L'exode urbain, tant commenté depuis l'apparition du Covid en France, est finalement moins important après analyse des flux migratoires résidentiels entre 2020 et 2022. Une étude des déménagements des Français montre que "le monde d'après" ressemble finalement très fortement au "monde d'avant". Avec un attrait pour les territoires néo-ruraux et littoraux.
La pandémie de Covid-19 a conforté l'arrivée dans les campagnes de petits flux de "néo-ruraux" diplômés, désireux d'allier télétravail et projets de reconversion professionnelle, sans entraîner de départs massifs des villes, décrypte Aurélie Delage, enseignante-chercheuse à l'université de Perpignan.
Spécialiste d'aménagement et d'urbanisme, la chercheuse a participé à l'étude pluridisciplinaire "Exode urbain. Un mythe, des réalités", pilotée depuis juin 2021, par la plateforme d'observation des projets et stratégies urbaines (Popsu) pour mesurer l'impact de la crise sanitaire sur les mobilités résidentielles. Avec d'autres chercheurs, elle était chargée de qualifier ce phénomène.
Le Covid a eu un effet d'accélération et surtout un effet loupe dans les petites communes.
Aurélie Delage, enseignante-chercheuse à l'université de Perpignan Via Domitia.
"Les données montrent qu'il n'y a pas eu de bouleversements des habitudes au plan national. Juste une évolution de tendances déjà amorcée depuis des années. D'ailleurs, au début, cette étude intitulée "Exode urbain, mythe et réalité ?" était qualifiée "Petits flux, grands effets". Car les évolutions sont à la marge, quand les conséquences sont d'autant plus impactantes que le territoire est faiblement peuplé" explique Aurélie Delage.
La "renaissance du rural" en marche
Parmi les phénomènes observés, la poursuite de la "métropolisation", avec des habitants qui se concentrent toujours dans les grandes villes, de la périurbanisation, mais aussi d'une "renaissance rurale" qui entraîne un repeuplement de certaines campagnes.
Cette renaissance rurale n'est pas nouvelle puisqu'on l'observe depuis les années 1970. L'analyse du géographe Bernard Kayser en 1990 montrait déjà une grande diversité des situations. Seulement aujourd'hui, des territoires ruraux se retrouvent confrontés à des problèmes urbains, comme le logement...
Aurélie Delage, enseignante-chercheuse à l'université de Perpignan Via Domitia.
L'île-de-France a perdu plus de 27.000 ménages en un an au profit des régions Nouvelle-Aquitaine, Occitanie et PACA. Des ménages qui ont investi dans les métropoles de province où le foncier est beaucoup plus abordable qu'en région parisienne. Un "effet surclassement" s'est alors produit, occasionnant des hausses de loyers et des prix de vente des logements.
Mais peu ont opté pour des communes de moins de 20.000 habitants
Entre mars 2020 et mars 2021, les communes de moins de 2.000 habitants ont ainsi représenté 18% des flux migratoires, une proportion quasi équivalente à la période pré-covid. "Ce phénomène n'affecte pas tous les espaces ruraux, mais d'abord ceux qui sont situés à proximité des villes, ce qui alimente la périurbanisation", nuance Aurélie Delage.
L'Ouest et le Sud profitent globalement le plus de l'arrivée de nouvelles populations, en particulier les littoraux mais aussi le pourtour du Massif Central, le nord de la région Nouvelle-Aquitaine et des Vosges ainsi que le piémont pyrénéen.
L'Hérault, banlieue de l'Île-de-France ?
Le flux entre mars 2021 et mars 2022 est excédentaire, +5,8 pour 1.000. Les ménages qui ont déménagé vers le département viennent de Paris (505 ménages), de Seine-et-Marne (312), du Rhône (231), des Yvelines (220) et des Bouches-du-Rhône (172).
Dans le même temps, 472 familles ont quitté l'Hérault pour le Gard.
La Haute-Garonne, l'attrait des départements voisins
La Haute-Garonne a perdu des ménages entre mars 2021 et mars 2022, -3 pour 1.000. Ils ont quitté la capitale de l'Occitanie pour aller dans les départements à proximité. 564 ménages sont partis dans le Tarn, 502 dans le Tarn-et-Garonne, 284 dans l'Aude, 245 en Ariège, 228 dans les Pyrénées-Orientales, 205 dans les Pyrénées-Atlantiques et 186 dans les Landes.
Côté emménagement, 331 familles sont venues de Paris.
Les Pyrénées-Orientales, le littoral catalan et la montagne au top
Le Roussillon est une terre d'accueil depuis plus de 30 ans. Le cocktail, mer, Pyrénées et Espagne attire de nombreux ménages. Après le Covid, ils sont arrivés nombreux de Haute-Garonne (228), de Paris (163), de Seine-et-Marne (135), du Nord (87), du Rhône (77) et même de l'Hérault (128), des Bouches-du-Rhône (79) et du Gard (45).
Seules quelques familles, une quinzaine, ont déménagé dans le Finistère et le Lot.
La campagne mais à proximité des métropoles
Les campagnes les plus attractives sont celles dont les espaces naturels ont été le plus préservés tout en restant accessibles en transport via l'autoroute et le TGV. "La pandémie a joué un rôle de catalyseur de projets de déménagement déjà existants, en particulier de familles confrontées à l'arrivée d'un deuxième enfant ou de personnes retraitées", précise Aurélie Delage.
Si au plan national, l'exode urbain reste limité, il a pu créer des problèmes dans les communes rurales. L'arrivée de 200 ou 300 familles dans une métropole de 500.000 habitants, c'est un événement gérable. 10 familles qui débarquent dans un village de 200 habitants, en zone blanche, où il n'y a plus ni service public, ni médecin, c'est autre chose.
Aurélie Delage, enseignante-chercheuse à l'université de Perpignan Via Domitia.
Loin de départs précipités dans des zones rurales mal connues, ces déménagements correspondent plutôt à des projets aboutis dans des endroits déjà familiers. "On revient en général dans un lieu où on a habité ou passé des vacances étant enfant", poursuit la chercheuse.
Des "exodeurs" en transition personnelle ou retraités
Alors que l'image du "néo-rural" véhiculée pendant la pandémie a plutôt été celle de cadres télétravaillant massivement à la campagne, l'étude n'a pas identifié de "portrait-robot d'exodeur" mais des profils différents.
"Personne n'a vraiment constaté d'effet covid sur le terrain, mais une augmentation depuis 5-6 ans de l'installation de personnes en transition personnelle ou professionnelle", souligne Aurélie Delage.
Alors que les "néo-ruraux" étaient plutôt, traditionnellement, des personnes à la marge, à la recherche de foncier pas cher, la vague actuelle se caractérise davantage par la présence de personnes diplômées et porteuses de projets : nouvelles pratiques agricoles (herboristerie, etc.), artisanat (poterie, paysans boulangers), soins à la personne (yoga, ateliers bien-être) ou encore tourisme écologique.
Parmi les profils des nouveaux "néo-ruraux", post Covid, figurent encore traditionnellement les retraités, "toujours plus nombreux", les ménages modestes contraints de s'éloigner des grandes villes pour accéder à un logement abordable, des cadres supérieurs en télétravail mais aussi des populations très précaires sensibles aux théories de l'effondrement.
Ecrit avec AFP.