Les juges d’instruction du pôle "accidents collectifs" de Marseille, territorialement compétent pour la commune de Millas (Pyrénées-Orientales), ont rendu leur ordonnance de renvoi concernant le drame survenu le 14 décembre 2017 au passage à niveau du village catalan. La conductrice du car scolaire sera jugée en correctionnelle pour "homicides et blessures involontaires". Six enfants sont décédés dans la collision du bus avec un train.
Le 14 décembre 2017, 6 enfants décédaient et 17 autres étaient blessés lors de la collision entre un train et un car scolaire au passage à niveau de Millas (Pyrénées-Orientales). Les juges marseillais compétents dans ce dossier viennent de renvoyer la conductrice devant le tribunal correctionnel. Elle sera jugée pour "homicide et blessures involontaires par conducteur".
"Aucun doute" sur l’inattention et l’imprudence de la conductrice
L’ordonnance de renvoi de 158 pages a été signée le 5 janvier dernier, au terme de quatre ans d’enquête. Dans ce document, les juges du pôle « accidents collectifs » de Marseille concluent :
Il ne fait aucun doute que l’inattention et l’imprudence de la conductrice sont à l’origine directe et certaine de l’accident : en ne prenant pas en compte le caractère fermé du passage à niveau n°25 et en forçant, au volant de son car, la demi-barrière fermée dudit passage à niveau, elle a précipité la percussion de son car par un train qui circulait régulièrement.
Ordonnance de renvoi de la conductrice du car scolaire de Millas
La défense a tenté de faire annuler les expertises
La conductrice a toujours soutenu que les barrières étaient ouvertes, rejetant la faute sur les infrastructures de la SNCF (ce que n’ont pas démontré les experts). Son avocat, maître Jean Codognès, contestait leurs conclusions, allant jusqu’à demander l’annulation de deux enquêtes techniques au motif que le collège d’experts aurait été affilié à la compagnie ferroviaire. Une requête dont il a été débouté en avril 2021. Il avait alors annoncé se pourvoir en Cassation.
L’ordonnance de renvoi le réaffirme d’ailleurs : "Il n’existe aucune expertise qui pose l’hypothèse d’un dysfonctionnement du passage à niveau". Les juges d’instruction ont donc définitivement balayé cette hypothèse, estimant que "les témoignages attestant d’un passage à niveau ouvert au moment de l’accident sont majoritaires".
Témoignages accablants
Ils retiennent particulièrement les déclarations des deux techniciens de maintenance se trouvant à l’arrêt dans leur véhicule de l’autre côté du passage à niveau.
Les deux seuls témoins parfaitement objectifs. […] Leurs déclarations attestent d’un passage à niveau qui a parfaitement fonctionné. […] Leurs déclarations traduisent également leur impression de ce que la conductrice du car n’a pas vu la demi-barrière abaissée mais aussi leur incrédulité et leur impuissance face au drame qui s’est joué sous leurs yeux.
Ordonnance de renvoi de la conductrice du car scolaire de Millas
Pas d’acte intentionnel
En revanche, l’acte intentionnel n’est pas retenu. Un non-lieu est prononcé en ce qui concerne les chefs de "mise en danger délibérée de la vie d’autrui" et "violation délibérée d’une obligation de sécurité imposée par la loi". C'est ce que veut retenir maître Jean Codognès, l'avocat de la conductrice.
On a raconté qu'elle était droguée, qu'elle triturait son téléphone portable au volant : c'est faux ! L'instruction a eu quand même ce mérite d'élaguer un peu entre ce qui n'était pas fondé et ce qui lui est reproché, et qui pourra être débattu.
Maître Jean Codognès, avocat de la conductrice
La prochaine étape judiciaire avant le procès sera l’audience de mise en état prévue le 29 avril 2022 au tribunal de Marseille. Au cours de cette phase, les parties échangent leurs conclusions et communiquent leurs pièces afin que l’affaire soit mise en état d’être jugée.
Edouard Philippe présent à l’hommage quatre ans après
Le 14 décembre dernier, quatre ans après le drame, une cérémonie a réuni à Millas les proches des petites victimes âgées de 11 à 13 ans : Ophélia, Teddy, Diogo, Loïc, Allan et Yonas. Ce moment de recueillement devant la stèle érigée en leur mémoire avait eu lieu en présence de l’ancien Premier ministre Edouard Philippe, qui avait qualifié l’accident de "pire moment" de son mandat.
Pour les familles, l'importance de "prendre de la hauteur"
A l'annonce du renvoi en correctionnelle de la conductrice du car dans lequel a péri son fils, Fabien Bourgeonnier, le père de Loïc et co-fondateur de l'association "A la mémoire de nos anges", s'est dit "prêt à prendre de la hauteur".
Ce renvoi, c'est normal, c'est dans la continuité des choses. Les réponses ça fait longtemps qu'on les a : c'est une affaire douloureuse, gravissime. Elle a franchi le passage à niveau. Maintenant, on va peut-être avoir plus de précisions sur le déroulé mais par dessus-tout, il faut qu'on apprenne tous de ça pour qu'aucune famille n'ait plus jamais à vivre un drame pareil.
Fabien Bourgeonnier, père de Loïc et co-fondateur de l'association "A la mémoire de nos anges"
Faire œuvre de pédagogie
L'association compte continuer son œuvre de sensibilisation aux dangers des franchissements de passages à niveau : "on doit se dire : qu'est-ce qu'on peut faire sur les bus, les voitures, les passages, pour que ça n'arrive plus ? Il doit y avoir une prise conscience collective que le danger vient des trains, mais aussi de nos comportements au volant".
Fabien Bourgeonnier espère également travailler avec les acteurs de ce dossier à la mise en place de dispositifs de sécurité tels que des plots rétractables "pour que les gens s'arrêtent vraiment" et à supprimer les passages à niveau quand c'est possible.