Quarante-quatre ans que la ligne C du RER transporte chaque jour plus de 500 000 franciliens. Quatrième ligne la plus fréquentée de la région, le RER C est aujourd’hui au cœur d’une détresse affectant usagers comme cheminots, alors que l’abonnement Navigo continue d’augmenter.
"Les gens sont malades !", tonne une dame devant la foule qui tente de s’engouffrer dans un train ce jeudi 30 novembre. Comme d'autres ce matin-là, elle laissera encore passer un RER, surchargé. Une demi-heure que ces voyageurs n’ont pas vu passer un seul train vers Paris en gare de Juvisy-sur-Orge (Essonne).
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À neuf heures et demi, l’afflux de voyageurs de l’heure de pointe devrait être derrière eux. Pour autant, il n’en est rien : Zuina, 31 ans, patiente sur le quai depuis plus d’une heure parmi nombre de passagers aux traits tirés. "Je n’ai pas pu rentrer dans mon train, j’en ai donc attendu un autre quarante minutes plus tard, mais c’était pareil", souffle-t-elle.
Je n’ai pas pu rentrer dans mon train, j’en ai donc attendu un autre quarante minutes plus tard, mais c’était pareil
Zuinausagère du RER C
"Je n’ai jamais vu le RER C dans cet état-là"
Or, si c’est jour de grève aujourd’hui sur la ligne, le RER C est loin d’être exempt des aléas désormais bien connus, allant des "personnes sur les voies", en passant par les "colis suspects" aux "problèmes sur les installations du gestionnaire de réseau".
La veille, la vallée de l’Orge – correspondant à un bassin de plus de 100 000 habitants – a été particulièrement impactée par l’interruption des circulations pendant près de cinq heures. Idem pour les TER reliant Orléans à Paris-Austerlitz.
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Une personne heurtée par un train en gare de Juvisy-sur-Orge en était à l’origine. "Trois jours que c’est vraiment la galère sur le RER C. Ça fait cinq ans que je fais le même trajet, je n’ai jamais vu le RER C dans cet état-là", constate Zuina.
En temps normal, la plus grande gare d'Île-de-France – hors Paris – voit passer un train toutes les 5 à 10 minutes en heure de pointe. "Je prends le RER C tous les jours. Aujourd'hui, je vais mettre deux heures pour aller au travail alors que cela devrait me prendre moins d'une heure", souffle Elisa, 31 ans.
C’est fatiguant. Si j’avais les moyens de déménager, je le ferai sans hésiter
Elisausagère du RER C
Elle dénonce des pannes et des retards quotidiens sur son trajet jusqu’à la gare de Javel (15e arrondissement), qui affectent son état au travail. “C’est fatiguant. Les gens sont même devenus agressifs. Si je pouvais et si j’avais les moyens de déménager, je le ferai sans hésiter”, ajoute-t-elle avant de conclure : “On paie un abonnement Navigo bien trop cher pour un service qui ne va pas”.
En ce moment, c’est vraiment extrême. Avec le RER C, je ne sais jamais si je serai à l’heure
Mélodie Legrandusagère du RER C et étudiante
Un constat partagé, aux retours de soirée, par Mélodie qui tente de garder son espace près des portes du train. “En ce moment, c’est vraiment extrême. [...] Avec le RER C, je ne sais jamais si je serai à l’heure”, confie Mélodie Legrand, une étudiante effectuant régulièrement un trajet de Saint-Quentin-en-Yvelines à Savigny-sur-Orge (Essonne).
Un manque de personnel et des conducteurs lessivés
"Le manque de conducteurs est l’une des principales raisons des mauvais résultats de la ligne", relate Île-de-France Mobilités dans un communiqué publié ce 5 décembre sur la ponctualité du métro et du RER en octobre 2023. Sur un total de 14 000 missions, près de 1 590 missions, soit plus de 10%, ont été supprimées en raison du manque de personnel sur la ligne.
Le manque de conducteurs est l’une des principales raisons des mauvais résultats de la ligne
Île-de-France Mobilitésdans un communiqué
"J'ai fait demi tour ce matin, trop de monde sur le quai pour si peu de RER. Grèves, travaux, incidents, j'ai commencé à prendre le RER C il y douze ans, au début ce n'était pas comme ça. La situation se dégrade de plus en plus", témoigne une voyageuse sur le groupe Facebook "Usagers du RER C", réunissant près de 11 300 membres.
Sur ce même groupe, certains usagers acceptent les actions des conducteurs. “Votre mouvement est compréhensible”, témoigne l’une des membres en soulignant le manque de personnel.
Avec la perte du statut de cheminot, des salaires trop bas et des conditions de travail dégradées, la compagnie ferroviaire peine à embaucher. Ce jeudi, c’est justement ce que dénonce une partie du personnel par une grève touchant particulièrement la ligne.
En 2022, il manquait près de 1 200 agents de conduite à la SNCF, alors que leurs conditions de travail se détériorent. Dans certaines régions, la compagnie doit quotidiennement supprimer des TER.
La mise en œuvre de ce projet serait une régression sociale importante pour les conditions de travail des agents de conduite
CGT Cheminots de l’ETP Ligne Cdans un communiqué
Mais sur le RER C, c’est surtout le nouveau service annuel 2024 qui irrite. “La mise en œuvre de ce projet serait une régression sociale importante pour les conditions de travail des ADC [agents de conduite, ndlr] de l’établissement” de la ligne C, jugent les syndicats CGT Cheminots de l’ETP Ligne C dans un communiqué.
"Un plan de recrutement massif notamment pour les agents de conduite a été mené en 2023 [...] À date, 1273 recrutements réalisés", indique de son côté Transilien SNCF Voyageurs, contacté par France 3 Paris Île-de-France.
Un plan de recrutement massif notamment pour les agents de conduite a été mené en 2023
Transilien SNCF Voyageursauprès de France 3 Paris Île-de-France
Une dégradation de la ligne continue depuis dix ans
Selon un récent rapport de la Cour des comptes sur le RER d’Île-de-France, “la ligne C n’atteint jamais ses objectifs contractuels de ponctualité [...] Les points de retournement étant pour l’essentiel éloignés de Paris, le moindre incident sur la ligne se propage à l’ensemble des branches”.
La ligne C n’atteint jamais ses objectifs contractuels de ponctualité
Cour des comptesdans son rapport d'octobre 2023
Sur le RER C, les retards sont ainsi monnaie courante pour ses usagers. L’institution de la rue Cambon pointe une dégradation de la ponctualité voyageurs de la ligne continue depuis dix ans, excepté durant la crise sanitaire.
À cette situation, Transilien SNCF défend une ligne "en pleine transformation" avec "le plus grand nombre d'appareils de voies" sur l'ensemble des lignes franciliennes, nécessitant ainsi "un effort considérable de régénération". Depuis plusieurs années, les travaux sur la ligne nécessitent une fermeture les soirs en semaine dès 22h, ainsi que durant plusieurs "weeks-ends rouges", désormais bien connus des usagers.
"Le RER C est une ligne complexe avec son long tronçon central, composé de 7 embranchements, concentre une grande partie des circulations. Le moindre incident sur la ligne a un « effet papillon » sur l’ensemble des branches", justifient le gestionnaire de réseau SNCF Réseau et Transilien SNCF auprès de France 3 Paris Île-de-France.
Le moindre incident sur la ligne a un "effet papillon" sur l’ensemble des branches
SNCF Réseauauprès de France 3 Paris Île-de-France
La filiale de la SNCF assure qu'un "plan d'action" a été mis en place depuis l'été dernier avec le gestionnaire de réseau SNCF Réseau afin de "limiter au maximum l’impact des incidents d'exploitation et d'infrastructures".
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Île-de-France Mobilités souligne pour le RER C des résultats "très inférieurs aux objectifs" mais "en redressement". La ligne commencerait à ressentir "les effets du plan d'action mis en place par la SNCF" après un mois de septembre "très en difficulté" (84,8% de taux de ponctualité). Le RER C est remonté à 88% de ponctualité selon les derniers chiffres d'octobre 2023.
En septembre dernier, sur l’ensemble des lignes de RER et Transilien, seules des branches des RER C et B sont passées sous la barre des 80% de ponctualité selon le baromètre mensuel de la ponctualité édité par Île-de-France Mobilités.
Concernant le RER C, les mauvais élèves sont les branches de Dourdan (79,3%) et de Saint-Martin-d’Étampes (76,55%), au sud de la ligne. En moyenne, le RER C a affiché la plus faible ponctualité de la région devant le RER B en février, juin et juillet 2023, et derrière la ligne B le reste de l’année.
À titre de comparaison, les deux lignes sont régulièrement les moins ponctuelles d’Île-de-France quand les lignes A et E du RER oscillent entre 92% et 95% de service assuré.