Témoignage. "Débrouille-toi !", étudiante et salariée précaire, elle est déterminée à réussir

Publié le Écrit par Céline Dupeyrat
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Les étudiants ont fait leur rentrée il y a presque un mois. Hawa, elle, a déserté les bancs de la fac. À 21 ans, elle poursuit sa formation en distanciel. Et pour remplir le frigo, elle travaille dans un cabinet d'assurance le week-end. Au quotidien, Hawa compte chaque euro, elle qui n'a pas été épargnée par l'existence.

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Hawa (prénom d’emprunt) nous livre cash ce parcours intime, sans vaciller, sa voix ne tremble pas. Mais les yeux de la jeune franco sénégalaise en disent long. Dans ce regard noir et profond, c'est une belle et fracassante histoire d'amour qui se devine. Celle d'une enfant qui a grandi trop vite. Celle d'une jeune adulte qui parle vite, très vite, trop vite...comme pour s'extraire ce passé pesant et ne plus regarder que droit devant.

Hawa est née à Mantes-la-Jolie en région parisienne. Elle a toujours connu sa mère en fauteuil roulant. "Elle a contracté la poliomyélite à l'âge de deux ans. Ce qui fait qu'elle est paralysée en dessous de la moelle épinière. Elle ne peut pas marcher. Elle peut très légèrement bouger ses jambes et elle a du mal avec ses bras". 

Quand on était petits avec mes frères, elle était assez autonome. Elle faisait plein de choses comme la cuisine. On avait une aide ménagère aussi à l'époque

Hawa

Étudiante salariée précaire

Ses parents divorcent quand elle a 4 ans. "Chacun de leur côté, ils se remarient très vite. Je déménage à Nantes avec ma mère à l'âge de 8 ans. Et en fait, c'est là que la descente aux enfers commence parce que ma mère commence à fréquenter des amis assez sombres, elle tombe dans l'alcool et les sales relations", résume Hawa. 

"Mon monde s'écroule. On m'amène dans une ville que je ne connais pas. Une ville qui est beaucoup trop grande pour moi."

Les premiers mois, la petite famille vit à l'hôtel. "Avec mes frères, ma mère et mon beau-père, on a un petit appart hôtel qui n'est vraiment pas assez grand pour cinq. Mais ça fait le travail."

Très vite, ils déménagent sur l'île de Nantes "dans un super grand appartement cette fois. Chacun reprend sa vie. J'intègre une nouvelle école et là, c'est terrible. Parce que je ne m'entends avec personne. Les gens se moquent du handicap de ma mère quand elle vient me chercher à l'école. Ce qui me plonge dans une forme de honte, un sentiment que je n'avais jamais éprouvé. Moi, je n'avais pas conscience du handicap de ma mère. Pour moi, c'était tout à fait normal."

Le nouveau mari de la mère d'Hawa est aide-soignant "et présent à la maison". Mais ça ne dure pas. Le couple se sépare. Elle a neuf ans, elle va alors se transformer en accompagnante, devenir aidante 24h sur 24h au chevet de cette mère malade.

Le soir, quand je rentre, je ne fais pas forcément mes devoirs, il faut faire les courses, nettoyer l'appartement, mon rôle, c'est d'être auprès d'elle parce qu'elle s'enfonce dans la dépression

Hawa

Étudiante salariée précaire

"Je n'étais plus dans mon rôle d'enfant"

Le temps passe, Hawa et ses frères se relaient comme ils peuvent pour accompagner cette mère fragile. L'adolescence arrive et la désormais collégienne comprend "que quelque chose ne va pas".

Une relation toxique s'est installée entre nous. J'étais devenue la mère et elle la fille

Hawa

Étudiante salariée précaire

"Je finissais par lui parler mal, lui dire : merde, je nettoie ton cul en fait ! On n'a pas le droit d'employer ces mots avec une maman, mais je n'étais plus dans mon rôle d'enfant, j'avais sur les épaules des choses bien trop lourdes."

À plusieurs reprises, elle alerte son père qui ne fait rien, n'entend rienLes services sociaux vont prendre le relais, évoquent un placement en famille d'accueil. "Finalement je ne trouvais pas ça terrible, mais on nous demandait de refuser, de s'opposer, alors on s'exécutait", confie Hawa.

Ses frères grandissent et quittent le foyer. La voilà seule avec cette mère qu'elle ne parvient plus à porter. Cette mère qui annonce un jour partir au Sénégal pour deux ou trois mois seulement et qu'elle ne reverra plus jamais.

"Elle-même sentait qu'elle était un poids pour nous, pour moi surtout. Donc elle a décidé de prendre un billet d'avion et de partir. Elle nous a prévenus, expliqués qu'elle avait besoin de se ressourcer", se remémore Hawa. 

J'ai eu beaucoup de mal à l'accepter parce que je me sentais abandonnée. Une mère qui s'en va, c'est violent...

Hawa

Étudiante salariée précaire

"Maintenant avec le recul, je comprends et je la remercie de l'avoir fait. Parce que sinon, je ne sais pas en fait ce que nous serions devenus", avoue-t-elle.

"Débrouille-toi !"

C’est dans ses conditions qu’Hawa démarre sa vie d'étudiante. En juillet 2021, elle décroche le bac, promo covid, avec un joli 16/20 au grand oral. 

"Je n'oublierai jamais le jour où j'ai eu le bac, toutes mes amies allaient à la banque récupérer leurs cartes, leurs comptes et elles disaient ; moi j'ai eu tant, mes parents m'ont épargné tant. Lorsqu'on m'a demandé, toi, Hawa, t'as eu quoi ?  J'ai dû répondre, rien. Alors, tout le monde m'a regardée en me disant, comment ça, tu n'as rien eu ? On a tous eu 10, 15, 20 000 euros placés. Et toi, pourquoi tu n'as rien ? Parce que mes parents n'ont jamais fait ça pour moi."

À 18 ans, elle n'a aucune ressource.  "Je vis chez mon frère parce que mon père habite à Paris avec son autre famille, ma mère est au Sénégal."

Chez le frangin, pas de chambre, aucune intimité, la lycéenne se contente du canapé du salon pour les nuits et va vite avoir envie d'ailleurs, de construire sa vie de jeune adulte.

Elle entame à l'université de La Roche-sur-Yon en Vendée un double cursus langues étrangères appliquées et droit. Pleine d'énergie et d'ambition, elle veut prendre son destin en main, croire en ses chances.

"À l'époque, je touche 595 euros de bourses et 110 euros d'APL. Et avec ça, il faut se débrouiller, payer le loyer, la nourriture, les transports, payer aussi mes allers-retours entre Nantes et la Roche, les manuels que les profs demandent. Il y a les sorties aussi", calcule Hawa.

Il lui faut aussi un ordinateur. "Mon père n'a pas voulu me l'offrir il gagne pourtant très bien sa vie, il m'a juste dit 'débrouille toi' ! " Une amie lui prête l'argent. "Je l'ai remboursé en plusieurs fois, heureusement qu'elle était là." Hawa n'aime pas avoir de dettes mais pour avancer, elle n'a pas le choix.

La liste des courses est longue. "Il y a aussi la facture de téléphone, les divers abonnements. Moi, je suis une adepte de séries donc si je veux regarder Netflix, cela coûte 10 euros par mois. Mais c'est un petit luxe, je me prive d'autre chose, parce qu'on ne peut pas tout avoir", sourit Hawa. La jeune femme compte chaque euro, mais ne se plaint jamais. Elle fait avec ce qu'elle a.

Les études, Hawa en rêvait.  "C'est un moyen pour moi de m'en sortir, à l'époque, je me dis qu'à la fin de ces trois ans, j'aurai deux diplômes, donc l'équivalent de deux licences, que je vais pouvoir prendre l'ascenseur social parce que je ne viens pas d'un milieu très favorisé".

Dans ma famille, je suis la seule à avoir fait des études supérieures, je suis la première à avoir eu mon brevet et mon bac sans avoir redoublé

Hawa

Étudiante salariée précaire

Et elle en est fière. "Ça a toujours été la compétition, cette compétition que mon père nous imposait avec mes frères. Il leur disait : regardez, elle, elle fait ça pas vous. L'école, c'était mon truc à moi. Eux, ils étaient bons dans d'autres domaines, mais moi, apprendre, c'était ce qui me convenait, ce qui me ressemblait le plus en tout cas". 

Réussir aussi pour plaire à ce papa absent qui a refait sa vie loin d'elle à Paris, celui qui toujours lui refuse la moindre aide financière. "J'aimais la manière dont il me regardait les rares fois où je le voyais. Il y avait cette étincelle dans son regard qui disait ; regarde ma fille, elle réussit."

"En France sans diplôme, c'est compliqué"

La première année de fac est difficile, "je n'avais pas encore de voiture, je cherchais du travail, mais je n'en trouvais aucun." Direction donc l'auto-école et comme le permis a un coût, elle l'obtient du premier coup. Dans la foulée, elle trouve un job. "Je commence à bosser dans une entreprise de ménage pour les particuliers et les professionnels." 

20 heures par semaine, en plus des cours, en plus du bachotage universitaire. Un rythme insoutenable, la jeune femme craque et sombre dans la dépression. 

"Je suis de nature à accumuler beaucoup et à minimiser tout ce qui se passe, je me dis que tout arrive pour une bonne raison et que si ça m'arrive à moi, c'est que ça doit arriver. Sauf qu'à ce moment-là, j'atteins un point un peu de non-retour", raconte Hawa.

En France, sans diplôme, c'est compliqué, je ne voulais pas reproduire les mêmes schémas que mes parents et je ne voulais pas être dans le besoin plus tard, c'était hors de question

Hawa

Étudiante salariée précaire

Elle qui avait envisagé de brillantes études tombe de haut. "Je me suis fait beaucoup d'illusions sur cette faculté. On me vendait du rêve, je me voyais juriste, bilingue ou trilingue, Finalement, j'arrive en septembre 2021 à La Roche-sur-Yon dans une fac délabrée, qui est insalubre".

Il y a de la moisissure, il manque des fenêtres, il manque des dalles. On n'a pas le Wifi, ce qui est très choquant dans une grande ville. Les cours sont mal organisés, les profs sont souvent absents, on se sent abandonnés

Hawa

Étudiante salariée précaire

"On a le prestige d'être à l'université de Nantes, mais on est un peu les oubliés en fait. On nous a mis au fin fond de la Vendée, on nous a posés là-bas, on a des profs qui ne viennent pas tout le temps, parce que des fois avec les transports, ils ne peuvent pas. La ville ne met pas non plus les moyens, parce que nous, en tant qu'étudiants, on peut terminer tard, à 20h, sauf qu'à 20h, il n'y a plus de bus à La Roche-sur-Yon. À l'époque en tout cas, il n'y en avait pas", se souvient-elle.

"Il faut faire des choix en permanence"

Deux premières années et deux échecs. Le doute s'installe, Hawa se demande si elle a fait le bon le choix.

C'est assez difficile de se construire une base de travail, de construire sa vie d'étudiante, parce qu'en fait ce sont des choix permanents, à longueur de journée, il faut renoncer

Hawa

Étudiante salariée précaire

Son moral et sa situation financière se dégradent, elle perd sa bourse "parce qu'elle n'était pas assez assidue", lui notifie l'administration.

Un matin, je reçois un mail du Crous qui me dit qu'il me supprime tout, et que je dois leur rembourser l'équivalent de deux ans de bourses, donc un petit peu plus de 10 000 euros

Hawa

Étudiante salariée précaire

Désemparée, elle appelle l'université, et prouve que ses absences sont validées par des arrêts maladies.

"Et donc là, je me dis qu'il faut que j'aille travailler, parce que personne ne va me donner à manger. Mon père, je l'appelle, il ne me répond pas, il me dit que je dois voir avec mes colocs, que si elles peuvent m'aider, ou voir avec ma mère... Donc j'imprime mon CV et je vais postuler de nouveau à Burger King, mais cette fois à La Roche-sur-Yon. Je suis payée 800 euros, ça me fait 100 euros de plus par mois. Ça me permet de faire des pleins d'essence supplémentaires." 

Du carburant, elle doit aussi en injecter dans sa vie pour redémarrer. "Je me dis que je n'ai pas fait ça pour rien, que je n'ai pas perdu deux ans pour rien !"

Je ne me vois plus rester en Vendée, continuer comme ça, en fait, je ne me vois plus nulle part

Hawa

Étudiante salariée précaire

"Je leur dis, je pars"

"Je me dis que je n'ai pas fait ça pour rien, que je n'ai pas perdu deux ans pour rien ! Il faut que je rebondisse." Et elle va rebondir loin, en Islande où elle devient fille au pair. "Je me donne un an, à l'aventure, pour voir où le vent me mène", confie-t-elle.

"Je préviens ma famille, je leur dis, je pars. La nouvelle n'est pas forcément très bien prise, on me dit que je suis en train de gâcher ma vie, que c'est n'importe quoi, que je ne sais pas dans quoi je m'embarque. On essaie même de m'interdire de partir. Moi, ça me fait rire, j'ai ma carte d'identité, j'ai tout ce qu'il faut, le propriétaire de mon appartement est prévenu, mon préavis est lancé et je m'en vais..."

Le contrat ? 400 euros par mois, logée dans une maison cossue comme elle n'en a jamais connu, nourrie, blanchie pour s'occuper des trois enfants de la famille ; Elma, 9 ans, Larus, 4 ans et Moa, 3 mois. Le bonheur à pleins poumons, enfin..."On a un lien, une connexion qui est super intense. Je m'occupe plus particulièrement du bébé et c'est incroyable. Elle m'apprend plus que je ne lui apprends finalement."

C'est plein de bons moments que je partage avec eux. Ils me parlent de leur quotidien en Islande et moi, je leur raconte ma vie en France. C'est un échange de culture et d'humanité qui est extrêmement fort

Hawa

Étudiante salariée précaire

Face à une tombe

Un quotidien tout en douceur rythmé par un BTS. "Je me suis inscrite en section collaborateur juriste et notarial." Une formation privée en distanciel qui lui coûte 150 euros par mois. Et les résultats sont très vite là ; 16 de moyenne générale.

Nous sommes en septembre 2023, Hawa retrouve un sens aux choses et à la vie. Jusqu'à ce coup de fil, terrible. Une déflagration qui fait tout basculer. Sa mère, rentrée au pays, il y a déjà quelques années, vient de mourir, là-bas, au Sénégal. Sidérée, elle doit trouver la force de quitter l'Islande pour aller rejoindre la famille. "Ma mère d'accueil voulait me payer une partie des billets d'avion, elle y tenait vraiment, elle me disait que c'était la seule chose qu'elle pouvait faire pour moi. Mais pour moi hors de question. J'utilise toute mes économies" 

Le voyage est long, douloureux. "Mes parents étaient très attachés au fait de nous transmettre cette culture africaine. Avec mes frères, nous avons la double nationalité, nous parlons la langue couramment, on sait les coutumes du pays." Elle retrouve un pays qu'elle connaît, mais qu'elle ne reconnaît pas.

Ça fait 16 ans que je n'y suis pas allée. Ça fait deux ans que je n'ai pas vu ma mère. Donc j'arrive un peu en terre inconnue finalement

Hawa

Étudiante salariée précaire

En terre inconnue et face à une tombe. "J'ai loupé l'enterrement parce que mon passeport était périmé, j'ai dû le refaire en urgence. Quand je suis arrivée, il était trop tard. On m'a collé devant un amas de terre, on m'a dit ta mère est là, je n'ai pas pu voir son corps, lui dire au revoir."

Les rêves ont un prix

Depuis la rentrée de septembre, la jeune femme est en stage d'observation non rémunéré dans un cabinet notarial nantais, une étape essentielle pour valider son cursus. L'occasion de vérifier si elle bien faite pour gérer des successions, elle qui a du mal à encaisser la sienne.

Hawa poursuit son BTS, en deuxième année et toujours à distance. Pour payer son loyer et financer ses études elle travaille tous les samedis pour un cabinet d'assurance. "600 euros par mois plus 630 euros de bourses." Juste de quoi vivre un peu mieux parce que ce n’est pas simple dans la France de Macron", constate-t-elle.

Elle essaye même de mettre quelques sous de côté chaque mois. "100 euros pour les imprévus. Là, ma voiture que j'ai payé 2 500 euros ne passe pas au contrôle technique. Amortisseurs, stabilisateurs, roulements, la facture peut grimper jusqu'à 900 !"

Son avenir ? Elle l'envisage serein. Elle qui a appris la résilience, à serrer les dents, à encaisser les coups comme un boxeur, aimerait bien que la vie lui lâche un peu la grappe. "Je vais avoir mon diplôme, travailler, réussir", promet-elle. À 21 ans, elle a compris l'essentiel ;"à la fin, les lauriers ne seront que pour moi".

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