Comment les sous-traitants d'Airbus font face à la demande de 8 000 avions dans un marché en manque de main-d'œuvre ?

Avec plus de 8 600 avions à livrer d'ici 2030, Airbus a battu tous les records de commandes cumulées. Un nombre qui risque de s'accentuer avec les problèmes rencontrés par son rival américain Boeing et ses problèmes techniques sur l'un de ses appareils. Mais ces commandes peuvent elles être honorées par les sous-traitants ?

Les compagnies aériennes n'ont guère d'alternative au duopole Airbus-Boeing, en position de force malgré les retards de livraisons et défauts de production, tant leurs carnets de commandes sont saturés et leurs fournisseurs à la peine pour les alimenter. Le constructeur européen Airbus basé à Toulouse en Haute-Garonne doit livrer 8.600 appareils d'ici 2030, 2.000 de plus que son rival américain empêtré dans des problèmes techniques avec son 737 max.

Les trois-quarts de la production d'Airbus sous-traités

Certaines compagnies envisagent d'annuler leurs commandes chez Boeing pour passer chez Airbus. Ainsi, face aux retards persistants du Boeing 737 MAX 10, United Airlines explore la possibilité d'acheter davantage d'avions Airbus A321neo. Mais cela n'est pas si simple.

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Il faut de la place dans le carnet de commandes, des fournisseurs capables de suivre le rythme puis former tout le personnel de maintenance et de vol au nouvel outil de travail. Les trois-quarts de la production de l'avionneur européen sont sous-traités. 

À Montauban dans le Tarn-et-Garonne, le groupe Mécachrome, premier fabricant français de pièces aéronautiques essaie de trouver des solutions à ses problèmes de recrutement. Dans le secteur aéronautique, les ouvriers qualifiés sont rares car très recherchés. Ici, 3 embauches sur 10 concernent des demandeurs d'emploi. 40 ont été recrutés en 2023.

C'est le cas de Cédric Bonnet, diplômé d'un BTS informatique, qui s'est vu proposer une formation par Pôle emploi au sein de l'entreprise : " C'était d'abord purement théorique, comment appréhender une pièce, etc. Ensuite, en atelier, on était mis sur machine avec des référents. Ils nous ont aidés, nous ont accompagnés. Ils nous montraient comment contrôler une pièce, comment corriger une pièce, etc... Ensuite, je suis passé en contrat professionnel et c'est là qu'on m'a mis sur une machine, un peu en autonomie". Embauché depuis 5 ans en CDI, le jeune salarié ne s'attendait pas à être aussi passionné par ce métier. 

Rappel des retraités

Pour les accompagner et les former, l'entreprise a rappelé un de ses anciens salariés parti à la retraite après 39 ans de service. 2 jours par semaine, Didier Bergue, vient former les jeunes recrues : " Ici des anciens, il n'y en a plus beaucoup. Je sais pratiquement tout faire, je suis presque l'homme à tout faire. Les jeunes qui arrivent ne savent pas comment faire. L'entreprise avait des besoins en formation et pour réaliser certaines pièces très spécifiques."  

Et il faut faire vite pour former, car l'entreprise comme tout le secteur aéronautique connaît une très forte croissance. Le chiffre d'affaires du groupe a bondi de 20% en un an. 60% des nouvelles recrues n'ont pas travaillé dans l'aéronautique.

"Dans un contexte de très forte croissance, c'est indispensable de les former. Il faut les former rapidement, à des métiers de rigueur, qui sont très exigeants en termes de qualité, de compétitivité. C'est essentiel de leur apprendre toutes nos valeurs, tout notre savoir et tous nos salariés sont mis à contribution pour mentorer, tutorer tous les nouveaux arrivants",

Pascal Farella, directeur général délégué du groupe Mécachrome

L'entreprise prévoit de recruter 500 personnes cette année et investit dans des lignes automatisées pour assurer les cadences imposées par Airbus. 

Une tension liée à la main d'oeuvre connue par l'ensemble du secteur de l'aéronautique dans la région toulousaine. Le 25 janvier dernier, pas moins de 4.330 emplois étaient ainsi proposés par la filière au Stadium de Toulouse lors d'un énorme job dating, du niveau CAP à Bac + 5.

A lire : Avec 4000 emplois à pourvoir, l'aéronautique et le spatial peinent à trouver les candidats qualifiés

75 appareils A320 par mois d'ici 2026

"Nous devons livrer 8.600 avions dans les temps et avec la qualité. Donc la question n'est pas de savoir si augmenter la cadence est nécessaire ou non", expliquait récemment Christian Scherer, directeur général d'Airbus Avions commerciaux. L'avionneur souhaite passer à 75 A320 par mois en 2026, contre 48 en 2023. Les longs délais d'attente "n'empêchent pas de prendre beaucoup de commandes."

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Airbus n'en a jamais eu autant de son histoire : 2.094 commandes nettes en 2023, un record depuis 2013. Le groupe européen profite du fait que les compagnies aériennes doivent moderniser leurs flottes pour atteindre l'objectif du secteur d'être neutre en émissions en 2050, horizon auquel le trafic aérien mondial devrait avoir doublé. Il bénéficie aussi de la mauvaise passe traversée par Boeing. 

Développer la capacité de production

En plus de devoir recruter, les sous-traitants doivent aussi développer leur capacité de production.  C'est le cas de Lhers, entreprise spécialisée dans la mécanique de précision, située à Aucamville près de Toulouse en Haute-Garonne qui a subi une forte croissance elle aussi et doit prochainement s'agrandir. Elle vient d'investir 800 000 euros dans de nouvelles machines automatisées pour tenir les cadences. 

"On sent que les clients ont des besoins d'énormes quantités de pièces. Il y a aussi des nouvelles pièces aussi à fabriquer, décrit Olivier Geysels, gérant de Lhers mécanique de précision. Et donc, ils nous sollicitent énormément pour pouvoir absorber ces quantités de travaux à réaliser. Aujourd'hui, beaucoup de sociétés comme les nôtres sont arrivées au maximum de ce qu'elle pouvait prendre comme charge de travail. Mais il faut continuer à investir pour pouvoir continuer à développer notre capacité de production."

Outre les problèmes de recrutement et de capacité de production de tout le secteur, les constructeurs d'avions doivent aussi faire face à des problèmes d'approvisionnement notamment en titanium et les métaux extraits en Russie et en Ukraine. 

Mais Airbus doit aussi surmonter d'autres déconvenues. L'histoire est moins médiatisée mais l'avionneur européen subit les conséquences d'un problème chez son fournisseur Pratt & Whitney. Des centaines de moteurs équipant l'A320neo doivent être inspectés jusqu'en 2026 à cause d'un composant contaminé utilisé pour des disques de turbine haute pression.

Les plannings de nombreuses compagnies sont perturbés, car chaque avion doit rester au sol en moyenne entre 250 et 300 jours. Des difficultés pas du meilleur effet lorsque l'on a des carnets de commande aussi pleins.

(Avec Christophe Romain)

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