Témoignages. Mort de Nahel. "C'est un meurtre légalisé. Ils vont attendre qu'on oublie". Dans les banlieues, la crainte après la tempête

Publié le Mis à jour le Écrit par Camille Aguilé

Les violences urbaines semblent se calmer en France après les émeutes qui ont secoué les quartiers populaires des grandes villes de France en réaction à la mort de Nahel.M le 27 juin. Dans le quartier de la Roseraie à Angers, deux jeunes qui n'ont pas participé aux manifestations ont accepté de témoigner, et de partager leur point de vue sur les causes de l'embrasement des banlieues urbaines.

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"Ce qui m'a touché, ce sont les raisons qui ont déclenché la violence. Le fait qu'on puisse ôter la vie d'une personne sans avoir de conséquences derrière. Toutes les violences urbaines ont commencé à cause d'un meurtre qui a été légalisé." Le ton de Mohamed Adam est amer.

Ce jeune de 19 ans habite dans le quartier de la Roseraie à Angers (Maine-et-Loire), qui a connu une nuit de violences urbaines entre le 30 juin et le 1er juillet. C'est le cas dans beaucoup d'autres banlieues à travers la France après la mort de Nahel, 17 ans, abattu d'un tir policier lors d'un refus d'obtempérer à un contrôle routier le mardi 27 juin.

Le policier est devenu riche, il a été arrêté, mais pour combien de temps ? Il a été arrêté pour que tous les quartiers de France se calment.

Mohamed

Habitant du quartier de la Roseraie à Angers

Le calme est revenu, mais rien n'est pardonné, en particulier l'existence d'une cagnotte lancée par l'homme politique d'extrême droite Jean Messiha et dédiée à la famille du policier auteur du tir, qui a atteint 1,6 million d'euros.

"Ils vont attendre qu'on oublie, que ça se tasse, pense Mohamed. Et ensuite, ce sera "Monsieur, vous êtes libre". Il ne pourra plus faire ses fonctions, mais il s'en fout, il est riche. C'est ça qui énerve la plupart des jeunes. Un meurtre, c'est un meurtre. T'as beau être un policier ou un jeune. Il ne peut pas être excusé."

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Mohamed Adam 19 ans, donne son avis sur les émeutes survenues après la mort de Nahel. ©France Télévisions / Marion Naumann / Jérémy Armand

Le jeune homme s'attend aux mêmes suites que celles de la mort de Zyed et Bouna en 2005 : "Tout le monde va arrêter d'en parler, et le policier va ressortir, mais ils ne vont pas le dire en jouant sur sa sécurité personnelle."

Mohamed n'a pas participé aux émeutes qui ont conduit à la destruction partielle de commerces, d'écoles et de mairie, mais il estime que c'est le seul moyen pour la jeunesse des quartiers populaires de se faire entendre. 

Les jeunes des quartiers n'ont pas commencé la violence. C'est la police qui a tué, les jeunes ont juste suivi. Ils n'ont tué personne, mais ils ne peuvent pas rester silencieux non plus.

Mohamed

Habitant du quartier de la Roseraie à Angers

"Les jeunes avaient besoin de se révolter, de faire sentir qu'ils existent et de dénoncer qu'ils ont vécu des choses de la part des policiers à leur échelle", confirme un autre habitant âgé de 26 ans, qui a souhaité rester anonyme.

"Leur manière de traduire cette colère, c'est le seul moyen aujourd'hui. Ils n'ont pas d'autres moyens de se faire entendre. Surtout que ce sont des petits jeunes, ce ne sont pas des adultes qui vont manifester comme ça. Chez nous, la plupart des jeunes adultes ont un peu de conscience et ne sont pas là à casser ou à faire des choses qui ne sont pas sensées", poursuit-il.

Actes insensés ou seul moyen de s'exprimer ? 

Les actes commis lors des émeutes peuvent effectivement susciter l'incompréhension,car les bâtiments détruits sont souvent au sein des quartiers, et les voitures brûlées appartiennent aux voisins. "C'est la colère qui l'emporte. Ils ne pensent à personne, mais ils ne veulent de mal à personne non plus", affirme l'homme de 26 ans. 

Fabrice Diffallah est éducateur sociosportif et professeur de karaté. Il travaille dans un dojo de la Roseraie depuis 26 ans. Les jeunes de coin, il les connait tous. "C'était latent, le fait que le jeune se fasse tirer dessus, ça a tout embrasé, confie-t-il. Il y a tellement un sentiment d'impuissance, de méconnaissance. Ça fait qu'à un moment, comment ils peuvent s'exprimer ?"

"La plupart n'ont pas forcément de conscience politique. Bien entendu qu'ils devraient exprimer leur colère ailleurs. On l'a vu dans d'autres manifestations où des symboles ont été détruits", ajoute l'éducateur.

Il ne cautionne pas les invectives proférées contre les parents des jeunes émeutiers : "Ça me met hors de moi. On a l'impression que les parents de quartier ne sont pas capables, alors qu'ils font ce qu'ils peuvent avec ce qu'ils ont, ce qu'ils sont."

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Fabrice Diffallah s'oppose à l'argument des "parents démissionnaires". ©France Télévisions / Marion Naumann / Jérémy Armand

L'éducateur considère qu'il est "intolérable de remettre la responsabilité sur le parent. Pour moi, c'est un problème de gestion républicaine et d'égalité sur les territoires. Ça n'a rien à voir avec l'éducation du parent".

"D'ailleurs, quand quelqu'un de plus aisé, ou issu d'un autre quartier, va écraser quelqu'un ou mal se comporter, il n'y a pas de remise en question de son éducation. Les quartiers, ça nous tombe tout de suite dessus", souligne-t-il.

Un sentiment d'insécurité face à la police et à l'extrême-droite

Cette différence de traitement est omniprésente dans le discours des trois hommes. "Si je sors, je fais 10 mètres, je me fais contrôler. C'est réel, témoigne Mohamed. Monsieur [un homme blanc, ndlr], il peut rôder toute la journée, faire dix allers-retours devant le commissariat, ils vont même pas le regarder. Maintenant, je les vois passer devant moi, je m'arrête. Je sais qu'ils vont descendre."

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Mohamed partage le sentiment d'insécurité qu'il ressent en raison des inégalités de traitement et du comportement de la police. ©France Télévisions / Marion Naumann / Jérémy Armand

Le sentiment qu'il ressent aujourd'hui ? Ni la colère, ni la lassitude, mais "de l'insécurité" face aux descentes de groupuscules d'extrême-droite violents dans les rues, et face au manque de protection et à la stigmatisation des habitants des quartiers populaires par la police.

LIRE AUSSI. Émeutes après la mort de Nahel à Nanterre. Des affrontements entre un groupuscule d'extrême-droite et des jeunes cagoulés à Angers

Mohamed estime que la mort de Nahel est un nouveau coup de canif dans le contrat qui empire la confiance entre jeunes et policiers. 

"Conduire sans avoir le permis, tout le monde le fait, même hors des quartiers, avance-t-il. Si un jeune monte dans une voiture et essaie, mais que, manque de bol, il y a la police, vous pensez qu'il va s'arrêter avec tout ce qu'il s'est passé ? Moi, je connais déjà la réponse, il ne va pas s'arrêter parce qu'il va avoir peur de se faire tirer dessus. Ça va lancer une poursuite, qui va peut-être aussi mener à des coups de feu. On s'est lancés sur une boucle, et je ne sais pas comment on peut l'arrêter."

Le besoin criant d'améliorer la scolarité 

"Voilà l'état d'esprit dans lequel nos enfants de la République qui vivent dans les quartiers sont", déplore Fabrice Diffallah, qui rappelle aussi le sempiternel besoin d'améliorer la scolarité pour tous les jeunes des quartiers. 

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La scolarité actuelle dans les quartiers populaires ne permet qu'à peu de jeunes de s'insérer. ©France Télévisions / Marion Naumann / Jérémy Armand

"La répartition financière n'est pas égalitaire, on entasse des jeunes dans des écoles, dénonce-t-il. Il faut permettre aux jeunes d'avoir une éducation scolaire favorisant la réussite de tous nos jeunes, et pas uniquement quelques-uns qui ont la capacité d'aller dans les grandes écoles, et de se les financer. La scolarité, c'est un peu un entonnoir quand on habite dans les quartiers populaires."

En 2022, un écolier et un collégien sur 5 étaient scolarisés dans un établissement appartenant au réseau d'éducation prioritaire. En 2021, seulement environ 30% de ces collégiens ont obtenu une note supérieure à 10 sur 20 au brevet. Un échec scolaire qui rencontre peu de solutions et met bien souvent en péril l'insertion professionnelle. 

Témoignages recueillis par Marion Naumann et Jérémy Armand

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