corbières, dans l'Aude. Discrédité et appelé à cesser ses actions violentes, le groupuscule disparaît après 1984. Il renaît à la fin des années 1990 sous une forme plus clandestine, mais exprimant toujours le point de vue de "perdants de la mondialisation". "Dans les années 1960-80, le Crav avait des dirigeants connus" -Jean Vialade, André Castera ou Emmanuel Maffre-Baugé-, relève Jean-Philippe Martin. "Ses militants de base agissaient à visage découvert, alors que par la suite on se dirige vers des actions clandestines menées par des hommes cagoulés".