Face à une sécheresse sans précédent, la Région Occitanie commence à envisager le doublement d'Aqua Domitia, un réseau qui puise dans le Rhône pour acheminer de l'eau en Languedoc. Un complément désormais indispensable, mais dont le principe a longtemps été décrié. Voici la longue histoire de ce tuyau que tout le monde s'arrache à présent.
Aqua Domitia, c’est l’histoire d’un gros tuyau qui voulait rejoindre l’Espagne en fournissant de l’eau du Rhône dans toute la région. Une histoire qui s’est pourtant arrêtée aux portes des Pyrénées-Orientales, car à l'origine, les agriculteurs catalans n’en voulaient pas. Côté espagnol, il n'était pas question de laisser les Français avoir la main sur le robinet. Côté français, il était exclu d’abreuver la concurrence espagnole. Quant aux élus locaux et aux techniciens, ils pensaient que jamais le département ne manquerait d’eau.
Aqua Domitia est aujourd’hui terminé. Il a coûté 220 millions d’euros pour 140 kilomètres de tuyau du Rhône jusqu’à Narbonne. Une canalisation sur laquelle se sont greffés plusieurs maillons, dont le dernier, en mai 2023, dans le secteur des Collines des Costières, en Camargue gardoise, a permis d'irriguer 630 hectares de vignes et de cultures sur 70 exploitations.
Un réseau désormais sous-dimensionné
À l'heure où l'eau représente un enjeu stratégique en termes d’aménagement du territoire pour l’urbanisme, le tourisme et l’agriculture, celle fournie par la compagnie BRL, qui exploite Aqua Domitia, ne sert qu'à sécuriser les besoins. Car sa conception date d'avant la sécheresse qui assoiffe peu à peu l'Occitanie et le pays catalan.
Aujourd'hui, avec le changement climatique, on ne peut plus appeler "gestion de crise" ce qui se produit chaque année. On doit adapter notre gestion à ce changement et pour nous, c'est un élément nouveau : ça veut dire que nos équipes sont mobilisées 100% de l'année là où, auparavant, elles l'étaient sur deux mois "de pointe" en juillet et août.
Jean-François Blanchet, directeur général de BRL
La demande explose
Une crise climatique qui change donc totalement la donne. Quand Aqua Domitia a débarqué devant chez lui il y a dix ans, Mathieu Bousquet, vigneron à Cournonterral (Hérault), a signé un contrat d’irrigation d’une partie de ses vignes. Aujourd’hui, il demande à obtenir plus d’eau pour irriguer le reste de son domaine, sans résultat pour l'instant.
Ils nous répondent que le débit est trop faible par rapport à la demande. Ils ne peuvent pas donner plus d'eau qu'ils n'en ont. Donc on est sur liste d'attente. Je souhaiterais qu'ils augmentent le débit du bas-Rhône pour qu'on puisse avoir accès à de nouveaux contrats et augmenter la surface irrgable du vignoble.
Mathieu Bousquet, vigneron à Cournonterral (Hérault)
Doublement envisagé
Aqua Domitia n’a pas été dimensionné pour alimenter la région face à une pareille sécheresse. D’autant que cette canalisation enterrée n’a jamais fait l’unanimité, symbolisant la privatisation de l’eau et un frein au développement durable et à la sobriété. Mais face à l’urgence, son doublement est désormais envisagé. La Région, qui préside à ses destinées, commence à évoquer prudemment un Aqua Domitia 2, à l'instar du conseiller de la majorité régionale Fabrice Verdier (groupe Socialistes et Citoyens d'Occitanie).
Entre le moment où Georges Frêche l'a décidé et le moment où on l'a inauguré, il s'est passé dix ans. J'espère qu'on sera en capacité de raccourcir ces délais. Mais il s'agit d'avoir une démarche globale de développement durable et de ne pas faire n'importe quoi avec l'eau du Rhône, juste qu'elle permette à des pans entiers du territoire de continuer à vivre.
Fabrice Verdier, président de BRL et conseiller régional de la Région Occitanie
Plan de modernisation
Le nouvel Aqua Domitia ira-t-il cette fois jusqu’à Perpignan ? Il faudra d’abord emporter l’adhésion des différents acteurs économiques et politiques, puis chiffrer le coût d’un tel projet. Bientôt saturé, l’actuel réseau va déjà profiter de 100 millions d’euros sur dix ans pour être modernisé.
Écrit avec Florent Hertmann et Franck Detranchant.