Bonne nouvelle : les grandes nacres de l’étang de Thau n’ont pas été touchées par le parasite qui décime l’espèce depuis deux ans en France. Ce dernier a été repéré tout près - dans le port de Frontignan - la vigilance reste donc de mise dans l'Hérault.
Une quinzaine de plongeurs, tous bénévoles, se sont donc relayés pour inspecter les quelques 50 000 grandes nacres de la lagune. Leur mission : observer l'état de santé des grandes nacres menacées par le "haplosporidium pinnae", un parasite venu de l’hémisphère sud.
Ce micro-organisme s’attaque au mollusque en le paralysant. Incapable de se refermer, le coquillage meurt de faim ou se fait dévorer par un prédateur.
Mathieu Foulquié, biologiste marin de Montpellier qui a participé à la première publication scientifique consacrée aux grandes nacres dans l’étang de Thau, reste lui aussi plutôt optimiste.
J'ai plongé près de Mèze dans trois secteurs différents au nord de l'étang de Thau, jusqu'à la fin octobre. Les grandes nacres qui y vivent étaient en bon état de santé.
Une pandémie sous-marine
On ignore d'ou vient ce parasite. Il serait peut-être arrivé dans les eaux de ballast d'un cargo japonais en 2016 et se serait échappé lors d’une vidange près des côtes espagnoles. Depuis dans ce secteur, 99% de la population de nacres a disparu et c’est une véritable pandémie sous-marine qui s'est propagée. L’Italie, la Corse, le sud de la France sont désormais touchés comme l'ensemble des deux bassins méditerranéens.
Pour Nardo Vicente, un des grands spécialistes de ce coquillage bivalve, "ce parasite, comme de nombreux virus et bactéries se trouvent en dormance dans tout l’océan mondial, et avec le réchauffement climatique ils deviennent actifs ".
Par exemple, en août 2019, à Villefranche-sur-Mer près de Nice, il faisait 26° à plus de 60 m de fond ! Dans la réserve de Scandola en octobre 2019, on a relevé 22° à 40 mètres et cela va aller de pire en pire...
Un parasite qui sévit depuis 2 ans sur nos côtes
Protégée au niveau européen depuis 1992), l’espèce a récemment été reconnue et classée « en danger critique d’extinction » sur la liste rouge mondiale des espèces menacées de l’UICN.En Occitanie, les premiers cas de mortalité ont été signalés en 2018, dans le secteur de Banyuls-sur-Mer.
En octobre 2019, le parasite a été découvert lors des travaux de modernisation du port de Frontignan-la-Peyrade, à quelques encablures de l'étang de Thau. Une soixantaine de coquillages devant être extraits de la zone de travaux pour être déplacés, ont été retrouvés morts.
Une vigilance accrue
Actuellement, les individus qui résistent à l’épizootie se rencontrent, pour la majorité, dans les lagunes méditerranéennes.En Occitanie, les populations de l’étang de Thau sont suivies depuis plusieurs années. Deux grandes nacres y ont été découvertes pour la première fois en juin 2011 par Mathieu Foulquié et Renaud Dupuy de la Grandrive, directeur du milieu marin au sein de l'Aire Marine Protégée (AMP) de la côte agathoise.
Dans leur étude scientifique réalisée dans ce contexte de mortalité massive -avec le concours de Nicolas Dalias du bureau d'études SEANEO et de Nardo Vicente de l'Institut Océanographique Paul Ricard- ils ont cherché à savoir si ces zones « refuges » supposées étaient également impactées.
Des campagnes d’observation ont donc été réalisées en mai et en juin 2020 au sein des populations déjà recensées. Et la conclusion de leur publication est réjouissante:
"Ces nouvelles investigations montrent que les populations sont en bonne santé, avec une mortalité réduite qui semble essentiellement naturelle, et un renouvellement régulier de ces populations dans la plupart des stations prospectées" peut-on lire dans l'Inventaire et état de santé des populations de Pinna nobilis dans l’étang de Thau.
Néanmoins, pour savoir si oui ou non le parasite a infecté les colonies de l'étang de Thau, il faudrait pouvoir effectuer des prélèvements sur les individus vivants ou moribonds.
Pour vérifier, il faut prélever quelques millimètres de chair. A l'aide d'une pince à biopsie, ce type de prélèvement peut être réalisé sans mettre danger la nacre étudiée. Nous attendons l'autorisation préfectorale pour pouvoir effectuer ces prélèvements.
En attendant, « Il faut maintenir la pression et rester très attentifs » affirme Camille Pfleger, qui souhaite poursuivre cette opération de surveillance. Toute personne rencontrant une grande nacre est invitée à signaler sa position via un formulaire en ligne sur le site du syndicat.
Une éventuelle contamination dans la lagune de Thau serait une catastrophe. La grande nacre, ou "Pinna nobilis", joue un rôle essentiel pour l’écosystème local en purifiant l’eau : un coquillage de 50 cm peut filtrer jusqu’à 200 litres d’eau de mer par jour.
Repeupler la mer ?
Pour tenter de préserver l’espèce, les scientifiques du CRIOBE (Centre de Recherches Insulaires et Observatoire de l’Environnement) ont prélevé 200 grandes nacres de l’étang de Thau afin de les placer en aquariums à Perpignan.
L’enjeu à présent est de parvenir à une reproduction en aquarium, dans l'espoir d’assurer la pérennité de ce coquillage emblématique de la Méditerranée.
Nardo Vicente*, qui a démontré dès les années 80 au Parc national de Port-Cros que grâce à des captages larvaires on pouvait obtenir la croissance des jeunes individus en paniers suspendus, et les réimplanter à l’âge d’un an à la lisière de l’herbier de posidonies.
Dans les années 1995, ce scientifique a également travaillé sur la survie des individus adultes et juvéniles après transplantation. Des transplantations de nacres de tailles diverses ont été effectuées depuis de nombreuses années par les chercheurs de l’Institut océanographique Paul Ricard, à des fins expérimentales.
Il reste résolument optimiste quant à la survie de l’espèce dans les étangs littoraux.
* Nardo VICENTE- La Grande nacre de Méditerranée Pinna nobilis. Un coquillage bivalve plein de noblesse. Sciences Technologies Santé. Ed.Presses Universitaires de Provence (2020).