Au quatrième jour du procès de Guerric Jehanno devant les assises du Tarn, à Albi, les anciens co-détenus de l’accusé ont été entendus. Ils sont les seuls auprès de qui il aurait reconnu les faits qui lui sont reprochés et pour lesquels il encourt la réclusion criminelle à perpétuité.
Depuis que Guerric Jehanno est suspecté d’avoir enlevé, violé et tué Amandine Estrabaud, le 18 juin 2013, à Roquecourbe, dans le Tarn, ils sont les seuls devant qui il aurait reconnu les faits. Les seuls à qui il aurait dit avoir "violé et tué une fille de son village". Autant dire que leur témoignage était très attendu ce mardi 13 octobre 2020 devant la cour d’assises du Tarn à Albi.
Des témoignages accablants
Karim A. est le premier à venir raconter ce que Guerric Jehanno lui a confié au cours de leur détention commune à la maison d'arrêt de Seysses.
Et si l'on en croît son attitude au moment de prêter serment, il se serait bien passé de venir. Karim A. arrive très en colère, devant cette justice avec "laquelle il ne veut plus rien avoir à faire". Il n’est là que parce qu’on l’a "obligé". Il a décidé qu’il ne dirait rien devant la cour.
On lui parle de cette lettre rédigée avec un autre co-détenu, Farid O. (qui sera entendu après lui). Pourquoi l’a-t-il écrite ?
"Je l’ai pas fait par obligation, ni par vengeance. Je l’ai fait parce que si ça arrivait à ma sœur ou à ma mère, j’aimerais bien que quelqu’un m’aide."
Qu’y a-t-il dans cette lettre ? Il ne veut pas le redire, alors le procureur la lit à l’audience.
Elle raconte que Guerric Jehanno lui a dit qu’il avait toujours été amoureux d’Amandine, qu’il la connaissait depuis qu’elle était petite. Le jour des faits, il l’aurait croisée par hasard et lui aurait proposé de la ramener dans son fourgon blanc. Il lui aurait fait des avances, aurait essuyé un refus définitif, lui aurait porté un coup. Avant le viol.
Karim A. ne veut rien répéter devant la cour mais il confirme tout ce qui est lu à l'audience. Aussi bien cette lettre, que ses déclarations devant le juge d'instruction et lors de la confrontation qui a suivi avec Guerric Jehanno.
Selon sa version., Jehanno aurait dit avoir frappé Amandine au début sans faire exprès, puis une nouvelle fois et elle serait tombée dans les pommes. Après, il aurait caché le corps dans un lac près de chez lui, dit à sa mère que ça sentait le cadavre près du lac. Il l’aurait ensuite enterrée ailleurs, après avoir été interrogé par les gendarmes.
Il leur aurait parlé aussi de la voisine d’Amandine et leur aurait dit "elle s’est trompée sur le fourgon en disant qu’il avait des vitres alors qu’il n’en avait pas."
Un deuxième témoignage dans le même sens
Farid O., 50 ans, s'avance ensuite à la barre. "Avec Guerric Jehanno, on partageait le même avocat et donc la même salle d'attente à la prison. Au début, il me racontait son histoire" dit-il en préambule.
"Il racontait qu'il avait connu Amandine, qu'il était amoureux d'elle, qu'il l'avait violée et tuée à coups de pelle. Je lui ai demandé s'il l'avait enterrée vivante. Il ne savait pas." poursuit-il. "Je lui avais dit à l'époque, sans cadavre, tu seras jamais condamné."
"Est-ce qu'il y a des détails qui vous ont marqués ?", interroge le président.
"Ce qui m'a marqué, c'est le coup de pelle et que quand je lui ai demandé s'il l'avait enterrée vivante, il n'a pas pu me répondre." répond Farid O.
Sur le banc des parties civiles, la famille d'Amandine Estrabaud s'effondre.
L'ancien co-détenu de Guerric Jehanno parle ensuite d'aveux répétés dit que Jehanno l'interrogeait souvent sur sa situation et sur ce qu'il risquait.
Il ne m'a jamais dit qu'il était innocent. Un innocent, il dit toujours qu'il est innocent, il n'essaie pas de démonter l'accusation.
Interrogé par le président, Guerric Jehanno nie une nouvelle fois avoir tenu ces propos. Dans son box, il répète comme la veille, "je suis innocent, je ne peux pas savoir où elle est".
"En revenant du parloir, il était bizarre"
Arrive ensuite Teddy R. Ce jeune homme de 32 ans a passé seulement trois semaines dans la même cellule que Guerric Jehanno à Seysses. "On avait un peu sympathisé" dit-il. A la cour, il raconte qu'après ces trois semaines, il a changé de cellule et a recroisé Guerric Jehanno au retour d'un parloir :
En revenant du parloir, il était bizarre. Je lui ai demandé si ça allait. Il m'a dit que oui et puis de but en blanc, il m'a dit "sur l'affaire Amandine, je pense que ça va bouger." J'ai demandé pourquoi et il m'a répondu "je pense qu'ils ont retrouvé le corps. Comment ? "Sur un dessin". Quel dessin ? "sur celui que j'ai fait". J'ai dit "Putain ! Mais c'est toi ?" Il m'a regardé, il a hoché la tête et il m'a dit "oui".
Un quatrième co-détenu qui évoque les mêmes aveux
Le dernier a être entendu ce mardi après-midi par la cour d'assises du Tarn, c'est le premier qui a été incarcéré avec Guerric Jehanno à Seysses. Vincent G. est arrivé le même jour que lui à Seysses. Très vite, deux ou trois jours après, il reçoit les premières confidences de son co-détenu et tout de suite, il écrit au juge d'instruction. Contrairement aux trois hommes entendus avant lui, lui a tenté de les "monnayer" contre une remise de peine.
C'est après ses déclarations que l'accusé sera mis en examen supplétivement pour viol et meurtre. Jusque là, il n'était poursuivi que pour enlèvement et séquestration.
Vincent G. a beaucoup oublié du contenu de ses lettres au juge "ça fait 4 ans, je ne me souviens plus" mais il se souvient que Jehanno lui a raconté avoir pris Amandine Estrabaud en stop "par hasard", qu'il lui a fait des avances qu'elle a refusé, "qu'il l' attrapée par les cheveux, forcée à monter dans le camion, l'a violée et la tuée d'un coup de clé à molette derrière la tête".
C'est à lui aussi que Guerric Jehanno a remis deux plans sur lesquels il avait dessiné l'endroit où il aurait enterré Amandine et celui où il se serait débarrassé de ses bijoux. Deux plans dont Vincent G. ne se souvient plus très bien ce mardi à l'audience mais dont on a beaucoup parlé à l'audience
Les plans dessinés par Jehanno
Au début de l'instruction, il a nié que ces plans était signés de sa main. Aujourd'hui, l'analyse de l'experte en écriture a démontré qu'il en était bien l'auteur et Guerric Jehanno ne le nie plus.
Le procureur l’interroge sur le premier, On y voit notamment l’entrée du village de Roquecourbe avec sur la droite sa maison indiquée par la mention "ma maison", la rivière Agout est indiquée, avec une boucle, des distances sont mentionnées.
"Qu’est-ce qui est à 60 mètres ?" interroge le procureur. Guerric Jehanno répond par un long silence. Le procureur reprend : "Qu’est-ce qui est à 60 mètres de votre maison en descendant vers l’Agout ?"
"Les bijoux d’Amandine." répond Jehanno.
Stupeur dans la salle. Emoi dans les rangs de la famille d’Amandine.
- "Vous les avez cachés là ?"
- "Non."
- "Ils sont cachés là ?"
- "Oui."
"Si on va fouiller là, on va trouver les bijoux d’Amandine ?" demande encore le procureur.
"Quand j’ai fait ça, j’ai tout inventé" répond alors Guerric Jehanno. "Si j’avais fait quelque chose de grave, je l’aurais dit aux gendarmes. Ils m’ont tellement mis la pression, je l’aurais dit."
"Comment voulez-vous qu’on vous croît ?" demande encore le procureur. "J’ai tout inventé" est la seule réponse de Jehanno.
L’attitude plus qu'étrange de Guerric Jehanno
Le deuxième plan est projeté aux jurés mais ça ne change pas grand chose à l'attitude de l'accusé.
"Je ne m'en rappelle plus", "je ne sais pas", "je ne comprends pas pourquoi j'ai dit ça"... Au quatrième jour de son procès, Guerric Jehanno a de nouveau multiplié silences, dénégations et contradictions.
Il a été très souvent sollicité, pour faire répondre aux accusations de ses anciens co-détenus. Comment Farid O. peut-il connaître tous ces détails ? "Je ne sais pas. Je lui ai parlé un peu de mon affaire mais je ne suis pas rentré dans les détails". A-t-il hoché la tête quand Teddy R. lui a demandé si c'était lui qui avait tué Amandine "J'ai hoché la tête mais parce que je venais de lui souhaiter bonne soirée" . Est-ce que Teddy R. ment ? "Je ne dis pas qu'il ment."
Et Vincent G. ? "Il me menaçait et me frappait. J'avais peur."
"C'est pas moi qui ai tué Amandine" répète-t-il encore.
Les derniers mots de l'accusé
En plus du témoignage des 4 anciens co-détenus de Jehanno, la cour a entendu aussi le témoignage poignant des parents d'Amandine Estrabaud.
Enfin en tout début de soirée, l'accusé a été invité à s'exprimer une dernière fois, avant la clôture de l'instruction. Il a changé une nouvelle fois de version sur son emploi du temps le jour de la disparition d'Amandine et maintenu qu'il n'a pas quitté le chantier de la terrasse.
Le président l'interroge encore une fois sur ses confidences à ses co-détenus et ses détails qu'il n'est pas censé connaître et qu'il connaît pourtant. "J'ai jamais parlé avec elle" répond Jehanno, "je dis la vérité, je n'ai pas vu Amandine."
"J'ai fait des erreurs, je les regrette" a-t-il dit aussi. "Je regrette d'avoir fait ces plans, ça a fait de la peine à la maman d'Amandine. J'ai inventé une histoire et ça me fait de la peine. C'est là où toutes les investigations sur moi sont parties pour le viol et le meurtre."
Des faits pour lesquels, avec l'enlèvement et la séquestration il encourt la réclusion criminelle à perpétuité.