Témoignage. "Nos élèves souffrent", absentéisme, échec scolaire, les personnels d'un collège de Nantes demandent d'urgence son classement en REP +

Publié le Écrit par Céline Dupeyrat

Après deux années de mobilisation pour obtenir le classement en REP+ (éducation prioritaire renforcée) de leur établissement, les personnels et les parents d'élèves du collège La Durantière de Nantes n'ont toujours pas été entendus par les autorités. La crise que traverse le collège s'aggrave. Les personnels seront en grève ce mardi 14 novembre.

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L'établissement compte 360 élèves. Dans ce quartier populaire, l'éducation n'est pas un vain mot, les enseignants s'accrochent chaque jour pour amener leurs élèves jusqu'au brevet des collèges, Le problème aujourd'hui ? De plus en plus d'adolescents décrochent, ne trouvent plus de sens à l'école, au cours, au savoir. 

La situation est dramatique. Le désengagement a gagné un nombre très significatif d'élèves. Une grande majorité est en difficulté et nous ne parvenons plus à y remédier

Sylvain Marrange

Professeur d'Histoire géographie collège La Durantière

Le collège La Durantière de Nantes est un petit établissement de REP2 qui accueille un public d'une grande diversité ; 10 % d'élèves en situation de handicap, 10 % d'élèves allophones, 15 % d'élèves inscrits en SEGPA, 60 % d'élèves venant d'écoles classées en REP+3, "souvent les plus en difficulté puisque 70 % des familles du secteur contournent le collège par dérogation ou par le recours au privé", explique Sylvain Marrange, professeur d'Histoire géographie et délégué syndical FSU.

La pandémie de 2020-2021 et l'augmentation progressive de la part d'élèves en difficulté accueillis ont fait basculer le collège "dans une crise dont il ne se relève pas".

"Beaucoup d'élèves ont été coupés de l'école et du cadre. À partir de ce moment-là, ils ont eu du mal à revenir. Nous subissons toujours aujourd'hui les effets de ce délitement", se désole Sylvain Marrange.

Alors, les retards s'accumulent, le matin, l'après-midi, sur une demi-journée, ou plus

Sans continuité, c'est extrêmement difficile de se remettre dans le bain, de rattraper un cours.

Sylvain Marrange

Professeur d'Histoire géographie collège La Durantière

"Ça crée une forme de scolarité en pointillé qui est très préjudiciable aux apprentissages. Sans continuité, c'est extrêmement difficile de se remettre dans le bain, de rattraper un cours. Ils sont petits encore, ils n'ont pas beaucoup d'autonomie", explique Sylvain Marrange.

La vie des classes est "agitée". De nombreux d'élèves sont extrêmement déçus de ne pas progresser et de ne pouvoir choisir leurs études. Nombreux sont envoyés en filière professionnelle dans des secteurs dont ils n'ont jamais entendu parler. Alors, ils retournent leur amertume et parfois leur colère contre eux-mêmes ou contre les autres. "On les envoie là où il y a des places, ils n'ont pas le choix. C'est insupportable", affirme le syndicaliste.

"Il y a beaucoup d'altercations entre élèves, de confrontations inutiles qui abiment le climat scolaire. Quand les ados ne sont plus mobilisés par les apprentissages, ils basculent sur autre chose. De fait, ils sont punis une deuxième fois puisqu'ils sont sanctionnés", poursuit le professeur.

Il y a beaucoup d'altercations entre élèves, de confrontations inutiles qui abiment le climat scolaire.

Sylvain Marrange

Professeur d'Histoire géographie collège La Durantière

50 conseils de discipline en deux ans

Le résultat est alarmant. Les incidents sont très nombreux, graves et quotidiens. Cinquante conseils de discipline ont été réunis en deux ans, ce qui représente près de 15 % de l'effectif global du collège. "Je n'ai jamais vu ça", concède le professeur.

L'échec est très difficile à vivre pour nos élèves et pour les familles. Tous les parents aspirent à ce que leurs enfants fassent des études supérieures

Sylvain Marrange

Professeur d'Histoire géographie collège La Durantière

Le corps enseignant est en perte de sens. "Ce qui nous met en souffrance, c'est le travail empêché", poursuit le professeur d'histoire géo, cela se traduit par des collègues qui se mettent une pression d'enfer pour en faire toujours plus et qui rentrent dans des logiques de surmenage. Certains sont dans un tel désarroi qu'ils finissent par craquer".

Certains sont dans un tel désarroi qu'ils finissent par craquer

Sylvain Marrange

Professeur d'Histoire géographie collège La Durantière

Récemment, d'anciens élèves exclus de l'établissement ont tiré cinq artifices de mortier sur la cour de récréation.

C'est le retournement contre le collège, d'une colère légitime.

Sylvain Marrange

Professeur d'Histoire géo collège la Durantière

"Ce sont deux élèves exclus deux ans plus tôt de l'établissement qui ont fait ça début septembre. Le bruit était terrible, comme des coups de feu. Il y avait des gerbes d'étincelles, de la fumée dans la cour de récréation. Nous étions sidérés", témoigne Sylvain Marrange. Un souvenir douloureux, symbole pour lui "d'un service public en échec."

Nous sommes dans un cercle vicieux. On descend les marches une à une. On alerte à chaque marche, mais les autorités détournent le regard

Sylvain Marrange

Professeur d'Histoire géographie collège la Durantière

Ces dernières années, les urgences prennent donc le pas sur les missions pédagogiques et éducatives dans tous les services de l'établissement. Cette inversion des priorités nourrit chez les personnels un profond sentiment d'abandon, voire de mépris.

Les enseignants, dépourvus, n'ont jamais abdiqué, ils tiennent bon coute que coute. Le collège pourtant manque cruellement de moyens pour abaisser les effectifs par classe, de remplaçants pour assurer la permanence du cadre d'apprentissage, de temps de concertation dans les services pour le travail en équipe, d'une assistante sociale à temps plein, d'assistants d'éducation pour assurer les missions de vie scolaire et d'aide aux devoirs.

Des enjeux scolaires et démocratiques

"Les enjeux sont scolaires, mais également démocratiques. Les pouvoirs publics doivent donner aux élèves du collège la Durantière les moyens de construire des capacités instruites de réflexion et d'analyse pour leur permettre de comprendre le monde complexe dans lequel nous vivons, de faire des choix éclairés dans leur vie personnelle et professionnelle et de peser démocratiquement sur le monde de demain", rappellent les personnels.

Depuis deux ans, ils ont eu 5 rendez-vous avec les services départementaux et académiques de l'Éducation nationale qui les renvoient chaque fois vers le Ministère à qui ils ont écrit à plusieurs reprises et adressé un dossier de 40 pages. "Nous avons toujours eu une oreille très attentive au niveau académique et départementale, mais les enveloppes budgétaires sont contraintes", reconnait Sylvain Marrange.

Le 3 octobre dernier, les représentants du personnel étaient encore reçus par les autorités concernées. La réponse ? "Pas de moyens suffisants, on ne peut pas faire mieux pour la Durantière". Sollicité, le Rectorat, à l'heure où nous publions cet article, ne nous a pas répondu.

Un classement REP+ ça changerait quoi ?

Les établissements classés REP+ concernent les quartiers ou secteurs isolés qui connaissent les plus grandes concentrations de difficultés sociales ayant des incidences fortes sur la réussite scolaire. Les élèves y sont encore plus défavorisés et bénéficient de moyens supplémentaires. "La Durantière correspond à tous ces critères", selon Sylvain Marrange, mais rien n'avance.

Un professeur de collège classé REP+ a par ailleurs moins d'heures de cours par semaine afin de prendre part à des initiatives pédagogiques collectives, d'organiser le suivi des élèves ou de rencontrer les parents. "Plus d'humain, plus de personnel et plus de travail en équipe", confirme Sylvain Marrange.

Cela permet un projet pédagogique plus ambitieux, un cadre accueillant pour les élèves et cela favorise un climat scolaire positif

Sylvain Marrange

Professeur d'histoire géographie au Collège de la Durantière

"Le métier d'enseignant est plutôt solitaire. Les profs se retrouvent seuls face à leurs classes. Le dispositif REP+ permet de réfléchir, d'avancer dans les programmes et les activités et d'ajuster à plusieurs", poursuit le prof.

Un redécoupage de la carte des établissements scolaires français était annoncé pour septembre 2024 par le ministère. "Nous venons d'apprendre que la mesure sera reportée, notre dossier devait être étudié", déplore Sylvain Marrange. 

Face à l'urgence, les personnels ont décidé de ne plus attendre et de se mettre en grève ce mardi 14 novembre. "Tout le monde sera mobilisé. Les élèves ne seront probablement pas accueillis", prévient le syndicaliste qui malgré tout garde espoir. "Il y a aussi des élèves qui réussissent très bien, sortent du collège avec un très bon niveau de formation, font des parcours au lycée exceptionnels, passent le bac haut la main et poursuivent des études très poussées. Mais ils ne représentent qu'une minorité".

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