Pourquoi les "mirobolantes notes de frais" de Coralie Dubost ont-elles enflammé les réseaux sociaux

Epinglée pour ses "mirobolantes notes de frais", la députée LREM de l'Hérault est devenue la cible des internautes qui se déchaînent sur les réseaux sociaux. Et malgré son retrait de la vie politique, le "Dubostgate" continue à alimenter les commentaires sur la toile.

Face à la déferlante de critiques et d'attaques personnelles, elle a fini par fermer son compte Twitter ce mardi 3 mai. Mais Coralie Dubost est toujours au coeur de la polémique, comme prisonnière de la toile. Sur les réseaux sociaux, ils sont encore des centaines à s'exprimer sur l'affaire des "mirobolantes notes de frais", révélée par Médiapart le 29 avril 2022. Les mots-clés #CoralieDubost, #Dubostgate ou #Dubostdemission sont devenus très vite viraux. Partout sur Internet, l'élue est chahutée, brocardée, accusée. Avec humour parfois, avec violence souvent.

"Un lynchage fantasmagorique" sur les réseaux 

La députée de la 3e circonscription de l'Hérault a été littéralement submergée par cette vague d'indignation et de "bashing" au point de renoncer d'elle-même à se présenter aux élections législatives en juin prochain. Son dernier tweet, celui dans lequel elle a annoncé son retrait de la vie politique dimanche 1er mai, a suscité plus de 8200 commentaires ! Un communiqué - publié justement sur Twitter - dans lequel la parlementaire évoque un lynchage numérique. "Je refuse d'être l'instrument d'une cabale antiparlementaire, de la même façon que je refuse de me prêter à un ping-pong de justifications qui confinent à un lynchage fantasmagorique sur les réseaux sociaux."

Une ampleur inattendue

Du côté de Médiapart, on se dit surpris par l'ampleur prise par l'affaire Dubost sur Internet. "C'était inattendu, avoue Antton Rouget, co-auteur de l'enquête. On juge évidemment l'affaire scandaleuse mais il n'y pas eu la même réaction pour des faits tout aussi choquants, comme pour Thierry Solère par exemple, qui est quand-même soupçonné d'avoir détourné 167.000 euros ! C'est sans doute lié au contexte politique et à la force du symbole. C'est du même ordre que François de Rugy et le homard, ou Jean-Michel Blanquer à Ibiza."

C'est sans doute lié au contexte politique et à la force du symbole. C'est du même ordre que François de Rugy et le homard, ou Jean-Michel Blanquer à Ibiza.

Antton Rouget, journaliste à Médiapart

Twitter, Instagram, Facebook, les principaux réseaux sociaux se sont emparés de l'affaire avec une rapidité inédite pour le journaliste, lui donnant un écho considérable. "Et cela a même dépassé la bulle des réseaux sociaux, ajoute le journaliste. C'est perçu aujourd'hui comme une des grosses affaires révélées par Médiapart pendant le quinquennat !"

Selon un rapport d'un cabinet de ressources humaines transmis au printemps 2021 au déontologue de l'Assemblée nationale, des ex-collaborateurs de Coralie Dubost lui reprochent de leur avoir imposé "des tâches relevant de la sphère personnelle", des propos et comportements "dévalorisants" mais aussi un "conflit de valeurs" ou "éthique" en particulier sur l'utilisation de ses avances de frais de mandats.

Il est notamment question de "dépenses vestimentaires mensuelles selon une fourchette allant de 1.500 à 2.000 euros" ou "de frais de restaurants très importants". Mais les internautes ont surtout relevé les achats de lingerie avec son enveloppe parlementaire.

"Elle était elle-même très présente sur les réseaux sociaux et les chaines info, elle était devenue une figure publique de premier plan mais il y a évidemment du sexisme dans ce dossier, reconnaît Antton Rouget. C'est aussi l'ancienne compagne d'Olivier Véran, le ministre de la santé."

L'autre visage des réseaux sociaux

Ces réseaux sociaux, Pauline Escande-Gauquié les connaît bien. Sémiologue, maître de conférences à Paris-Sorbonne-CELSA, elle a dénoncé leurs dérives dans son ouvrage "Monstres 2.0 : l'autre visage des réseaux sociaux", coécrit avec Bertrand Naivin et paru en 2018 aux éditions Les Pérégrines. Et pour elle, c'est une évidence. "Parce qu'il y a du sexe et de la politique, cela prend forcément une ampleur monstrueuse. C'est un nouveau Benjamin Griveaux !"

Parce qu'il y a du sexe et de la politique, cela prend forcément une ampleur monstrueuse. C'est un nouveau Benjamin Griveaux !

Pauline Escande-Gauquié, sémiologue, spécialiste des réseaux sociaux

Pour Pauline Escande-Gauquié, le sexisme est un élément important mais pas le seul : "Elle cristallise surtout des anxiétés et des frustrations. Son comportement est intolérable pour des gens qui doivent tous les jours faire des efforts, qui voient leur pouvoir d'achat baisser et qui ont l'impression qu'on leur a volé leur élection."

Et attention, à la veille des élections législatives, le contexte politique joue aussi pour beaucoup selon la sémiologue. "La fachosphère comme les supporters de Mélenchon ont tout intérêt à rentrer dans le jeu pour décrédibiliser les candidats de La République en Marche. Car à elle seule, Coralie Dubost incarne pour eux toutes les dérives du macronisme."

La "guillotine numérique"

L'agressivité et la violence de certains commentaires en ligne n'étonnent donc pas l'universitaire qui observe depuis plusieurs années cet "ensauvagement du web". "C'est la guillotine numérique, résume Pauline Escande-Gauquié. Il s'agit de tuer symboliquement une personne." Et la mécanique est très simple. "Le fait qu'elle soit elle-même très visible sur les réseaux sociaux, elle est déjà repérée. Et sur ses propres comptes Twitter ou Instagram, il y a déjà tout à disposition pour reprendre, détourner et s'en servir contre elle, pour créer des "mèmes". Les réseaux sociaux sont à double tranchant : ils peuvent faire naître une personne en termes de notoriété comme ils peuvent la condamner tout aussi rapidement."

Vu du Politoscope

Directeur de recherche au CNRS et à l'EHESS, l'Ecole des hautes études en sciences sociales, David Chavalarias pose lui-aussi un regard très critique sur les réseaux sociaux. Il vient de signer un essai intitulé "Toxic Data : comment les réseaux sociaux manipulent nos opinions", sorti en mars dernier chez Flammarion. Cet agrégé de mathématiques, spécialiste des systèmes complexes, a créé en 2016 un Politoscope qui permet de cartographier le débat politique en ligne, de repérer les communautés militantes agissant sur les réseaux sociaux et d'analyser au quotidien leurs réactions.

"Le paysage politique sur les réseaux s'est déformé ces dernières années, explique le chercheur. Les communautés les plus actives en ligne aujourd'hui en France sont celles qui gravitent à l'extrême-gauche autour des Insoumis et à l'extrême-droite autour de Florian Philippot et d'Eric Zemmour.

Vue du Politoscope, la polémique reste d'une ampleur relativement modérée : 8.000 tweets par jours au maximum contre par exemple 173.000 lorsque Emmanuel Macron a annoncé vouloir "emmerder les non-vaccinés" ou 169.000 lors de l'affaire McKinsey.

"C'est loin d'être un raz de marée, tempère David Chavalérias. Les communautés qui ont réagi le plus fort à l'affaire Dubost sont les communautés les plus extrêmes : les militants de La France Insoumise d'un côté et les militants d'extrême-droite autour de Florian Philippot de l'autre."

Les communautés qui ont réagi le plus fort à l'affaire Dubost sont les communautés les plus extrêmes : les militants de La France Insoumise d'un côté et les militants d'extrême-droite autour de Florian Philippot de l'autre

David Chavalarias, directeur de recherche au CNRS et créateur du Politoscope

Pour la mathématicien, ce n'est pas seulement l'utilisation de l'argent public à des fins personnelles qui a choqué et provoqué cette mobilisation sur les réseaux. Il parle aussi d'une forme de revanche. Coralie Dubost avait à l'époque fait la leçon sur BFMTV sur le paiement des amendes qui avaient visé certains élus LFI. Du côté de Florian Philippot ou Jean-François Asselineau, c'est l'ancienne compagne d'Olivier Véran qui est directement visée. "C'est une communauté anti-système, anti-vax, anti-Macron qui s'est formée pendant la pandémie, explique le chercheur. Et on lui fait payer sa proximité avec le ministre de la santé qu'ils détestent par dessus tout."

Reste à savoir maintenant combien de temps l'élue héraultaise restera dans l'oeil du cyclone. 

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